Le Roman d’un enfant

XLII

La tête à la portière d’un wagon qui filaittrès vite, je demandais à ma sœur, assise en face de moi :

– Est-ce que ce ne sont pas déjà desmontagnes ?

– Pas encore, répondait-elle, ayant toujoursen tête le souvenir des Alpes. Pas encore. De grandes collines toutau plus !

La journée d’août était chaude et radieuse. Untrain rapide de la ligne du Midi nous emportait.

Nous étions en route pour chez nos cousinsinconnus !…

– Oh ! mais ça ?… voyons !repris – je avec un accent de triomphe, apercevant de mes yeuxécarquillés quelque chose de plus haut que tout, qui se dessinaiten bleu sur l’horizon pur.

Elle se pencha :

– Ah ! dit-elle, oui ; cette fois,par exemple, je t’accorde ; pas très élevées cependant, maisenfin…

Tout nous amusa, le soir à l’hôtel, dans uneville où il fallut nous arrêter jusqu’au jour suivant, et je merappelle la nuit splendide qui survint, tandis que nous étionsaccoudés à notre balcon de louage, regardant s’assombrir lesmontagnes bleuâtres et écoutant les grillons chanter.

Le lendemain, troisième jour de notre voyagequi se faisait par étapes, nous frétâmes une voiture drôle, pournous faire conduire dans la petite ville, bien perdue en cetemps-là, où nos cousins habitaient.

Par des défilés, des ravins, des traverses,cinq heures de route, pendant lesquelles tout fut enchantement pourmoi. En plus de la nouveauté de ces montagnes, il y avait aussi deschangements complets dans toutes choses : le sol, les pierresprenaient une ardente couleur rouge ; au lieu de nos villages,toujours si blancs sous leur couche de chaux neigeuse, et toujourssi bas, comme n’osant pas s’élever au milieu de l’immenseuniformité des plaines, ici les maisons, rougeâtres autant que lesrochers, se dressaient en vieux pignons, en vieilles tourelles, etse perchaient bien haut, sur les sommets des collines ; lespaysans plus bruns parlaient un langage incompréhensible, et jeregardais surtout ces femmes qui marchaient avec un balancement dehanches inusité chez nos paysannes, portant sur leur tête desfardeaux, des gerbes, ou de grandes buires de cuivre brillant.Toute mon intelligence était tendue, vibrante, dangereusementcharmée par cette première révélation d’aspects étrangers etinconnus.

Vers le soir, au bord d’une de ces rivières duMidi qui bruissent sur des lits plats de galets blancs, nousarrivâmes à la petite ville singulière qui était le but de notrevoyage. Elle avait encore ses vieilles portes ogivales, ses hautsremparts à mâchicoulis, ses rues bordées de maisons gothiques, etle rouge de sanguine était la teinte générale de ses murailles.

Un peu intrigués et émus, nous cherchions desyeux ces cousins dont nous ne connaissions même pas les portraits,et qui sans doute guettaient notre arrivée, viendraient à notrerencontre… Tout à coup, nous vîmes paraître un grand jeune hommedonnant le bras à une jeune fille en robe de mousselineblanche ; alors, sans la moindre hésitation réciproque, nouséchangeâmes un signe de reconnaissance : nous nous étionsretrouvés.

À leur porte, sur les marches de leur seuil,l’oncle et la tante nous attendaient, accueillants, et tous deuxayant conservé dans leur vieillesse déjà grise les traces d’uneremarquable beauté. Ils avaient une vieille maison Louis XIII, àl’angle d’une de ces places régulières entourées de porches commeon en voit dans beaucoup de petites villes du Midi. On entraitd’abord dans un vestibule dallé de pierres un peu roses et ornéd’une énorme fontaine de cuivre rouge. Un escalier des mêmespierres, très large comme un escalier de château, avec une curieuserampe en fer forgé, menait aux appartements en boiseries anciennesde l’étage supérieur. Et le passé dont ces choses évoquaient lesouvenir, je le sentais différent de celui de la Saintonge et del’île, – le seul avec lequel je me fusse un peu familiarisé jusqu’àce jour.

Après dîner, nous allâmes nous asseoir tousensemble au bord de la rivière bruissante, sur une prairie, parmides centaurées et des marjolaines qu’on devinait dans l’obscurité àleur pénétrante odeur. Il faisait très chaud, très calme, etd’innombrables grillons chantaient. Il me sembla aussi que jen’avais encore vu nuit si limpide, ni tant d’étoiles dans du bleusi profond. La différence en latitude n’était cependant pas biengrande, mais les brises marines, qui attiédissent nos hivers,embrument aussi parfois nos soirées d’été ; donc, ce cielétoilé pouvait être plus pur en effet que celui de mon pays, plusméridional. Et autour de moi, montaient dans l’air de grandessilhouettes bleuâtres que je ne pouvais me lasser decontempler : les montagnes jamais vues, me donnant cetteimpression de dépaysement que j’avais tant désirée, m’indiquant quemon premier petit rêve était bien réellement accompli…

Je devais revenir passer plusieurs étés dansce village et m’y acclimater au point d’apprendre le patoisméridional que les bonnes gens y parlaient. En somme les deux paysde mon enfance ont été la Saintonge et celui-là, ensoleillés tousdeux.

La Bretagne, que beaucoup de gens me donnentpour patrie, je ne l’ai vue que bien plus tard, à dix-sept ans, etj’ai été très long à l’aimer, – ce qui fait sans doute que je l’aiaimée davantage. Elle m’avait causé d’abord une oppression et unetristesse extrêmes ; ce fut mon frère Yves qui commença dem’initier à son Charme mélancolique, de me faire pénétrer dansl’intimité de ses chaumières et de ses chapelles des bois. Etensuite, l’influence qu’une jeune fille du pays de Tréguier exerçasur mon imagination, très tard, vers mes vingt-sept ans, décidatout à fait mon amour pour cette patrie adoptée.

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