Le Roman d’un enfant

LIX

Ce même printemps-là, il y eut un retour dupère de la petite Jeanne qui me frappa beaucoup. Depuis quelquesjours, sa maison était sens dessus dessous, dans les préparatifs etla joie de cette arrivée prochaine. Et, la frégate qu’il commandaitétant rentrée dans le port un peu plus tôt qu’on n’avait supposé,je le vis de ma fenêtre un beau soir, qui revenait chez lui, seul,se hâtant dans la rue pour surprendre son monde… Il arrivait de jene sais quelle colonie éloignée après deux ou trois ans d’absence,et il me parut qu’il n’avait pas changé d’aspect… On rentrait doncau foyer tout de même ! Elles finissaient donc, ces annéesd’exil, qui aujourd’hui du reste me faisaient déjà l’effet d’êtremoins longues qu’autrefois !… Mon frère lui aussi, à l’automneprochain, allait nous revenir ; ce serait bientôt comme s’ilne nous avait jamais quittés.

Et quelle joie, sans doute, que cesretours ! Et quel prestige environnait ceux qui arrivaient desi loin !

Le lendemain, chez Jeanne, dans sa cour, jeregardais déballer d’énormes caisses en bois des paysétrangers ; quelques-unes étaient recouvertes de toilesgoudronnées, débris de voiles sans doute, qui sentaient la bonneodeur des navires et de la mer ; deux matelots à large colbleu s’empressaient à déclouer, à découdre ; et ils retiraientde là dedans des objets d’apparence inconnue qui avaient dessenteurs de « colonies » ; des nattes, desgargoulettes, des potiches ; même des cocos et d’autres fruitsde là-bas…

Le vieux grand-père de Jeanne, ancien marinlui aussi, était à côté de moi, surveillant du coin de l’œil cedéballage, et tout à coup, d’entre des planches que l’on séparait àcoups de masse, nous vîmes s’échapper de vilaines petites bêtesbrunes, empressées, sur lesquelles les deux matelots sautèrent àpieds joints pour les tuer :

– Des cancrelats, n’est-ce pas,commandant ? demandai-je au grand-père.

– Comment ! tu connais ça, toi, petitterrien ? me répondit-il en riant.

À vrai dire, je n’en avais jamais vu ;mais des oncles à moi, qui avaient habité dans leur compagnie, m’enavaient beaucoup parlé. Et j’étais ravi de faire une premièreconnaissance avec ces bêtes, qui sont spéciales aux pays chauds etaux navires…

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