XXXVI
Il paraît que certains enfants du pays duCentre ont une préoccupation grande de voir la mer. Moi, quin’étais jamais sorti de nos plaines monotones, je rêvais de voirdes montagnes. Je me représentais de mon mieux ce que cela pouvaitêtre ; j’en avais vu dans plusieurs tableaux, j’en avais mêmepeint dans des décors de Peau d’Âne. Ma sœur, pendant un voyageautour du lac de Lucerne, m’en avait envoyé des descriptions, m’enavait écrit de longues lettres, comme on n’en adresse pasd’ordinaire à des enfants de l’âge que j’avais alors. Et mesnotions s’étaient complétées de photographies de glaciers, qu’ellem’avait rapportées pour mon stéréoscope. Mais je désirais ardemmentvoir la réalité de ces choses.
Or, un jour, comme à souhait, une lettrearriva, qui fut tout un événement dans la maison. Elle était d’uncousin germain de mon père, élevé jadis avec lui fraternellement,mais qui, pour je ne sais quelles causes, n’avait plus donné signede vie depuis trente ans.
Quand je vins au monde, on avait déjàcomplètement cessé de parler de lui dans la famille, aussiignorais-je son existence. Et c’était lui qui écrivait, demandantque le lien fût renoué ; il habitait, disait-il, une petiteville du Midi, perdue dans les montagnes, et il annonçait qu’ilavait des fils et une fille, dans les âges de mon frère et de masœur. Sa lettre était très affectueuse, et on lui répondit de même,en lui apprenant notre existence à tous les trois.
Puis, la correspondance ayant continué, il futdécidé qu’on m’enverrait passer les vacances chez eux, avec ma sœurqui jouerait là, comme pendant nos voyages dans l’île, son rôle demère auprès de moi.
Ce Midi, ces montagnes, cet agrandissementsubit de mon horizon, – et aussi ces nouveaux cousins tombés duciel, – tout cela devint l’objet de mes constantes rêveriesjusqu’au mois d’août, moment fixé pour notre départ.