Le Roman d’un enfant

LXXI

Les fins d’étés surtout étaient délicieuseslà-bas, quand les plaines devenaient toutes violettes de crocus, aupied des bois déjà jaunis. Alors commençaient les vendanges, quiduraient bien quinze jours et qui nous enchantaient. Dans desrecoins de bois ou de prairies, avoisinant ces vignes des petitsPeyral où nous passions alors toutes nos journées, nous faisionsdes dînettes de bonbons et de fruits, après avoir dressé surl’herbe les couverts les plus élégants, que nous entourions àl’antique de guirlandes de fleurs et dont les assiettes étaientcomposées de pampres jaunes ou de pampres rouges. Des vendangeursvenaient là nous apporter des grappes exquises, choisies entremille, et, la chaleur aidant, nous étions vraiment un peu grisquelquefois, non pas même de vin doux, car nous n’en buvions pas,mais de raisins seulement, comme se grisent, au soleil sur lestreilles, les guêpes et les mouches.

Un matin de la fin de septembre, par un tempspluvieux et déjà frais qui sentait mélancoliquement l’automne,j’étais entré dans la cuisine, attiré par un feu de branches quiflambait gaiement dans la haute cheminée ancienne.

Et puis là, désœuvré, contrarié de cettepluie, j’imaginai pour me distraire de faire fondre une assietted’étain et de la précipiter, toute liquide et brûlante, dans unseau d’eau.

Il en résulta une sorte de bloc tourmenté, quiétait d’une belle couleur d’argent clair et qui avait un certainaspect de minerai. Je regardai cela longuement, très songeur :une idée germait dans ma tête, un projet d’amusement nouveau, quiallait peut-être devenir le grand charme de cette fin devacances…

Le soir même, en conférence tenue sur lesmarches du grand escalier à rampe forgée, je parlais aux petitsPeyral de présomptions qui m’étaient venues, d’après l’aspect duterrain et des plantes, qu’il pourrait bien y avoir des minesd’argent dans le pays. Et je prenais, pour le dire, de ces airsentendus de coureur d’aventures, comme en ont les principauxpersonnages, dans ces romans d’autrefois qui se passent auxAmériques.

Chercher des mines, cela rentrait bien dansles attributions de ma bande, qui partait si souvent avec despelles et des pioches à la découverte des fossiles ou des caillouxrares.

Le lendemain donc, à mi-montagne, comme nousarrivions dans un chemin, délicieusement choisi du reste,solitaire, mystérieux, dominé par des bois et très encaissé entrede hautes parois moussues, j’arrêtai ma bande, avec un flair dechef Peau-Rouge : ça devait être là ; j’avais reconnu laprésence des gisements précieux, – et, en effet, en fouillant à laplace indiquée, nous trouvâmes les premières pépites (l’assiettefondue que, la veille, j’étais venu enfouir).

Ces mines nous occupèrent sans trêve pendanttoute la fin de la saison. Eux, absolument convaincus, émerveillés,et moi, qui pourtant fondais tous les matins des couverts et desassiettes de cuisine pour alimenter nos filons d’argent, moi-mêmearrivant presque à m’illusionner aussi.

Le lieu isolé, silencieux, exquis, où cesfouilles se passaient, et la mélancolie sereine de l’été finissant,jetaient un charme rare sur notre petit rêve d’aventuriers. Noustenions, du reste, nos découvertes dans le plus amusantmystère ; il y avait maintenant entre nous comme un secret detribu. Et, dans un vieux coffre ignoré du grenier de mon oncle, nosrichesses, mêlées d’un peu de terre rouge de montagne,s’entassaient comme en une caverne d’Ali-Baba.

Nous nous étions promis de les y laisserdormir pendant tout l’hiver, jusqu’aux vacances prochaines, où nouscomptions bien continuer de grossir ce trésor.

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