Le Roman d’un enfant

VIII

On a avancé que les gens doués pour bienpeindre (avec des couleurs ou avec des mots) sont probablement desespèces de demi-aveugles, qui vivent d’habitude dans une pénombre,dans un brouillard lunaire, le regard tourné en dedans, et quialors, quand par hasard ils voient, sont impressionnés dix foisplus vivement que les autres hommes.

Cela me semble un peu paradoxal.

Mais il est certain que la pénombre dispose àmieux voir ; comme dans les panoramas, par exemple, cetteobscurité des vestibules qui prépare si bien au grand trompe-l’œilfinal.

Au cours de ma vie, j’aurais donc été moinsimpressionné sans doute par la fantasmagorie changeante du monde,si je n’avais commencé l’étape dans un milieu presque incolore,dans le coin le plus tranquille de la plus ordinaire des petitesvilles : recevant une éducation austèrement religieuse ;bornant mes plus grands voyages à ces bois de la Limoise, qui mesemblaient profonds comme les forêts primitives, ou bien à cesplages de l’« île » qui me mettaient un peu d’immensitédans les yeux lors de mes visites à mes vieilles tantes deSaint-Pierre-d’Oléron.

C’était surtout dans la cour de notre maisonque se passait le plus clair de mes étés ; il me semblait quece fût là mon principal domaine, et je l’adorais…

Bien jolie, il est vrai, cette cour ;plus ensoleillée et aérée, et fleurie que la plupart des jardins deville.

Sorte de longue avenue de branches vertes etde fleurs, bordée au midi par de vieux petits murs bas d’oùretombaient des rosiers, des chèvrefeuilles, et que dépassaient destêtes d’arbres fruitiers du voisinage. Longue avenue très fleuriedonnant des illusions de profondeur, elle s’en allait enperspective fuyante, sous des berceaux de vigne et de jasmin,jusqu’à un recoin qui s’élargissait comme un grand salon deverdure, – puis elle finissait à un chai, de construction trèsancienne, dont les pierres grises disparaissaient sous des treilleset du lierre.

Oh ! que je l’ai aimée, cette cour, etque je l’aime encore !

Les plus pénétrants premiers souvenirs quej’en aie gardés, sont, je crois, ceux des belles soirées longues del’été. – Oh ! revenir de la promenade, le soir, à cescrépuscules chauds et limpides qui étaient certainement bien plusdélicieux alors qu’aujourd’hui ; rentrer dans cette cour, queles daturas, les chèvrefeuilles remplissaient des plus suavesodeurs, et, en arrivant, apercevoir dès la porte toute cette longueenfilade de branches retombantes !… Par-dessous un premierberceau, de jasmin de la Virginie, une trouée dans la verdurelaissait paraître un coin encore lumineux du rouge couchant. Et,tout au fond, parmi les masses déjà assombries des feuillages, ondistinguait trois ou quatre personnes bien tranquillement assisessur des chaises ; – des personnes en robe noire, il est vrai,et immobiles – mais très rassurantes quand même, très connues, trèsaimées : mère, grands-mère et tantes.

Alors je prenais ma course pour aller me jetersur leurs genoux, – et c’était un des instants les plus amusants dema journée.

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