Le Roman d’un enfant

IV

Je voudrais essayer de dire maintenantl’impression que la mer m’a causée, lors de notre premièreentrevue, – qui fut un bref et lugubre tête-à-tête.

Par exception, celle-ci est une impressioncrépusculaire ; on y voyait à peine, et cependant l’imageapparue fut si intense qu’elle se grava d’un seul coup pour jamais.Et j’éprouve encore un frisson rétrospectif, dès que je concentremon esprit sur ce souvenir.

J’étais arrivé le soir, avec mes parents, dansun village de la côte saintongeaise, dans une maison de pêcheurslouée pour la saison des bains. Je savais que nous étions venus làpour une chose qui s’appelait la mer, mais je ne l’avais pas encorevue (une ligne de dunes me la cachait, à cause de ma très petitetaille) et j’étais dans une extrême impatience de la connaître.Après le dîner donc, à la tombée de la nuit, je m’échappai seuldehors. L’air vil âpre, sentait-je ne sais quoi d’inconnu, et unbruit singulier, à la fois faible et immense, se faisait derrièreles petites montagnes de sable auxquelles un sentierconduisait.

Tout m’effrayait, ce bout de sentier inconnu,ce crépuscule tombant d’un ciel couvert, et aussi la solitude de cecoin de village… Cependant, armé d’une de ces grandes résolutionssubites, comme les bébés les plus timides en prennent quelquefois,je partis d’un pas ferme…

Puis, tout à coup, je m’arrêtai glacé,frissonnant de peur. Devant moi, quelque chose apparaissait,quelque chose de sombre et de bruissant qui avait surgi de tous lescôtés en même temps et qui semblait ne pas finir ; une étendueen mouvement qui me donnait le vertige mortel… Évidemment c’étaitça ; pas une minute d’hésitation, ni même d’étonnement que cefit ainsi, non, rien que de l’épouvante : je reconnaissais etje tremblais. C’était d’un vert obscur presque noir ; çasemblait instable, perfide, engloutissant ; ça remuait et çase démenait partout à la fois, avec un air de méchanceté sinistre.Au-dessus, s’étendait un ciel tout d’une pièce, d’un gris foncé,comme un manteau lourd.

Très loin, très loin seulement, àd’inappréciables profondeurs d’horizon, on apercevait unedéchirure, un jour entre le ciel et les eaux, une longue fentevide, d’une claire pâleur jaune…

Pour la reconnaître ainsi, la mer, l’avais-jedéjà vue ?

Peut-être, inconsciemment, lorsque, vers l’âgede cinq ou six mois, on m’avait emmené dans l’île, chez unegrand-tante, sœur de ma grand-mère. Ou bien avait-elle été sisouvent regardée par mes ancêtres marins, que j’étais né ayant déjàdans la tête un reflet confus de son immensité.

Nous restâmes un moment l’un devant l’autre,moi fasciné par elle. Dès cette première entrevue sans doute,j’avais l’insaisissable pressentiment qu’elle finirait un jour parme prendre, malgré toutes mes hésitations, malgré toutes lesvolontés qui essayeraient de me retenir… Ce que j’éprouvais en saprésence était non seulement de la frayeur, mais surtout unetristesse sans nom, une impression de solitude désolée, d’abandon,d’exil… Et je repartis en courant, la figure très bouleversée, jepense, et les cheveux tourmentés par le vent, avec une hâte extrêmed’arriver auprès de ma mère, de l’embrasser, de me serrer contreelle ; de me faire consoler de mille angoisses anticipées,inexpressibles, qui m’avaient étreint le cœur à la vue de cesgrandes étendues vertes et profondes.

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