Le Roman d’un enfant

LXV

… En classe, on expliquait l’Iliade, – quej’aurais sans doute aimée, mais qu’on m’avait rendue odieuse avecles analyses, les pensums, les récitations de perroquet ; – ettout à coup je m’arrêtai plein d’admiration devant les versfameux :

Bê dakeôn thina polufloisboio thalassés

qui finit comme le bruit d’une lame de maréemontante étalant sa nappe d’écume sur les galets d’une plage.

– Remarquez, dit le Grand-Singe, remarquezl’harmonie imitative.

– Oh ! oui, va, j’avais remarqué. Pasbesoin de me mettre les oints sur les i pour de telles choses.

Une de mes grandes admirations, moinsjustifiée peut-être, fut ensuite pour ces vers deVirgile :

Hinc adeo media est nobis via ; namquesepulerum Incipit apparere Bianoris..

Depuis le commencement de l’églogue, du reste,je suivais avec intérêt les deux bergers cheminant dans la campagneantique. Et je me la représentais si bien, cette campagne romained’il y a deux mille ans : chaude, un peu aride, avec desbroussailles de phyllireas et de chênes verts, comme ces régionspierreuses de la Limoise, auxquelles précisément je trouvais uncharme pastoral, un charme d’autrefois.

Ils cheminaient, les deux bergers, etmaintenant ils s’apercevaient que la moitié de leur route étaitfaite, « parce que le tombeau de Bianor leur apparaissaitlà-bas… » Oh ! comme je le vis surgir, ce tombeau deBianor ! Ses vieilles pierres marquaient une tache blanche surles chemins roux couverts de petites plantes un peu brûlées,serpolets ou marjolaines, avec çà et là des arbustes maigres aufeuillage sombre… Et la sonorité de ce mot Bianoris finissant laphrase, évoqua pour moi, tout à coup, avec une extraordinairemagie, l’impression des musiques que les insectes devaient faireautour des deux voyageurs, dans le silence d’un midi très chaudéclairé par un soleil plus jeune, dans la sereine tranquillité d’unmois de juin antique. Je n’étais plus en classe ; j’étais danscette campagne, en la société de ces bergers, marchant sur desfleurettes un peu brûlées, sur des herbes un peu roussies, par unejournée d’été très lumineuse, – mais cependant atténuée et vue dansun certain vague, comme regardée avec une lunette d’approche aufond des âges passés…

Qui sait ! si le Grand-Singe avait devinéce qui me causait ce moment de distraction, cela eût peut-êtreamené un rapprochement entre nous.

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