Le Roman d’un enfant

LXI

Je crois que le printemps de cette année-làfut vraiment le plus radieux, le plus grisant des printemps de monenfance, par contraste sans doute avec le si pénible hiver pendantlequel avait tout le temps sévi le Grand-Singe.

Oh ! la fin de mai, les hauts foins, puisles fauchages de juin ! Dans quelle lumière d’or je revoistout cela !

Les promenades du soir, avec mon père et masœur, se continuaient comme dans mes premières années ; ilsvenaient maintenant m’attendre à la sortie du collège, à quatreheures et demie, et nous partions directement pour les champs.Notre prédilection, ce printemps-là, se maintint pour certainesprairies pleines d’amourettes roses ; et au retour jerapportais toujours des gerbes de ces fleurs.

Dans cette même région, venait d’éclore unepeuplade éphémère de toutes petites phalènes noires et roses (dumême rose que les amourettes) qui dormaient posées partout sur leslongues tiges des herbes, et qui s’envolaient comme uneffeuillement de pétales de fleurs, dès qu’on agitait ces foins.C’est à travers d’exquises limpidités d’atmosphère de juin, que meréapparaît tout cela… Pendant la classe de l’après-midi, l’idée deces grandes prairies qui m’attendaient, me troublait encore plusque l’air tiède et les senteurs printanières entrant à pleinesfenêtres.

Mais j’ai surtout gardé le souvenir d’un soiroù ma mère nous avait promis, par exception, d’être de lapromenade, pour voir, elle aussi, ces champs d’amourettes. Cettefois-là, plus distrait que de coutume, j’avais été menacé deretenue par le Grand-Singe, et tout le temps de la classe jem’étais cru puni. Cette retenue du soir, qui nous gardait une heurede plus par ces beaux temps de juin, était toujours un cruelsupplice. Mais surtout j’avais le cœur serré en songeant que mamanviendrait précisément là m’attendre, – et que les printemps étaientcourts, qu’on allait bientôt faucher les foins, que peut-être uneautre soirée aussi radieuse ne se retrouverait plus de l’année…

Aussitôt la classe finie, j’allai anxieusementconsulter la liste fatale, entre les mains du maîtred’études :

je n’y étais pas ! Le Grand-Singe-Noirm’avait oublié, ou fait grâce !

Oh ! ma joie alors de sortir en courantde ce collège, d’apercevoir maman qui avait tenu sa promesse, etqui m’attendait là, souriante, avec mon père et ma sœur… L’airqu’on respirait dehors était plus exquis que jamais, d’une tiédeurembaumée, et la lumière avait un resplendissement de pays chaud. –Quand je repense à ce moment-là, à ces près d’amourettes, à cesphalènes roses, il se mêle à mon regret une espèce d’anxiétéindéfinissable, comme du reste chaque fois que je me retrouve enprésence de choses qui m’ont frappé et charmé par des dessousmystérieux, avec une intensité que je ne m’explique pas.

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