LVI
Très nostalgiques à présent, les impressionsque me causait mon musée, quand j’y montais les jeudis d’hiver,après avoir fini mes devoirs ou mes pensums, et toujours un peutard ; la lumière baissant déjà, l’échappée de vue sur lesgrandes plaines s’embrumant en un gris rosé extrêmement triste.Nostalgie de l’été, nostalgie du soleil et du Midi, amenée par tousces papillons du jardin de mon oncle, qui étaient rangés là sousdes verres, par tous ces fossiles des montagnes, qui avaient étéramassés là-bas en compagnie des petits Peyral.
C’était l’avant-goût de ces regretsd’ailleurs, qui plus tard, après les longs voyages aux pays chauds,devaient me gâter mes retours au foyer, mes retours d’hiver.
Oh ! il y avait surtout le papillon« citron-aurore » !
À certains moments, j’éprouvais un amerplaisir à le fixer, pour approfondir et chercher à comprendre lamélancolie qui me venait de lui. Il était dans une vitrine dufond ; ses deux nuances si fraîches et si étranges, commecelle d’une peinture de Chine, d’une robe de fée, s’avivaient l’unepar l’autre, formaient un ensemble lumineux quand venait lecrépuscule gris et quand déjà les autres papillons ses voisinsparaissaient ne plus être que de vilaines petites chauves-sourisnoirâtres.
Dès que mes yeux s’arrêtaient sur lui,j’entendais la chanson traînante, somnolente, en faussetmontagnard : « Ah ! ah ! la bonnehistoire !… » puis je revoyais le porche blanchi dudomaine de Borie, au milieu d’un silence de soleil et d’été. Alorsun immense regret me prenait des vacances passées ; tristementje constatais le recul où elles étaient déjà dans les tempsaccomplis et le lointain où se tenaient encore les vacances àvenir ; puis d’autres sentiments inexpressibles m’arrivaientaussi, sortis toujours des mêmes insondables dessous, et complétantun bien étrange ensemble.
Ce rapprochement du papillon, de la chanson etde Borie, continua longtemps de me causer des tristesses que toutce que j’ai essayé de dire n’explique pas suffisamment ; celadura jusqu’à l’époque où un grand vent d’orage passa sur ma vie,emportant la plupart de ces petites choses d’enfance.
Quelquefois, en présence du papillon, dans lecalme gris des soirs d’hiver, j’allais jusqu’à chanter moi-même lepetit refrain plaintif de la « bonne histoire » en mefaisant la voix très flûtée qu’il fallait ; alors le porche deBorie m’apparaissait plus nettement encore, lumineux et désolé, parun midi de septembre ; c’était un peu comme l’association quis’est faite plus tard dans ma tête entre les chants en faussetplaintif des Arabes et les blancheurs de leurs mosquées, lessuaires de chaux de leurs portiques…
Il existe encore, ce papillon, dans toutl’éclat de ses deux nuances bizarres, momifié sous sa vitre, aussifrais qu’autrefois, et il est resté pour moi une sorte de gri-griauquel je tiens beaucoup. Ces petits de Sainte-Hermangarde, – quej’ai perdus de vue depuis des années et qui sont maintenantattachés d’ambassade quelque part en Orient, – s’ils lisent ceci,seront bien étonnés sans doute d’apprendre quel prix lescirconstances ont donné à leur cadeau.