Le Roman d’un enfant

LXXXII

Nous croyions, ma sœur et moi, revenir encorel’été suivant dans ce village…

Mais Azraël passa sur notre route ; deterribles choses imprévues bouleversèrent notre tranquille et doucevie de famille.

Et ce ne fut que quinze années plus tard,après avoir couru le monde entier, que je revis ce coin de laFrance.

Tout y était bien changé ; l’oncle et latante dormaient au cimetière ; les grands cousins étaientdispersés ; la cousine, qui avait déjà quelques fils d’argentmêlés à ses cheveux, se préparait à quitter pour toujours ce pays,cette maison vide où elle ne voulait plus rester seule ; et laTiti, la Maricette (qui ne s’appelaient plus ainsi) étaientdevenues de grandes jeunes filles en deuil que je ne savais plusreconnaître.

Entre deux longs voyages, pressé commetoujours, ma vie allant déjà son train de fièvre, je revenais là,moi, pour quelques heures seulement, en pèlerinage de souvenir,voulant revoir encore une fois cette maison de l’oncle du Midi,avant qu’elle fût livrée à des mains étrangères.

C’était en novembre ; un ciel sombre etfroid changeait complètement les aspects de ce pays, que je n’avaisjamais connu qu’au beau soleil des étés.

Ayant passé mon unique matinée à revoir millechoses, avec une mélancolie toujours croissante, sous ces nuagesd’hiver, – j’avais oublié ce vieux jardin et ce berceau de vigne àl’ombre duquel s’était décidée ma vie, et je voulus y courir, à ladernière minute avant le départ de la voiture qui allait m’emporterpour jamais.

« Vas-y seul, alors ! » me ditla cousine, empressée elle aussi à faire fermer des caisses. Etelle me remit la grosse clef, la même grosse clef que j’emportaisautrefois quand je m’en allais en chasse, ma papillonnette à lamain, aux heures lumineuses et brûlantes des jours passés…Oh ! les étés de mon enfance, qu’ils avaient été merveilleuxet enchanteurs…

Pour la dernière des dernières fois, j’entraidans ce jardin, qui me parut tout rapetissé, sous le ciel gris.

J’allai d’abord à ce berceau du fond, –effeuillé, désolé aujourd’hui, – où j’avais écrit à mon frère malettre solennelle, et, à l’aide toujours de cette même brèche dumur qui me servait jadis, je me hissai sur le faîte, pour regarderfurtivement la campagne d’alentour, lui dire à la hâte un suprêmeadieu : le domaine de Borie m’apparut, alors, singulièrementrapproché et rapetissé lui aussi ; méconnaissable, comme dureste ces montagnes du fond qui avaient l’air de s’être abaisséespour n’être plus que de petites collines. Et tout cela, que j’avaisvu jadis si ensoleillé, était sinistre aujourd’hui sous ces nuagesde novembre, sous cette lumière terne et grise. J’eus l’impressionque l’arrière automne était commencé dans ma vie, en même temps quesur la terre.

Et du reste, le monde aussi, – le monde que jecroyais si immense et si plein d’étonnements charmeurs, le jour oùje m’étais accoudé sur ce même mur, après ma grande décision prise,– le monde entier ne s’était-il pas décoloré et rétréci à mes yeuxautant que ce pauvre paysage ?…

Oh ! surtout cette apparition du domainede Borie, semblable à un fantôme de lui-même sous un ciel d’hiver,me causait une mélancolie sans bornes.

Et en le regardant, je repensai au papillon« citron-aurore » qui existait toujours sous sa vitre, aufond de mon musée d’enfant ; qui était resté à sa même place,avec des couleurs aussi fraîches, pendant que j’avais couru partoutes les mers… Depuis bien des années, j’avais oubliél’association de ces deux choses, et, dès que le papillon jaune mefut revenu en mémoire, ramené par le porche de Borie, j’entendis enmoi-même une petite voix qui reprenait tout doucement :

« Ah ! ah ! la bonnehistoire !… » Et la petite voix était flûtée etbizarre ; surtout elle était triste, triste à faire pleurer,triste comme pour chanter, sur une tombe, la chanson des annéesdisparues, des étés morts.

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