Le Roman d’un enfant

XLVII

Très vite je m’étais attaché à mon grandcousin et à ma grande cousine de là-bas, les tutoyant comme si jeles avais toujours connus. Je crois qu’il faut le lien du sang pourcréer de ces intimités d’emblée, entre gens qui, la veille,ignoraient même l’existence les uns des autres. J’aimais aussi mononcle et ma tante ; ma tante surtout, qui me gâtait un peu,qui était extrêmement bonne et belle à regarder encore, malgré sessoixante ans, malgré ses cheveux tout gris, sa mise de grand-mère.Elle était une personne comme il n’en existera bientôt plus, ànotre époque où tout se nivelle et tout se ressemble. Née dans lesenvirons, d’une des familles les plus anciennes, elle n’étaitjamais sortie de cette province de France ; ses manières, sonhospitalité aimable, sa courtoisie, portaient un cachet local, etce détail était pour me plaire.

Par opposition avec mon petit passé calfeutré,je vivais ici complètement dehors, dans les chemins, sur lesportes, dans les rues.

Et elles étaient étranges et charmantes pourmoi, ces rues étroites, pavées de cailloux noirs comme en Orient,et bordées de maisons gothiques ou Louis XIII.

Je connaissais à présent tous les recoins,places, carrefours, ruelles de ce village, et la plupart des bonnesgens campagnards qui y habitaient.

Ces femmes qui passaient devant la maison demon oncle, paysannes avec des goitres, revenant des champs et desvignes avec des corbeilles de fruits sur la tête, s’arrêtaienttoujours pour m’offrir les raisins les plus dorés, les plusdélicieuses pêches.

Et j’étais charmé aussi de ce patoisméridional, de ces chants montagnards, de tout cet incontestabledépaysement, dont l’impression me revenait de partout à lafois.

Encore aujourd’hui, quand il m’arrive de jeterles yeux sur quelqu’un de ces objets que je rapportais de là-baspour mon musée, ou sur quelqu’une de ces petites lettres quej’écrivais chaque jour à ma mère, je sens tout à coup comme dusoleil, de l’étrangeté neuve, des odeurs de fruits du Midi, del’air vif de montagne, et je vois bien alors qu’avec mes longuesdescriptions, dans ces pages mortes, je n’ai rien su mettre de toutcela.

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