Le Roman d’un enfant

XXVIII

Cependant, je passais aussi de longues heures,hélas ! à faire soi-disant mes devoirs.

Töpffer, qui a été le seul véritable poète desécoliers, en général si incompris, les divisait en troisgroupes :

1° ceux qui sont dans les collèges ;

2° ceux qui travaillent chez eux, leur fenêtredonnant sur quelque fond de cour sombre avec un vieux figuiertriste ;

3° ceux qui, travaillant aussi au logis, ontune petite chambre claire, sur la rue.

J’appartenais à cette dernière catégorie, queTöpffer considère comme privilégiée et devant fournir plus tard leshommes les plus gais. Ma chambre d’enfant était au premier sur larue : rideaux blancs, tapisserie verte semée de bouquets deroses blanches ; près de la fenêtre, mon bureau de travail,et, au-dessus, ma bibliothèque toujours très délaissée.

Tant que duraient les beaux jours, cettefenêtre était ouverte, – les persiennes demi-closes, pour mepermettre d’être constamment à regarder dehors sans que mesflâneries fussent remarquées ni dénoncées par quelque voisinmalencontreux. Du matin au soir, je contemplais donc ce bout de ruetranquille, ensoleillé entre ces blanches maisonnettes de provinceet s’en allant finir là-bas aux vieux arbres du rempart ; lesrares passants, bientôt tous connus de visage ; les différentschats du quartier, rôdant aux portes ou sur les toits ; lesmartinets tourbillonnant dans l’air chaud, et les hirondellesrasant la poussière du pavé…

Oh ! que de temps j’ai passé à cettefenêtre, l’esprit en vague rêverie de moineau prisonnier, tandisque mon cahier taché d’encre restait ouvert aux premiers mots d’unthème qui n’aboutissait pas, d’une narration qui ne voulait passortir…

L’époque des niches aux passants ne tarda pasà survenir ; c’était du reste la conséquence fatale de cedésœuvrement ennuyé et souvent traversé de remords.

Ces niches, je dois avouer que Lucette, magrande amie, y trempait quelquefois très volontiers. Déjà jeunefille, de seize ou dix-sept ans, elle redevenait aussi enfant quemoi-même à certaines heures. « Tu sais, tu ne le diras pas aumoins ! » me recommandait-elle, avec un clignementimpayable de ses yeux si fins (et je le dis, à présent que lesannées ont passé, que l’herbe d’une vingtaine d’étés a fleuri sursa tombe).

Cela consista d’abord à préparer de gentilspaquets, bien enveloppés de papier blanc et bien attachés defaveurs roses ; dedans, on mettait des queues de cerises, desnoyaux de prunes, de petites vilenies quelconques ; on jetaitle tout sur le pavé et on se postait derrière les persiennes pourvoir qui le ramasserait.

Ensuite, cela devint des lettres, – deslettres absolument saugrenues et incohérentes, avec dessins àl’appui intercalés dans le texte, – qu’on adressait aux habitantsles plus drolatiques du voisinage et qu’on déposait sournoisementsur le trottoir à l’aide d’un fil, aux heures où ils avaientcoutume de passer…

Oh ! les fous rires que nous avions, encomposant ces pièces de style ! – D’ailleurs, depuis Lucette,je n’ai jamais rencontré quelqu’un avec qui j’ai pu rire d’aussibon cœur, – et presque toujours à propos de choses dont la drôlerieà peine saisissable n’eût déridé aucun autre que nous-mêmes. Enplus de notre bonne amitié de petit frère à grand-sœur, il y avaitcela entre nous : un même tour de moquerie légère, un accordcomplet dans notre sentiment de l’incohérence et du ridicule. Aussilui trouvais-je plus d’esprit qu’à personne, et, sur un seul motéchangé, nous riions souvent ensemble, aux dépens de notre prochainou de nous-mêmes, en fusée subite, jusqu’à en être pâmés, jusqu’ànous en jeter par terre. Tout cela ne cadrait guère, je lereconnais, avec les sombres rêveries apocalyptiques et les gravescontroverses religieuses. Mais j’étais déjà plein de contradictionsà cette époque…

Pauvre petite Lucette ou Luçon (Luçon était unnom propre masculin Singulier que je lui avais donné ; jedisais : Mon bon Luçon) ; pauvre petite Lucette, elleétait pourtant un de mes professeurs, elle aussi ; mais unprofesseur par exemple qui ne me causait ni dégoût ni effroi ;comme M. Ratin, elle avait un cahier de notes, sur lequel elleinscrivait des bien ou des très bien et que j’étais tenu de montrerà mes parents le soir. – Car j’ai négligé de dire plus tôt qu’elles’était amusée à m’apprendre le piano, de très bonne heure, encachette, en surprise, pour me faire exécuter un soir, à l’occasiond’une solennité de famille, l’air du Petit Suisse et l’air duRocher de Saint Malo. – Il en était résulté qu’on l’avait priée decontinuer son œuvre si bien commencée, et que mon éducationmusicale resta entre ses mains jusqu’à l’époque de Chopin et deLiszt.

La peinture et la musique étaient les deuxseules choses que je travaillais un peu.

La peinture m’était enseignée par masœur : mais je ne me rappelle plus mes commencements, tant ilsfurent prématurés ; il me semble que de tout temps j’ai su,avec des crayons ou des pinceaux, rendre à peu près sur le papierles petites fantaisies de mon imagination.

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