L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE III – Helen s’installe

Grâce à la recommandation de M. RobertGreen, Helen Holmes avait été immédiatement placée dans les bureauxde l’exploitation de la nouvelle ligne de la Central Trust.

Du somptueux palais de New York ou même del’élégant cottage qu’elle venait de quitter à la grande maison debois qui allait être désormais sa patrie, la transition étaitbrutale, mais nous l’avons déjà dit Helen était une vaillante etson énergie savait accepter les plus rudes efforts pour parvenir aubut fixé.

Désormais, Helen suivait, sans défaillir, laroute de vie qu’elle s’était tracée.

Elle ne reculerait devant rien, elle ne selaisserait rebuter par nul obstacle jusqu’au jour où elle pourraitenfin réaliser sa volonté.

La tâche était nette.

Il s’agissait de retrouver le plan volé, ceplan du tunnel des montagnes du Diable qui avait été l’œuvre et lapensée de son père, ce plan sans lequel il était impossible deréaliser d’une façon pratique et rémunératrice la ligne d’Omaha àSan Francisco.

Ce plan, elle l’aurait.

En attendant, bien sagement assise à sa table,Helen Holmes travaillait dans la grande baraque en bois qui servaitd’abri aux bureaux de la Central Trust Railway, au camp de LastChance.

Un ingénieur entra.

– Bonjour, miss Holmes.

– Bonjour, monsieur Dickson.

– Avez-vous fini d’établir les feuillesde service.

– Oui, monsieur, les voici.

Et Helen tendait les papiers à Dickson.

– Ah ! pardon, fit l’ingénieur en seravisant. Il y a une petite modification que je vous prie de faire.Car c’est le mécanicien Storm qui partira avec le 18 au lieu dePhilippe.

– Bien, monsieur.

Helen reprit le papier, fit le changement denom demandé et rendit le bordereau à l’ingénieur.

Quand elle fut seule, elle se mit àsonger.

George Storm…

Quand elle était arrivée à Last Chance etaprès avoir vu M. Fowler, l’agent principal qui lui avaitexpliqué le travail qu’elle aurait à faire, la première personnequ’elle avait rencontrée avait été Storm qui descendait de samachine.

– George ?…

– Miss Helen.

– Que je suis content de vous voir.

– Et moi aussi ! miss Helen, bienheureux. Par quel prodigieux hasard vous trouvez-vous à LastChance ? Helen eut un grand rire, si franc, si frais.

– Parce que j’y suis employée.

– Employée ! !

– Au secrétariat de la direction. Stormouvrait des yeux immenses.

– Vous, vous, répétait-il, abasourdi,employée au camp. Vous, la fille du président de la CentralTrust.

– Hélas ! mon ami, le président estmort et sa fille est ruinée.

– Ruinée !…

– Complètement… Je n’ai pour toutefortune, actuellement, que les mille deux cents dollars quicomposaient ma bourse particulière.

– Et Cedar Grove ?

– Vendu !

– Et l’argent de la vente ?

– A servi à payer les dettes de monpère.

– Ruinée ! ruinée ! répétaitStorm, qui ne pouvait se faire à cette idée que miss Helen Holmesne possédait plus qu’un millier de dollars.

Helen éclata de rire.

– M’aimez-vous moins ? George, parceque je n’ai plus un sou.

– Ah ! pardieu, miss Helen, s’écriachaleureusement le mécanicien et s’il faut dire la vérité toutentière, j’aime presque mieux qu’il en soit ainsi.

– Et pourquoi donc, George ? demandahardiment la jeune fille.

– Parce que, parce que… répétait George,embarrassé, et qui, comprenant qu’il venait de faire une bêtise, sesentait devenir rouge comme une pomme.

– Enfin, vous avez une raison !…

– Oui, miss Helen, mais elle est si bête,que je ne veux pas la dire.

– Vous savez, George, que je n’aime pasles cachotteries.

– Eh bien ! fit brusquement Storm,en prenant son parti : c’est parce que maintenant, je pourraivous voir plus souvent.

– Ça ! c’est une explication, à larigueur.

– Pensez donc, miss Helen, je passe tousles jours ici, moi, je suis affecté au service de la ligne deFrisco au camp, je transporte les travailleurs, les matériaux, lesexplosifs ; alors, souvent, entre deux trains, je pourrai vousdire un petit bonjour, et je serai bien content, miss Helen.

– Avant toutes choses, George, je vousprie de laisser dorénavant de côté, les cérémonies, je vous appelleGeorge, appelez-moi Helen.

– Je n’oserai jamais.

– Quoi de plus naturel ! Nesommes-nous pas deux bons camarades qui travaillons chacun de notrecôté pour gagner notre vie, n’est-ce pas George ?

– Certainement, miss Helen.

– Encore !

– Laissez-moi le temps de m’y faire,répondit en riant le mécanicien, ça me semble si drôle.

– Est-ce que nous ne nous appelions pasainsi, autrefois ?

– Autrefois, nous étions deux gamins.

– Aujourd’hui, nous sommes deuxcamarades ; est-ce dit, George ?

– C’est dit, Helen !

– À la bonne heure !

– Alors… la main.

– Je ne peux pas !

– Pourquoi ?…

– Elle est si noire !

Et piteusement, George tendait sa main toutencrassée de charbon, d’huile, de poussière.

– Qu’est-ce que ça peut faire !s’écria joyeusement Helen, et sa main nerveuse et fine vint se lierà la main robuste de Storm.

– Oh ! miss Helen, c’est-à-direHelen, fit George, consterné.

– J’en serai quitte pour me laver lesmains tout à l’heure, nigaud. Elle ajouta, subitementsérieuse :

– Je vais même y aller tout de suite, caril faut que je me présente à M. Fowler.

– L’agent principal !

– Lui-même.

– C’est un bon garçon. Je vais vousconduire.

– Mais… ma main !

– Ah ! c’est vrai, dit George enriant. Venez jusqu’à ma machine. Les deux jeunes gens firentquelques pas et se trouvèrent tout de suite près des voies.

Une puissante machine haletait doucement,comme quelqu’un qui reprend son souffle, après une longuecourse.

– C’est ma Catherine, dit Storm, enflattant de la main le monstre d’acier, c’est une bonne fille.Puis, il appela « Sammy ! ».

Un chauffeur, noir comme un cafre etruisselant de sueur, apparut sur le plateforme.

– Descends un seau d’eau et du savon.

Une minute plus tard, Helen pouvait enfin selaver les mains.

– Grand Dieu ! dit-elle, riant etfurieuse, en retirant du seau ses menottes dégouttantes d’eausavonneuse, avec quoi vais-je m’essuyer.

Obligeamment, Sammy tira du coffre de lamachine un vieux chiffon graisseux.

– Es-tu fou, animal ! s’écriaGeorge.

– J’ai bien mon mouchoir, gémissaitHelen, mais il est trop petit.

– J’ai bien mon mouchoir, riposta Storm,mais il est bien grand.

– Tant mieux, tant mieux, vite, vite,donnez votre mouchoir, George !

Le jeune homme plongea sa main sous sajaquette de cuir et tira avec mille précautions de la poche de sonveston, un énorme mouchoir bien blanc, qui aurait pu faire aisémentune sorte de foc pour un bateau de petit tonnage.

– Il est merveilleux ! dit Helen, ens’en emparant. Quand la toilette de la jeune fille fut terminée,elle dit :

– Conduisez-moi vite auprès deM. Fowler, j’ai peur d’être en retard !

Les deux jeunes gens se hâtèrent vers lesbureaux.

Au moment d’entrer dans le baraquement, Georgedit à Helen :

– Où déjeunez-vous ?

– Je n’en sais absolument rien.

– Alors je vous invite.

– Et j’accepte.

– Je reviendrai vous prendre à midi.

– Entendu !

Les deux jeunes gens se séparèrent. Helenentra dans la maison de bois, tandis que George retournait auprèsde sa machine.

*

**

À midi tapant, George Storm faisait son entréedans le bureau.

Helen finissait de ranger ses papiers et sesporte-plumes.

– Êtes-vous prête, Helen ?

– Je suis à vos ordres, monsieur lemécanicien ! répondit en riant Helen.

En un tour de main elle mit son chapeau,endossa sa jaquette.

– Où m’emmenez-vous ? demanda Helen,en sortant.

– À la cantine ! On n’a guère lechoix du restaurant ici. Helen fit une petite moue.

– Écoutez, George ! Ce n’est pas unepose de ma part, mais pour le premier jour, j’aimerais bien quevous trouvassiez quelque chose de plus… calme, de plus intime, quela cantine du camp de Last Chance.

– Diable ! diable ! répétait lemécanicien, en se grattant la tête.

Tout à coup, son visage s’éclaira.

– J’ai trouvé ! s’écria-t-iljoyeusement, nous allons aller demander à déjeuner à Sammy.

– Sammy !… le nègre ?

– Oui, mon chauffeur… Il doit être à peuprès blanc, maintenant, il est installé au camp avec sa femme, quiest charmante. Ils m’aiment bien, tous les deux, ils ne nousrefuseront pas l’hospitalité.

Sam Rowland et sa femme, Ketty, habitaient unepetite maison en bois, comme toutes les constructions ducamp ; mais, Sammy, qui avait tout à fait des idéesoriginales, avait badigeonné sa maison de raies énormes, vertes,bleues et blanches, d’un aspect extrêmement pittoresque.

Au moment où Helen et George se présentaient,Sammy perfectionnait justement son œuvre. Au moyen d’un pot decouleur garance et d’un pinceau colossal, il peignait sur lesbandes vertes des fleurs rouges, de l’effet le plusréjouissant.

En quelques mots, George expliqua à sonchauffeur ce qu’il désirait. Celui-ci, avant de répondre, ditsimplement :

– Il faut que je demande à mongouvernement. Et il appela, d’une voix de stentor :

– Ketty ! Ohé ho, Ketty !

Une petite femme blonde et toute mignonne,parut sur le seuil. Elle était fraîche, rose et avait les plusjolis yeux bleus du monde.

– Bonjour, monsieur Storm ! dit-elleavec un sourire au mécanicien.

– Il ne s’agit pas de ça, Ketty !rugit Sam, en brandissant le pinceau qu’il avait conservé au poing,il ne s’agit pas de ça. Voilà, le patron qui voudrait savoir si tupeux lui donner à déjeuner, ainsi qu’à mademoiselle ?

– Vous nous rendriez service, ma bonneKetty, appuya George. Miss Holmes est employée au camp, depuis cematin, et pour le premier jour, elle n’a pas voulu manger à lacantine.

– Et vous avez bien raison, miss Holmes.La cantine ! Ah ! c’est du joli !… Une caverned’ivrognes… Si mon Sammy y mettait seulement le bout des pieds, ilverrait la bonne volée qu’il recevrait.

Cette affirmation de ce petit bout de femmedéclarant qu’elle rosserait ce colosse – Sam avait bien six pieds –était tellement drôle, que tout le monde éclata de rire.

– Et ce ne serait pas la première !affirma Ketty, qui tenait à prouver que c’était elle qui portaitles culottes.

– C’est bon ! c’est bon !grommelait Sammy, on sait que tu es mon gouvernement, mais c’est dudéjeuner qu’il s’agit.

– Pour une fois, mon homme, et parhasard, tu dis une parole sensée.

– Monsieur Storm, continua-t-elle, ens’adressant à George, et vous, miss Holmes, accordez-moi vingtminutes et j’espère vous servir un petit déjeuner qui ne sera pasbien extraordinaire, mais que je soignerais de mon mieux.

Laissant le camp à leur gauche, les deuxjeunes gens descendirent jusqu’aux rives de la Garana, une petiterivière qui est un des affluents du San Joachim, et dont les bordsfleuris de roseaux et de grands osiers offraient une retraitefraîche et charmante.

Quand ils furent éloignés de tout voisinageindiscret, Helen, dont le joli visage était devenu subitementgrave, dit à George Storm.

– George, je compte sur vous pour m’aiderdans une grande chose, que je rêve d’entreprendre.

– Vous savez que je vous suis toutdévoué, Helen, dévoué jusqu’à la mort, ne m’avez-vous pas déjàsauvé la vie. Vous pouvez disposer de moi à votre fantaisie.

– Que pensez-vous du plan qu’on a volédans la caisse de ce pauvre papa ?

– Je pense que si je tenais là le gredinqui a fait le coup, il passerait un vilain quart d’heure.

– Il ne suffit pas de menacer en vain,comme un enfant bavard, il faut agir comme un homme.

– Je vous répète que je vous suisacquis.

– Bon, à partir de ce moment, il faut,comme moi, vous consacrer à la recherche du plan du tunnel desmontagnes du Diable.

– Avez-vous des soupçons ?

– Oui, et je vous le dirai tout àl’heure. Pour le moment, qu’il vous suffise de savoir que l’hommeque nous avons arrêté a déclaré aux juges que le plan est resté auxmains de son complice, un certain Lefty, qui s’est échappé.

– Alors, il faut courir après Lefty.Helen eut un mystérieux sourire.

– Je ne crois pas que ce soit la bonnepiste, dit-elle.

– Il est certain que les deux gredinsn’ont pas volé le plan pour leur compte personnel. Ils ne sont dansl’aventure que des instruments. Il faut donc chercher du côté deceux qui ont été les instigateurs du crime.

– Alors !…

– Alors, dans cet ordre d’idées notrecercle d’investigations se rétrécit bien vite. Qui avait intérêt àdérober le plan du tunnel ? Des concurrents de la CentralTrust ? Quels sont les concurrents de la Central Trust ?Les gens de la Colorado Railway.

– Oui, oui, ce doit être cela, ditvivement Storm, qui suivait avec un intérêt passionné lesdéductions de la jeune fille, et parmi tous ces gens de laColorado, il y en a un surtout, qui ne me dit rien qui vaille.

– Lequel ?

– Fritz Dixler… Oui, d’ailleurs cethomme, je le hais, instinctivement, sans pouvoir m’expliquerpourquoi.

– L’autre jour, il vous a refusé lamain.

– Je m’en moque. Le jour où je voudrailui apprendre la politesse, je vous jure que je lui donnerai unebonne leçon. Mais ce n’est pas pour la grossièreté que je ledéteste, c’est parce que je sens, je suis sûr, que cet homme vousfera du mal.

– Vous êtes fou, George, dit Helen avecson joli rire, M. Dixler est mon flirt.

– Que dites-vous ?

– Était mon flirt, serait peut-être plusexact, car depuis six semaines Helen Holmes n’est plus, au lieu dela riche héritière qu’on pourrait convoiter, qu’une pauvre filleemployée dans une compagnie de chemins de fer et gagnant trentedollars par semaine.

– Comment ! ce misérable sepermettait de vous faire la cour ?

Et Storm avait les yeux brillants, les poingsserrés, la bouche mauvaise.

Helen l’observait avec un malicieuxsourire.

– Oh ! comme vous êtes en colère,George.

Le mécanicien rougit encore une foisviolemment, et balbutia :

– Qu’est-ce que vous voulez ? missHolmes, quand je pense que ce misérable vous a manqué de respect,je deviens fou !

– Qu’est-ce que vous me chantez là. SiM. Dixler m’avait manqué de respect, je suis assez grandefille pour lui apprendre le savoir-vivre, mais il ne s’agit de riende semblable. M. Dixler a flirté avec moi, mais comme un hommebien élevé flirte avec une jeune fille du monde.

– Cependant ?

– Et puis cela ne vous regarde pas, coupaHelen, qui avait de la peine à s’empêcher de rire, en voyant l’airdéconfit que prenait Storm. Ce dont il faut nous occupermaintenant, c’est du plan et du plan seulement.

À ce moment, la voix formidable de Sam Rowlandretentit :

– Patron, criait-il, mon gouvernementvous fait dire que le déjeuner est prêt.

– Tant mieux, dit Helen, car j’ai grandfaim. Dépêchez-vous, George.

Et les deux jeunes gens se dirigèrent à grandspas vers la maisonnette bariolée.

Ils n’étaient pas éloignés de cent mètres desrives de la Garana, qu’une touffe de roseaux s’écartait doucementet que le beau visage de Dixler apparaissait dans la verdure.

– Je regrette d’être arrivé trop tard,murmura-t-il, car je crois bien que ces deux tourtereaux parlaientde moi. Ma parole, continua-t-il, en haussant les épaules, cetimbécile de mécanicien semblait être jaloux de moi…

L’Allemand demeura quelque temps immobile, lesyeux fixés sur la fine silhouette de Helen, qui s’éloignait.

– C’est qu’elle est charmante, reprit-ilau bout d’un moment, oui… mais elle n’a plus le sou !

Il réfléchit encore un peu, eut un mauvaissourire et ajouta :

– Ce serait amusant tout de même…bah ! pourquoi pas ! enfin, nous verrons.

Il alluma une cigarette et reprit lentement lechemin de Pole Creek (le ruisseau de la perche).

Le camp et les chantiers de la Compagnie duColorado s’étendaient sur la rive droite de la Garana. Tout enmarchant, Dixler contemplait avec une sorte d’orgueil cette immensecité ouvrière, qu’il avait créée par son intelligence et qu’ilanimait par sa volonté.

Il se détourna un instant pour regarder lecamp de Last Chance.

Il eût un sourire de pitiéméprisant :

– Ah ! ils pourraient travaillerceux-là, c’était la ruine certaine au bout de l’effort.

Ce que Dixler s’expliquait mal, c’étaitl’obstination de Hamilton à poursuivre l’ancien tracé de Holmes etqui n’avait aucune chance de succès, puisqu’il n’avait plus en sapossession le plan du tunnel des montagnes du Diable.

À ce moment, un nègre qui arrivait en courants’arrêta devant l’Allemand :

– Qu’y a-t-il Platon ?

– Massa ! c’est un homme qui estdans la case et qui veut parler à toi.

– Il a dit son nom ?

– Spike qu’il a dit, massa, oui Spike,c’est bien ce nom-là.

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