L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE II – Spike passe un mauvaisquart d’heure

Spike, sous sa tente, rêvait tristement.

Ah ! ce damné Dixler, comme il le tenaitbien. Pauvre Spike ! un moment, il avait cru pouvoir devenirun honnête homme, mais le sale Allemand était là, qui le guettaitet qui, au moment où il allait s’évader du crime, lui posait lamain sur l’épaule et lui disait :

– Je te garde, tu es à moi, tucontinueras à me servir, malgré ta volonté.

Spike eut un mouvement de rage.

La pensée de Helen le torturait, qu’allaitpenser de lui la jeune fille ? Elle avait été si bonne, siconfiante. Et ces beaux habits qu’elle lui avaitachetés !…

Au fait, ces habits, il ne pouvait pas lesgarder, maintenant. Non, non cela il ne fallait pas le faire…

Avec un gros soupir, Spike se leva, prit dansson coffre son complet, soigneusement plié, et sa cape, et sedirigea vers les bureaux.

Tout à coup, il aperçut Helen devant lui. Unmoment, il eut l’idée de tourner les talons et de s’enfuir, mais ilétait trop tard. La jeune fille l’avait vu et lui faisaitsigne.

– Tiens ! lui dit-elle en riant,vous déménagez ?

– Ce sont les habits que vous m’avezdonnés, miss Helen.

– Je vois bien.

– Je vous les rapporte.

– Ils ne vous plaisent pas ?

– Ils me plaisent beaucoup, au contraire,mais je ne puis plus les garder.

– Pourquoi ?

– Parce que je ne suis plus un honnêtehomme.

– Voyons, Spike, tâchez de parlerclairement, mon ami. L’ancien forçat se gratta la nuque avecénergie.

– C’est que c’est très difficile à dire,miss Helen… C’est à cause de M. Dixler.

– De Dixler ?

– Oui, si je ne continue pas à faire pourlui la sale besogne pour laquelle il m’a embauché, je suis un hommeperdu.

– Vous devez exagérer.

– Hélas ! non, miss Holmes. C’estbien la vérité que je vous dis là.

– Expliquez-moi pourtant comment il sefait que vous seriez perdu si vous vous sépariez de Dixler.

– Ah ! voilà… C’est justement ce queje ne peux pas vous expliquer.

– Allons, dit Helen avec colère, je voisce que c’est, vous aimez mieux rester avec des coquins.

– Tenez, miss Helen, je vais tout vousdire… c’est à cause… Mais Spike s’arrêta net.

– Eh bien ?

– Non, non, je ne peux pas. Ça ne veutpas sortir du gosier. À vous, à vous, surtout, miss Helen, je nepeux pas dire… Ah ! tonnerre de sort… C’est dur,pourtant !…

« En tous cas, reprenez ces habits.

Et avant que la jeune fille ait pu l’enempêcher, il lui posa le paquet sur les bras.

– Vous êtes un vilain bonhomme, monsieurSpike, s’écria Helen, dont les beaux yeux lançaient des éclairs.Allez-vous-en, je ne veux pas vous voir !

Spike courba l’échine et s’en alla d’un airpiteux.

Storm et Hamilton, qui avaient vu de loin lascène, s’approchèrent.

– Qu’est-ce qu’il y a Helen, demanda ledirecteur ?

– Il y a, vieux Ham, que je vous demandede chasser Spike de vos chantiers.

– Mais il vous a sauvé la vie, ma petitefille !

– C’est possible, mais je ne veux plus levoir. Il a eu l’aplomb de venir me dire qu’il faut qu’il reste auservice de Dixler.

– Hé ! mais, interrompit Storm,voyez donc ce qui se passe là-bas ? Hamilton et la jeune filleregardèrent dans la direction indiquée.

– Ah ! mon Dieu ! s’écriaHelen, mais c’est Spike qu’ils assomment. Oh ! les lâches… ilssont cent contre lui. Vite, vite, George, il ne faut pas permettrecela !

Storm appela une équipe d’ouvriers déchargeantun wagon, et tous s’élancèrent à la voix du mécanicien.

Après l’incident de la maison de Cassidy,Dixler, voulant poursuivre malgré tout, s’était adressé au districtde Las Vegas, pour acheter un terrain qui lui permit le passage. Augrand étonnement de l’Allemand, et malgré le prix élevé qu’iloffrait, la commune refusa.

Exaspéré par la résistance, l’Allemand, quivenait de rencontrer le procureur d’Oceanside, ne lui cacha pas quesi la commune s’obstinait, il licencierait immédiatement sesouvriers, en ne leur dissimulant pas le motif de l’arrêt destravaux.

– Étant donnés les gaillards qui formentvos équipes, répondit le procureur, une pareille manœuvre pourraitêtre dangereuse et je ne vous la conseille pas. Vos hommes, pour laplupart, ne sont pas des Américains, ce sont des bandits de sac etde corde, rebuts de tous les pays qui profiteraient du prétextepour mettre Las Vegas à feu et à sang.

Dixler eut un ricanement féroce.

– C’est bien ce que j’espère, dit-il.

– Vous allez vous mettre dans un trèsmauvais cas.

– Pourquoi me refuse-t-on lepassage ?

– Je n’en sais rien, mais croyez-moi, nefaites rien avant d’avoir encore tenté une démarche. Voulez-vousque je vous accompagne ? Nous verrons les autorités àOceanside, et peut-être trouverons-nous un moyen d’arranger leschoses.

Dixler parut réfléchir.

– Soit, dit-il enfin.

– Alors, je vous attends au train, dansune demi-heure.

– C’est entendu.

Les deux hommes se séparèrent.

Le procureur se rendit à la gare.

Dixler retourna vers les chantiers.

L’Allemand se trouva bientôt en présence deDock. Il l’appela, ainsi que Bill, son inséparable.

– Mes garçons, dit l’ingénieur, en tirantun papier de sa poche, vous allez faire taper cette note et ensuitevous l’afficherez un peu partout.

Dock jeta les yeux sur le papier et lut touthaut :

OUVRIERS DE POLE CREEK

Les machinations de nos ennemis nousforcent à interrompre le travail dès aujourd’hui.

Je ne sais si j’aurai la possibilité de lereprendre. Je vous aviserai demain.

En tout cas, votre semaine vous seraintégralement payée aujourd’hui même.

Le directeur des travaux,

F. DIXLER.

– Ça va en faire un pétard, remarquaBill, en mâchonnant sa cigarette.

– C’est bien ce que j’attends. Vouspourrez même chauffer à blanc ceux que vous verrez les plusexcités. Il y aurait quelques têtes carrées du côté des chantiersde Last Chance que je n’en serais pas autrement mécontent.

– Soyez tranquille, patron, onchauffera.

– Je compte sur vous. Envoyez-moi lescontremaîtres et les chefs de chantiers.

Vingt minutes après, il remettait aux chefsd’équipe l’argent de la paye et se rendait à la gare où ilretrouvait le procureur.

Le train allait partir.

Il sauta dans le wagon avec le magistrat.

Une minute plus tard, le train filait versOceanside.

*

**

Dock et Bill accomplirent en conscience leurbesogne. Bientôt, la note de Dixler était affichée sur les poteaux,sur les grues, sur les wagons. Les ouvriers se groupaient etcommentaient la nouvelle avec violence.

– Quel cochon, ce Dixler, disait unIrlandais, de taille athlétique.

– Ferme donc ça, Mac Leod, ce n’est pas àDixler qu’il faut s’en prendre, repartait Bill.

– À qui donc, beau merle ?

– À ceux qui nous en veulent,parbleu ! appuya Dock, aux gens de la Central…

– Oui, oui, firent des voix, c’est lafaute aux hommes de Last Chance.

– Et puis, aussi, et puis surtout, c’estla faute aux mouchards qui rôdent parmi nous, renchérit Dock.

– Oh ! toi, tu vois des mouchardspartout, à t’entendre, ça serait plein d’espions, ici.

– En tout cas, mon garçon, en voici unque tu connais bien… Il est toujours fourré avec le vieux Hamilton.Encore tout à l’heure, il racontait ses boniments à missHolmes.

Celui que l’on désignait ainsi à la vindictepublique n’était autre que Spike qui marchait la tête basse, tout àson chagrin, ne prêtant aucune attention à ce qui se passait autourde lui.

– Ne me touche pas, mouchard ! fitune voix rude, tu me salis !

– Qui donc m’appelle mouchard ? ditle vieux comédien en relevant le front.

– C’est moi, Dock.

– Ah ! c’est toi, vermine. Encaissecelui-là pour t’apprendre à tenir ta langue.

Et Dock, qui n’était pas sur ses gardes, reçutun copieux coup de poing qui lui mit le nez à sang.

– À mort, à mort ! rugirent centvoix.

– Ah çà ! répliqua Spike,perdez-vous la boule. Laissez-moi m’expliquer avec Dock d’abord, jevous répondrai ensuite.

Mais vingt bras se levaient sur lui. Il reçutun coup de bâton sur la tête qui le fit chanceler. Des poingstombaient sur ses épaules et sur sa face, cognant dur. Spike étaitsolide et adroit.

Il fonça sur ses adversaires et en culbutadeux, mais dix autres revinrent à la charge, puis d’autres encoreet la clameur grandissait.

– À mort Spike, l’espion, à mort !Spike se sentit perdu.

Mais il voulut bien se venger avant demourir.

Il rassembla tout ce qu’il avait d’énergie etfrappa avec fureur, avec frénésie.

Des corps encore tombèrent devant lui… Mais lavague humaine le submergea. Il lui sembla tout à coup que son crâneéclatait, tandis qu’une douleur atroce lui trouait la poitrine.

Et, pour lui, tout s’abolit.

Ce fut à ce moment que Storm, Hamilton, Helenet les gars de Last Chance s’élancèrent à son secours.

La bataille devint générale.

Storm s’était rué au plus épais de la mêlée oùil faisait merveille. Ses poings de fer s’abattaient régulièrementcomme deux marteaux, fêlant des têtes, cassant des côtes, enfonçantdes poitrines.

Hamilton était parvenu à dégager le pauvreSpike qui n’était plus qu’une sanglante loque humaine.

– Storm ! Storm ! appela ledirecteur.

Le mécanicien se dégagea et accourut.

– Aide-nous, Storm, dit Hamilton.

Les deux hommes soulevèrent le corps inerte etl’emportèrent jusqu’à la voie où il y avait des wagons et unelocomotive.

– Mettons-le dans le fourgon, et vous,Helen, conduisez-nous au chantier jusqu’au poste central.

Deux minutes plus tard, l’infortuné Spikeétait dans le fourgon. Storm et Hamilton lui prodiguaient lespremiers soins.

Helen avait sauté sur la machine et l’avaitmise en marche.

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