L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE III – À la manièreallemande

Après avoir vu George Storm et l’ingénieurs’éloigner, Dixler qui avait eu le temps de reconquérir sonsang-froid, avança, ainsi qu’il en avait eu d’abord l’intention,vers la maison de Mick Cassidy.

Ce dernier qui avait assisté, de loin, à ladiscussion des deux ingénieurs, se hâta de faire entrer l’Allemanddont il ne devinait pas encore les intentions. Puis, il n’était pasfâché de savoir comment son nouveau visiteur apprécierait le marchéqu’il venait de conclure.

Dès que Dixler fut entré, le père Mick, pourlui montrer qu’il connaissait bien, lui aussi, les belles manières,tira de sa poche, un des havanes de Hamilton :

– Un cigare, monsieur Dixler ?

– Volontiers, fit l’Allemand, qui ne puts’empêcher de sourire. Mais ils sont superbes voscigares !

– Oui, murmura l’autre, avec une feintemodestie, ils ne sont pas trop mauvais, mais pourrai-je savoir cequi me vaut l’honneur de votre visite ?

– On vient de me dire, père Mick, quevous avez vendu votre maison et votre terrain.

– On a dit la vérité, et je crois, sansme vanter, que je n’ai pas fait une mauvaise affaire.

Et une flamme d’orgueil passa dans les petitsyeux rasés du vieil Irlandais.

– Pour combien avez-vous vendu ?demanda l’Allemand d’un air détaché.

– Dix mille.

– Pas mal.

– N’est-ce pas ?

– Et l’on vous a payé ?

– Parfaitement, j’ai là un chèquerégulièrement libellé sur la banque de Los Angeles.

Dixler, à ces mots, partit d’un éclat de rireénorme, strident et tel qu’une ombre d’inquiétude passa sur laphysionomie du père Mick.

– Il n’y a pas de quoi rire, il mesemble, fit-il d’un ton aigre-doux.

– Mon pauvre père Mick, repritl’Allemand, d’un ton de commisération, vous vous êtes faitrouler ; vous avez lâché votre maison et votre terrain ;vous aurez bien de la chance si vous arrivez à toucher quelquesdollars.

– Mais expliquez-vous ! s’écria levieillard atterré et furieux. Ce n’est pas possible !

– Vous ne voyez donc pas que votre chèquen’est signé que de Hamilton : les administrateurs, lesactionnaires à qui appartiennent les capitaux refuseront de payer.La voie sera faite, votre maison démolie, vous n’aurez aucunrecours.

– Et la justice ?

– Si vous plaidez, ils feront venir desexperts, on évaluera votre baraque à quatre ou cinq cents dollarset il vous faudra payer là-dessus, un avocat. De toute façon, vousêtes floué, volé comme dans un bois.

Mick Cassidy était consterné ; il tombaitdu haut du beau rêve qu’il avait fait.

– Comment auriez-vous agi, à maplace ? demanda-t-il d’une voix étranglée.

– J’aurais demandé des bank-notes ou desdollars tout simplement.

– J’y ai bien pensé. Ils n’ont pas voulu.Ah ! les bandits ! J’en mourrai de chagrin… Dix milledollars ! Je suis ruiné ! quel coquin que cet Hamilton,je lui enverrai une balle dans la peau !…

Dixler, que cette colère amusait fort, laissal’Irlandais donner libre cours à sa colère et à son chagrin. Iln’intervint que quand il crut le moment opportun enfin arrivé.

– Écoutez-moi, vieux Mick, dit-il de savoix la plus affectueuse, votre situation me peine, mais aussi,pourquoi ne vous êtes-vous pas adressé à moi ?

– Est-ce que je savais ? Maisj’aurai la peau de Hamilton.

– Il y a mieux à faire, c’est de luirendre la monnaie de sa pièce. Soyez plus malin que lui. Il mevient une idée. Je vais venir à votre secours. Tout n’est peut-êtrepas encore perdu.

Mick, suivant une expression chère auxdétectives, « buvait du lait » ; il se sentaitrenaître à l’existence.

– Que faut-il faire ? demanda-t-ilanxieusement. Ah ! si je pouvais rattraper monargent !

– Vous le rattraperez, et avec un grosbénéfice.

Et jugeant le moment venu de frapper un grandcoup :

– Je vais vous donner quinze milledollars, séance tenante.

– En bank-notes ?

– En bank-notes ou en dollars, à votrechoix – je suis un homme, moi – mais vous allez me signer uncontrat de vente pareil à celui que vous avez donné à Hamilton etcomme il ne vous a pas payé, vous l’empêcherez d’entrer chezvous.

Mick gardait un reste de méfiance, quoiquepresque décidé.

– Possible, fit-il, mais ses hommes,forts du contrat, vont démolir ma maison.

– Erreur, le domicile d’un citoyenaméricain est inviolable. Vous allez prendre votre fusil, je vaisvous envoyer des hommes avec des carabines. Vous tirerez surHamilton et ses ouvriers s’ils approchent. Pour vous expulser, ilfaudra un magistrat, et d’ici qu’il ne soit venu, j’aurai terminéma ligne à moi et franchi votre propriété. Y êtes-vous ?

– C’est pourtant vrai, le domicile d’uncitoyen américain est inviolable.

– Je me charge de tout. Je ne vousdemande que de me laisser faire. Tout en parlant, Dixler qui savaitcombien les instants étaient précieux, libella rapidement uncontrat, le fit signer par Mick Cassidy et lui compta en bonsbank-notes les quinze mille dollars convenus. L’Irlandais ne sesentait pas de joie.

– Il y a plaisir à avoir affaire auxhonnêtes gens, répétait-il, avec un sourire béat.

– Il ne s’agit pas de s’endormir, déclaral’Allemand, les gens de Hamilton ont déjà démoli une partie de lapalissade du terrain. Ne les laissez pas pénétrer dans votremaison ! Prenez votre fusil et tirez sur le premier quil’essayera. La loi est pour vous ; le domicile d’un citoyenaméricain est inviolable !

Stimulé de la sorte, Mick s’arma d’un vieuxfusil de chasse et se mit à l’affût dans sa cuisine.

Pendant ce temps, Dixler avait envoyé cherchercinq ou six de ses plus robustes travailleurs et les avait postés àtoutes les issues de la bicoque.

Cependant, forts de leur bon droit, lesouvriers de George Storm avaient commencé à démolir les palissadesqui entouraient le terrain et ils allaient attaquer la maison.

Un d’entre eux s’en approcha, armé d’unehache.

– Feu ! commanda Dixler.

Mick lâcha la détente. Une balle siffla auxoreilles du charpentier, qui recula, épouvanté.

Il s’ensuivit un désordre inexprimable.

George Storm et Hamilton étaient accourus aubruit de la détonation et demandaient des renseignements auxouvriers.

Dixler continuait à placer ses hommes, armésde carabines.

Quant à Mick Cassidy, maintenant qu’il sesentait en poche une belle liasse de bank-notes, et qu’il secroyait sous la protection des tirailleurs de Dixler, il avaitrepris ses airs malicieux et goguenards d’autrefois. Il contemplaitla scène, appuyé sur son fusil, tout en fumant sa pipe enphilosophe, sur le seuil de la porte.

Ce fut sur lui que tomba la colère de Georgeet de Hamilton.

– Qu’est-ce que cela signifie ?demanda ce dernier. Est-ce que vous vous moquez du monde ?

– Je défends à qui que ce soit de toucherà ma maison ; la demeure d’un citoyen américain estinviolable !

– Vieux coquin, s’écria George, quicontenait à peine sa colère. Ta maison, tu l’as vendue, elle t’aété payée, elle ne t’appartient plus.

– Je n’ai pas touché d’argent, riposta levieillard. Je refuse de partir, et la justice me donnera raison.Maintenant, si quelqu’un touche à ma maison, il recevra des coupsde fusils, je vous le garantis !

On n’en put tirer autre chose.

Dixler qui, de l’intérieur de la maison, avaitentendu la discussion, riait sous cape.

– Il est évident, dit enfin l’ingénieurHamilton, que Mick, soit par bêtise, soit par cupidité, s’estlaissé circonvenir par Dixler.

– Ce traître d’Allemand, fit George, neserait peut-être pas fâché, de faire naître comme cela est déjàarrivé, une bagarre sanglante entre les travailleurs des deuxcamps, afin de retarder d’autant les travaux et peut-être de lesfaire cesser.

– Vous avez raison, ayons la sagesse dene pas répondre aux provocations de Mick, qui paraît complètementdominé par Dixler.

Les deux amis allaient se retirer, lorsquel’Allemand parut, le visage illuminé d’un sourire de triomphe.

– Vous voyez, dit-il, que j’avais raison,il y a une heure, quand je vous disais qu’il pourrait se passerbien des événements, avant que votre rail s’allongeât surl’emplacement de la maison de Mick.

– Vous agissez comme un voleur de grandchemin, répondit sévèrement Hamilton, vous n’ignorez pas que j’aiacheté et payé cette propriété, dont vous voulez m’interdirel’accès.

– Moi aussi, je l’ai achetée etpayée !

– Vous mentez !

– Voulez-vous voir le contrat.

– Inutile ! Je vais porter plaintecontre vous au tribunal de Los Angeles !

– Faites ce qu’il vous plaira. Je m’enmoque, mes droits sont égaux aux vôtres.

– La justice n’aura pas de peine à voirclair dans vos agissements. L’Allemand eut un sourire narquois.

– En attendant, railla-t-il, votre lignen’avance pas. Et croyez-moi, cette affaire est loin d’êtreterminée. Vous voyez bien, monsieur Hamilton, que vous aviez tortde triompher si arrogamment.

– De grâce, interrompit George Storm, ens’adressant à l’ingénieur Hamilton, ne vous amusez pas à répondreaux provocations de ce bandit.

– Vous avez raison, nous avons encore àfaire.

Tous deux se dirigèrent vers le wagon-bureau,garé sur une voie toute proche, pour délibérer sur la meilleuredécision à prendre.

Ils avaient à peine tourné les talons queDixler appelait d’un geste, Dock et Bill, ces deux jeunes vauriensque nous avons déjà vus lui servir de gardes de corps, lors de sonentrevue avec Spike.

– Attention ! vous autres, leurdit-il à demi-voix, il ne faut pas perdre de vue ni Hamilton ni lemécanicien. Je veux absolument que vous arriviez à savoir ce qui vaêtre décidé par eux.

– Ce n’est pas très facile ce que vousdemandez-là, monsieur le directeur, dit Bill.

– Arrangez-vous, je vais voir si vousêtes intelligents.

Et, d’un signe de la main, il congédia lesdeux drôles, assez peu satisfaits de la mission qui venait de leurêtre confiée.

Resté seul avec Mick Cassidy, l’Allemand donnabruyamment cours à sa satisfaction.

– Vous avez vu, père Mick, comme je lesai envoyés promener. C’est nous qui demeurons les maîtres du champde bataille.

L’Irlandais cligna de l’œil,facétieusement.

– Ils ont fait une drôle de tête, quandils ont vu que je ne voulais pas déguerpir.

– Et je n’ai pas fini de les embêter,murmura Dixler, d’une voix chargée de haine. Ils apprendront unjour ou l’autre à leurs dépens, ce qu’il en coûte de contrecarrerles projets d’un homme tel que moi.

Pendant ce temps, George et l’ingénieur, aprèsune longue conversation, expédiaient à miss Helen Holmes, àlaquelle incombait le soin de diriger les services administratifs,installés à Los Angeles, une dépêche ainsi conçue :

Miss Helen Holmes,

Dixler s’oppose par la force à l’exercicede mon droit de passage, priez le juge de paix de m’attendre autrain spécial, à onze heures et que ce train amène également despolicemen.

HAMILTON.

– Sitôt que miss Helen m’aura répondu,dit l’ingénieur, je partirai pour Los Angeles. Il est indispensableque je voie le juge de paix, M. Jonas Mortimer. C’est un hommetrès intègre et très énergique, que je connais de longue date.Quand je l’aurai mis au courant des agissements de Dixler, ilprendra certainement des mesures sévères contre lui et sescomplices.

– Quelles sont vos instructions pour letemps que vous allez être absent ?

– C’est bien simple : maintenir lestatu quo, jusqu’à l’arrivée du magistrat, éviter tout conflit avecles gens de Dixler. Cependant, il ne faut pas laisser Mick releversa palissade. Que nos hommes continuent la construction de la voiesur ce terrain dont ils n’ont pas osé nous déloger.

– Je ne sais pas si à l’extrême rigueur,nous n’aurions pas la largeur nécessaire pour pousser notre voie del’autre côté du terrain de Mick. Dans ce cas, Dixler serait bienattrapé, car la maison de Mick barre sa voie à lui. Il sera obligéde l’abattre, ce à quoi le vieux ne consentira pas, avant l’arrivéedes magistrats.

– Vous verrez cela, je m’en rapporte àvous. Quant à la maison, on l’isolerait de la voie par un forttreillis de fil d’acier.

À ce moment, la sonnerie du télégraphe se fitentendre.

– C’est la réponse de miss Helen, ditGeorge, en lisant :

Magistrat va venir vous voir, sitôt quevous serez arrivé. Le train spécial sera rendu dès onzeheures.

HELEN.

– Miss Helen n’a pas perdu de temps, fitM. Hamilton complètement rassuré. Je cours prendre le trainpour Los Angeles, afin de m’y trouver à onze heures. Je reviendraicomme il est convenu avec M. Jonas Mortimer. Au revoir donc,mon cher George et faites bonne garde.

Et l’ingénieur prit le chemin de la station deBlackwood, après avoir échangé avec George Storm, un cordialshake-hand.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer