L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE II – La bague defiançailles

Miss Helen Holmes savourait paisiblement lebonheur d’avoir reconquis la situation sociale que la mort dugénéral lui avait fait perdre.

Entourée d’amis dévoués, indépendantemaîtresse d’une fortune qu’elle ne devait qu’à son courage, elleenvisageait l’avenir sous le plus brillant aspect.

Ce matin-là, elle avait déjeuné en compagniede l’ingénieur Hamilton, qui la considérait presque comme sa fille,puis, en attendant les invités, tous deux s’étaient promenés dansle parc où régnait une fraîcheur délicieuse, et miss Helen, envéritable enfant qu’elle était à ses heures, s’était longuementamusée de deux chiens, l’un blanc et l’autre noir, que Spike avaitachetés exprès pour elle.

Avec cette jovialité parfois un peu grosse,qui caractérise l’esprit américain, l’ingénieur Hamilton avaitcomparé le petit chien noir à George Storm, autrefois noir decharbon, quand il conduisait les locomotives de la CentralTrust.

– Alors, s’écria miss Helen en riant,appelez de suite la petite chienne blanche, miss Helen !

Comme on le devine, cette plaisanterie faisaitallusion aux fiançailles, depuis longtemps projetées, entrel’ex-mécanicien et la jeune fille.

Cependant cette union, qui autrefois avait étéconvenue, ne semblait plus aussi près de se réaliser.

Depuis que miss Helen Holmes était devenueriche, George Storm n’osait presque plus courtiser la jeune fille.Il semblait que la distance sociale qui séparait autrefois le petitvendeur de journaux de la fille du général n’eût pas cesséd’exister.

Pourtant, jamais Helen ne s’était montréeaussi accueillante, aussi familière même, avec son camaraded’enfance.

La vérité, c’est que George Storm seréservait, avant d’adresser sa demande. Il voulait être enpossession de son diplôme d’ingénieur, il lui semblait qu’une foisce degré franchi, il se serait rapproché de celle qu’il aimait.

Miss Helen le laissait faire, tout enattendant avec une secrète impatience, qu’il posât sacandidature.

Ce sujet tout à fait d’actualité revenaitfréquemment dans la conversation de la jeune fille avec l’ingénieurHamilton.

– Alors, dit celui-ci en souriant, leschoses ne sont pas plus avancées du côté de George.

Helen rougit imperceptiblement.

– Il est si timide, murmura-t-elle.

– Votre fortune lui fait peur.

– Vous verrez que ce sera moi qui seraisobligée de le demander en mariage.

– Cela s’est vu !

À ce moment, George Storm apparut, lui-même,au détour d’une allée.

– Je vais vous laisser, dit l’ingénieur.Il ne faut pas que ma présence empêche votre fiancé de vousdéclarer sa flamme.

M. Hamilton s’esquiva discrètement.

L’instant d’après, George Storm, vêtu avec uneélégance de bon aloi, s’approchait de miss Helen qui l’accueillaitde son bon et franc sourire et lui serrait la maincordialement.

– Pourquoi ne voulez-vous pas acceptermon invitation ? demanda la jeune fille.

– J’ai toujours peur d’être déplacé dansce milieu de milliardaires ou de multimillionnaires qui sont voshôtes habituels.

– Vous avez grand tort. Je vous trouve,moi, toutes les allures d’un véritable gentleman, et, parmi mesinvités, il y a certainement d’anciens terrassiers, d’ancienscireurs de bottes auxquels tous les dollars de la banque nedonneront jamais la distinction qui leur manque.

– C’est ce qu’en France on appelle lesnouveaux riches !…

– Mais moi, répondit gaiement la jeunefille, ne suis-je pas aussi une nouvelle riche ?

– J’aimerais presque mieux que vous soyezplus pauvre.

– Pourquoi cela ?…

– Je ne sais pas, murmura George Storm,avec embarras.

– Eh bien, je vais vous le dire, fitHelen, en prenant dans une de ses menottes blanches la robuste maindu mécanicien. Quand je n’étais, naguère encore, qu’une modesteemployée de chemin de fer, vous osiez me faire part de vos projetsd’avenir ; maintenant, par orgueil que je ne m’expliquevraiment pas, vous ne voulez plus aborder ce sujet en maprésence.

George avait rougi jusqu’aux oreilles.

– Miss Helen, balbutia-t-il, vous savezquel respectueux et profond dévouement j’ai toujours eu pourvous !…

– Oui, murmura miss Helen, avec unenuance à la fois ironique et attendrie, vous m’avez parlé maintesfois d’une affection qui ne devait finir qu’avec la vie ;maintenant vous êtes devenu beaucoup plus réservé ; je crois,monsieur George, que vous ne m’aimez plus.

– Comment pouvez-vous dire une pareillechose, miss Helen, s’écria-t-il, avec une espèce d’indignation.

– Dame, fit la jeune fille, en réprimantmal un malicieux éclat de rire, je m’en rapporte aux faits, depuisque j’ai touché ma part dans la mine d’or de Superstition, vousêtes devenu d’une discrétion, d’une froideur…

George Storm était très troublé.

– Vous devez comprendre, chère Helen,balbutia-t-il, en proie à une étrange émotion, que votre opulencem’intimide. Quand vous étiez pauvre, j’avais encore la hardiesse devous confier mes projets d’avenir, mais, maintenant…, disonsbrutalement les choses, je ne voudrais pour rien au monde que descoquins comme Dixler et d’autres encore puissent dire que j’ai faitune bonne affaire en abusant de notre vieille amitié d’enfance.

Miss Helen étreignit plus fort de ses mainsblanches la grosse main aux muscles solides que lui tendait lemécanicien :

– Que vous êtes donc naïf, mon cherGeorge ! murmura-t-elle, vous avez encore des préjugés et desidées fausses, comme les gens du Continent, les habitants du VieuxMonde, dont la conduite est souvent dirigée par de vieux principesabolis, de vieilles histoires, auxquelles eux-mêmes ne croientplus.

– Que voulez-vous dire ?

– Ceci simplement :

« De nous deux, c’est moi qui fais labonne affaire. J’épouse un homme intelligent, énergique, qui, dansquelques années sans doute sera multimillionnaire, qui succédera –cela est prévu –, à l’ingénieur Hamilton comme directeur de laCentral Trust, la plus puissante compagnie de l’Ouestaméricain.

– Chère Helen !… balbutia GeorgeStorm, très touché de la générosité de la jeune fille.

– Je possède quelque fortune sans doute,continua-t-elle d’un ton qui ne souffrait pas de réplique, maisqu’est-ce que cela auprès du capital intelligence que vousapporterez à la communauté.

Pendant un long moment, Helen et Georgedemeurèrent silencieux, leurs âmes communiaient dans le sourire deleurs yeux, dans l’étreinte de leurs mains frémissantes.

– Cher George !…

– Chère Helen !…

– Ne vous ai-je pas dit bien des fois queje n’aurai d’autre époux que vous !

– Je n’osais plus croire à un telbonheur.

– Vous avez tort de douter de moi, cherami, ce n’est pas parce que je suis un peu moins pauvre qu’il y aquelques jours que mes sentiments ont pu se modifier.

À ce moment, miss Helen et George Storm setrouvaient dans un coin du parc d’un aspect particulièrementpittoresque, à deux pas d’eux, la rivière artificielle coulaitentre des buissons de fleurs. Ils s’étaient arrêtés près du troncd’un vieux platane à demi renversé par les vents, et qui avaitcontinué à pousser dans une position presque horizontale.

Ils étaient placés de chaque côté de ce troncvénérable et c’était, sur l’écorce tâchée de vert et de blanc,comme sur un autel offert par la nature elle-même à leur tendresse,que leurs mains s’étaient enlacées !…

Les parfums enivrants des lauriers-roses, desgéraniums géants, montaient du sol surchauffé par l’ardeur dusoleil torride.

L’heure était délicieuse etlanguide !…

– Croyez-vous donc, s’écria George, quej’ai douté de vous un seul instant ?

Avant que miss Helen eût pu deviner son geste,George Storm avait tiré de sa poche une délicieuse petite bague enor, une exquise bague de fiançailles et l’avait passée au doigt demiss Helen qui n’esquissa pas d’ailleurs le moindre mouvement derésistance.

La bague se composait de cinq perles avec, aucentre, une topaze, et représentait une fleur de marguerite.

– Vous voyez qu’elle est toute simple,balbutia George, comme honteux d’offrir à sa fiancée un bijoud’aussi peu de valeur. Cette pauvre bague n’est vraiment digne nide votre beauté, ni de votre fortune… Et il ajouta en baissant lavoix :… ni de l’immense amour que j’ai pour vous, chèreHelen.

– Cette bague est splendide, s’écria lajeune fille avec vivacité. George contemplait sa fiancée comme dansune sorte d’extase. Il la buvait, pour ainsi dire, du regard,jamais elle ne lui avait paru aussi belle.

– Chère Helen, dit-il au bout d’uninstant avec un sourire timide, vous savez que dans lesfiançailles, il n’y a pas seulement que la bague, il y a encore uneautre formalité à remplir.

– Quelle formalité ? demanda missHelen en rougissant un peu.

– Mais, je croyais… Il me semblait…

– Qu’on échangeait un baiser, pourquoin’osiez-vous pas me le dire ?…

« Ne suis-je pas tout à vous ?…

Miss Helen, avec une franchise qui n’excluaitpas une pudique rougeur, avait tendu son front. George y posa seslèvres.

*

**

– Chère Helen, dit George d’une voixgrave, j’ai maintenant votre promesse, si vous saviez combien lesjournées vont me sembler longues, tant que nous ne serons pasunis.

– Notre mariage aura lieu dès que vous ledésirerez, répondit la jeune fille avec cette belle et audacieusefranchise qui était sa qualité dominante.

Mais, pendant que George et Helen échangeaientainsi les plus douces promesses, il y avait quelqu’un qui lesépiait avec des regards chargés de haine et dont les mainstremblaient de rage et de jalousie.

C’était Fritz Dixler.

– Voilà un mariage qui n’est pas encorefait, grommela-t-il, en grinçant des dents avec fureur !Est-ce que miss Helen ne m’aurait fait venir ici que pour me rendretémoin de ses amours avec son mécanicien ?

« Il ne sera pas dit que l’on m’aurabafoué de la sorte ! Je tiens ma vengeance,heureusement !

Et Dixler, les sourcils froncés, la facelourde, se retira vers une autre partie du jardin.

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