L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE IV – Escalade, effraction etcambriolage

Quand Spike rejoignit les deux Allemands, ilétait tout essoufflé de la rapidité avec laquelle il avaitcouru.

– Tu as été bien longtemps, lui dit Ottod’un air soupçonneux, d’où viens-tu ?

– Du bureau de poste, répondit Spikeeffrontément, j’avais un télégramme à expédier pourM. Dixler.

– C’est différent, mais il était tempsque tu arrives. Les minutes sont précieuses, nous ne réussironsqu’à condition d’aller vite en besogne.

– De quoi s’agit-il ? Il fautpourtant bien que je sache…

– Tu as d’autant plus droit à notreconfiance, ricana Frick, que tu es collaborateur, notre complice,si tu le préfères.

– Il s’agit tout simplement, reprit Otto,de pénétrer dans l’hôtel de ville pendant que les employés sont àdéjeuner et d’y prendre certains registres qui sont utiles àM. Dixler et qui contiennent des contrats signés entre laville de Las Vegas et la société du Central Trust.

Spike comprenait maintenant pourquoi Dixleravait attaché tant d’importance à cette heure de midi – l’heure dela sortie des employés. Il comprenait aussi que ces contrats qu’ilsétaient chargés de voler, c’était ceux-là mêmes dontM. Hamilton voulait avoir le duplicata. Ces contrats, une foisdétruits, aucune preuve n’existerait plus de la cession desterrains faite par la ville à l’ingénieur Hamilton.

– Et maintenant que tu connais notresecret, conclut l’Allemand avec un gros rire, il ne faudrait past’aviser à renoncer à l’expédition. M. Dixler sait comment tepunir si, par hasard, tu ne marchais pas droit.

– Je n’ai jamais eu pareille idée,répondit Spike, avec le plus grand calme.

– Et si nous réussissons, tu seras aussibien payé que nous, ajouta Frick, d’un ton conciliant.

Les trois complices se dirigèrent vers lagrande place de l’hôtel de ville, tout en convenant du rôle quechacun aurait à remplir.

Les employés sortaient en ce moment par petitsgroupes et se dispersaient vers les divers quartiers de laville.

Frick qui savait que M. Picklevick, ledirecteur des domaines, déjeunait quelquefois au bureau, les joursoù la besogne était pressée, le guettait à la sortie. Dès qu’ill’aperçut, il s’approcha de lui et, sous prétexte de lui demanderdes renseignements, il l’accompagna assez loin pour être sûr quel’honorable fonctionnaire déjeunait chez lui ce jour-là.

La place était maintenant complètementdéserte. Aux fenêtres des maisons strictement fermées, pour luttercontre la torride chaleur du climat, pas un visagen’apparaissait.

– Ça y est, dit Frick, en rejoignant sescomplices, je suis sûr, maintenant que le bonhomme ne rentrera pasavant deux heures.

– Le concierge vient de fermer la porte,expliqua Otto ; il a regagné le logement qu’il occupe dans uneautre aile du bâtiment. C’est le moment d’agir. Toi, Frick, quin’est pas très leste, tu feras le tour de l’hôtel de ville et tu teposteras dans la rue située derrière. Là, tu feras le guet,jusqu’au moment où nous t’appellerons.

Frick se hâta d’obéir, enchanté au fond de nejouer qu’un rôle secondaire dans une aventure qui pouvait très malfinir.

Alors Spike, avec cette agilité qui l’avaitautrefois rendu célèbre, escalada les montants de la grande porteque surmontaient deux baies vitrées, en demi-cercle. Il ouvrit unede ces baies, se laissa glisser à l’intérieur, ce qui lui permit depousser tout naturellement le verrou de fermeture et de donneraccès à son complice dans le vestibule de l’édifice.

– Le plus fort de la besogne est fait,dit joyeusement Otto, ravi de l’aide efficace que lui prêtaitl’ancien forçat. Maintenant, suis-moi. C’est au deuxième étage quenous allons et je connais le chemin.

– Silence, murmura Spike ; il m’asemblé entendre remuer. Il ne faut pas parler si haut.

Étouffant le bruit de leurs pas, les deuxbandits gravirent l’escalier de bois et atteignirent, sansencombre, le second étage où Otto savait que se trouvaient lesarchives.

L’Allemand n’eut même pas besoin de faireusage des fausses clefs dont il s’était muni. La porte du bureaun’était fermée qu’au loquet.

Qui aurait pu croire à un cambriolage en pleinmidi, étant donné ce fait – bien connu de tous les habitants de LasVegas – qu’il n’y avait pas un dollar à voler dans lesbureaux ? Tous les capitaux de la municipalité étaient déposésdans les coffres-forts incrochetables et incombustibles de laBanque des États – surveillée nuit et jour par une escouade depolicemen à cheval.

– Voici les registres, fit Otto àdemi-voix, et il désignait une série d’épais volumes alignés surune tablette de chêne ; tu vas examiner ceux de droite et moiceux de gauche.

« Et surtout n’oublie pas que lescontrats qu’il nous faut sont ceux qui ont été signés entre laville de Las Vegas et la société de la Central Trust.

– Je sais…

Tous deux s’étaient mis à explorer lesregistres avec une rapidité qui tenait du prodige, dans le grandsilence de l’édifice endormi dans la lourde chaleur de midi, onn’entendait que le bruit sec des feuillets tournés etretournés.

– Tarteiffe ! grommelal’Allemand après dix minutes d’infructueuses recherches, je netrouve rien.

– Ni moi non plus. Continuons, ce seraittrop de chance si nous avions découvert du premier coup ce que nouscherchions.

– Tu as raison, continuons.

Avec une lenteur et une minutie bienallemande, Otto se remit au travail.

En affirmant qu’il n’avait rien trouvé, Spikeavait effrontément menti.

La vérité, c’est qu’il avait eu la chance detomber presque tout de suite sur les quatre contrats quiétablissaient les droits de l’ingénieur Hamilton. Avec uneprestesse qui était le fruit d’une longue habitude, il les avaitfait disparaître dans la poche de son pantalon.

Maintenant, il lui tardait de quitter cetendroit où il n’avait plus rien à faire et dont le séjour d’uninstant à l’autre pouvait devenir très mauvais pour lui.

– Écoute, dit-il à Otto, le temps passeet les registres sont trop nombreux pour que nous puissionstrouver. Il n’y a qu’un seul parti à prendre.

– Lequel ?…

– Il faut jeter les registres à Frick quiattend en bas de la fenêtre. C’est d’autant plus prudent que sinous n’avions emporté que les contrats qui intéressent la CentralTrust, on aurait tout de suite deviné d’où partait le coup.

L’Allemand se rendit à un raisonnement siconvaincant.

– Eh bien ! soit, acquiesça-t-il, tues dans le vrai. M. Dixler pourra chercher lui-même lescontrats tout à loisir quand il sera en possession desregistres.

Spike ouvrit la grande fenêtre qui donnait surla rue déserte située derrière l’hôtel de ville et appela doucementFrick auquel Otto, après lui avoir fait comprendre par des signauxde quoi il s’agissait, commença à jeter, l’un après l’autre, leslourds registres des archives municipales.

Ils se croyaient sûrs de mener à bonne fincette opération de déménagement lorsque un bruit de pas retentitdans le vestibule.

– Sauve qui peut ! s’écriaSpike.

Et il s’élança vers l’escalier, suivi de prèspar Otto. Mais là, ils se trouvèrent en face du gardien qui, lerevolver au poing, ne paraissait pas décidé à leur livrer passage.Deux coups de revolver partirent à trente secondes l’une del’autre. C’était Spike et le gardien qui avaient tiré.

Affolé, Otto était rentré précipitamment dansle bureau qu’il venait de cambrioler.

Il ne lui restait plus qu’une chance desalut : sauter par la fenêtre.

Il n’hésita pas.

Grimpant sur le rebord de la fenêtre, ilcalcula son élan et s’élança dans le vide, en ayant soin de plierles jarrets pour amortir le choc.

Il n’y a, dit le proverbe, de chance que pourles coquins. Un honnête homme se fût pour le moins cassé une jambe.Otto atteignit sans se faire de mal le sol de la rue, se releva etse mit à courir de toute la vitesse de ses jambes, précédé de peupar Frick qui pliait sous le poids des registres volés.

Pendant ce temps, Spike, lui aussi, avaitréussi à prendre la fuite.

Quand le gardien, lancé à la poursuite d’Otto,avait pénétré dans le bureau sans avoir aperçu Spike qui s’étaitprudemment effacé, celui-ci avait descendu rapidement l’escalier ets’était caché pendant un instant dans une sorte de caveau dont lesoupirail donnait sur la grande place.

C’est par ce soupirail qu’il lui fut facile deprendre la clef des champs au moment même où le gardien constataitle vol commis dans les archives confiées à sa vigilance.

Maintenant, aux appels du gardien, au bruitdes détonations, les habitants des maisons voisines accouraient detoutes parts. C’était un concert de cris et d’exclamations.

– On a pillé les archives de laville.

– Le gardien croit qu’ils étaienttrois.

– Par où sont-ils passés ?

– Ils sont peut-être encore cachés dansquelque recoin.

– Il faut aller chercher lespolicemen.

– Ils ne peuvent pas être bien loin…

Ce fut vainement qu’on se livra aux plusminutieuses recherches, que toutes les pièces de l’édificemunicipal furent explorées, les bandits avaient disparu sanslaisser derrière eux aucun indice qui permit de retrouver leurpiste.

Cependant Otto et Frick avaient réussi àgagner sans encombre l’appartement qui servait de pied à terre àDixler pendant ses séjours à Las Vegas et qui était situé aun° 12 de la Sixième Avenue à une faible distance de la maisonoù se trouvait le logement de George Storm.

Tout d’abord les deux bandits furentchaleureusement accueillis par leur digne patron. Il était charméde se voir en possession des registres tant convoités. Ilexultait.

– Voici, s’écria-t-il, les propresparoles du directeur des domaines. « Tant qu’existerontles contrats Hamilton, il nous sera impossible d’accueillir votredemande. » Nous verrons maintenant ce qu’il me répondraquand je le sommerai de me montrer ces fameux contrats.

Tout en parlant, Dixler fouillait d’une mainnerveuse les registres volés.

Tout à coup il les rejeta brutalement etlançant un regard terrible à ses agents consternés :

– Les contrats n’y sont plus,s’écria-t-il avec rage, vous n’avez donc pas vu que des pages ontété coupées et ce sont précisément celles qui contiennent lescontrats Hamilton. La table des matières l’indique…

– Je ne me suis aperçu de rien, fit Ottotimidement, à moins que ce ne soit Spike…

La colère de l’Allemand fit explosion à cetteparole dont Otto ne comprenait pas la signification…

– Comment, hurla Dixler, vous avez emmenéSpike, et sans me prévenir. Il ne faut pas chercher plus loin,c’est lui qui a les contrats ! Tenez, vous êtes deuxmisérables, deux coquins incapables de me rendre aucun service. Jevous ferai périr sous la schlague !…

Tapis dans un coin, Otto et Frick écoutaientplus morts que vifs ces imprécations, lorsque tout à coup Dixler setut et parut absorbé par ce qu’il voyait dans l’avenue sur laquellesa fenêtre donnait directement.

Otto et Frick se regardaient ahuris, nesachant plus que penser.

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