L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE III – Une revanche

Après le départ de Ragsorm, miss Helen Holmeset l’ingénieur Hamilton quittèrent à leur tour l’assemblée desactionnaires où ils savaient leur cause définitivement perdue.

Helen avait la mort dans l’âme et Hamiltonétait tout aussi découragé, pourtant il essaya de réconforter lajeune fille.

– Ce n’est pas votre faute si vous avezéchoué, lui dit-il, vous avez accompli des prodiges, mais nouscontinuerons la lutte, il ne sera pas dit que Dixlerl’emportera.

– Nous avons affaire à un ennemi sansscrupules et diaboliquement rusé, murmura tristement la jeunefille. Mais je suivrai vos conseils en toute chose.

Ils cheminèrent quelque temps silencieusementle long des quais. C’est alors qu’ils aperçurent George Storm qui,non moins mélancolique, les attendait près de l’endroit où avaitété amarré le canot-automobile.

– Vous savez, dit le mécanicien en lesabordant, qu’ils m’ont honteusement congédié à cause du retard.

– Et c’est de ma faute, murmura missHelen, en remerciant d’un regard affectueux le dévoué compagnon deson enfance.

– Tout cela ne serait rien, si nousn’avions pas perdu le plan, ajouta Hamilton.

– Le plan est perdu ?

– Oui, ou pour être plus exact, Dixlerl’a volé de nouveau à miss Helen.

Et l’ingénieur mit George Storm au courant duvol suivi du refus des actionnaires de faire la moindre avance defonds à la Central Trust.

– Que faisons-nous maintenant, demandaHelen qui paraissait très déprimée.

– Nous allons regagner les chantiers dela gare du Signal, répondit Hamilton, et George nous accompagnera.Comme le train de midi trente-cinq est parti depuis longtemps, lemieux est de nous servir du canot-automobile.

– Soit, dit George, je prendrai labarre.

Tous trois s’installèrent dans l’embarcationet démarrèrent.

Un quart d’heure plus tard, ils étaient sortisde la rade, encombrée de steamers de toutes nationalités, etlongeaient les hautes falaises du rivage. Tous trois demeurèrentsilencieux et mornes, lorsque tout à coup miss Helen jeta uncri.

– Mais non, bégayait-elle en proie à unevive émotion, ce serait trop de chance. Mais si, c’est bienvrai ! Mais regardez donc, George, Hamilton, nous sommessauvés.

Et elle montrait, sur la toile blanche de labâche qui recouvrait sa chambre du canot, un enchevêtrementcompliqué de lignes bleues, rouges et noires.

– Qu’y a-t-il donc, demanda Hamilton prêtà se demander si sous le coup de tant de violentes émotions laraison de la jeune fille ne s’était pas égarée.

– Vous ne comprenez donc pas ?fit-elle avec impatience, quand je me suis jetée à la mer, le plana été complètement imbibé par l’eau salée. Une fois à bord ducanot, mon premier soin a été d’étendre le plan bien à plat sur latoile pour le faire sécher.

– Je comprends, fit George, le plan s’estdécalqué !

– Et avec une netteté surprenante, rienn’y manque !

– C’est une chance inouïe,extraordinaire ! balbutiait Hamilton stupéfait.

Et dans sa joie il embrassait Helen, ilpleurait et riait aux éclats, il ne se connaissait plus.

En un clin d’œil la toile fut coupée toutautour du plan, si miraculeusement retrouvé.

– Et maintenant, dit Helen qui avaitrecouvré tout son sang-froid, il faut retourner en toute hâte àOceanside.

– Pour quoi faire ? demandeGeorge.

– Il y a une demi-heure à peine que noussommes en route. Nous avons les plus grandes chances de retrouverles actionnaires encore en séance.

– Vous croyez qu’ils ne sont paspartis ?

– Mais non, ils doivent être en train, àl’heure actuelle, de discuter les moyens de céder à Dixler leursliasses d’actions de la Central Trust, au meilleur comptepossible.

George Storm s’était empressé de virer debord ; le canot filait comme une flèche à la crête des lames,et moins d’un quart d’heure après venait s’amarrer au quai du grandbassin, presque en face du Terminus Hôtel.

Miss Helen ne s’était pas trompée.

Quand, suivie de Hamilton, elle pénétra encoup de vent dans le salon, les actionnaires étaient encore là. Ilsmanifestèrent quelque surprise en voyant revenir la jeunefille.

– Vous n’avez pas ajouté foi à mon récit,leur dit-elle, vous avez cru que je me moquais de vous. Mais tenezle voici, le plan du tunnel des Devil’s Mounts ou plutôt sondécalque.

Et au milieu de l’attention générale, elleraconta comment le plan mouillé avait pu se reproduire sur la toileblanche de la bâche.

Les actionnaires exultaient. Ils venaientprécisément de reconnaître qu’ils étaient à la merci de Dixler, etla possession du plan allait leur rendre toute leursupériorité.

– Miss Helen, dit l’un d’eux,permettez-moi de vous adresser toutes nos félicitations. Vous êtesaussi ingénieuse que vous êtes brave. Une fois de plus, vous venezde sauver la situation.

– J’espère, gentlemen, déclara alorsl’ingénieur, que dans ces conditions, rien ne s’oppose plus à ceque vous teniez vos promesses. Je vous avais demandé de m’ouvrir uncertain crédit.

– Accordé ! accordé ! firentensemble plusieurs voix.

– Tout le crédit dont vous aurezbesoin !

– Désormais, nous sommes avec vous etnous marchons à fond !

– Vous n’aurez pas à vous en repentir,dit l’ingénieur avec calme, maintenant je réponds du succès. Vousdevez vous en rendre compte en réfléchissant un instant. Entre lesmains d’un homme comme Dixler, vos capitaux étaient étrangementaventurés. Vous étiez vaincus d’avance dans la lutte.

Tous connaissaient la haute probité del’ingénieur. Pas un d’eux ne souleva une objection, puis Ragsorm,l’agent de Dixler n’était plus là pour brouiller les cartes.

Au bout d’une courte discussion à laquellemiss Helen elle-même prit part, un chèque se montant à une sommeconsidérable fut remis à Hamilton à titre de première avance.

Il comptait se servir de cet argent pouracquitter le prix d’un lot important de traverses qui devaient luipermettre de pousser activement la construction d’un tronçon devoie qui partait de la gare du Signal.

Pendant que ses projets – sans qu’il s’endoutât – se trouvaient ainsi contrecarrés, l’Allemand Dixler, enpossession du plan dont il se croyait l’unique détenteur,s’abandonnait à toutes les joies du triomphe.

Installé sur la plate-forme extérieure d’unwagon de luxe en compagnie de Ragsorm, son fidèle aide, il fumaitun havane en contemplant le paysage de l’air satisfait d’un hommequi a bien employé sa journée.

Il prit la peine d’expliquer à Ragsorm qu’ilconnaissait mal cette partie du Colorado et quelle était lasituation.

– Hamilton, dit-il, a construit une voiequi part de la gare du Signal et j’en construis une autre qui estparallèle à la sienne.

– Cette gare du Signal est àvous ?

– Ni à moi ni à lui ; elleappartient à une troisième compagnie, mais on nous la cédera, sinous sommes les plus forts…

– Alors, cette voie parallèle que vousconstruisez ?…

– Sera terminée avant la sienne puisqu’onlui refuse toute avance. Je vous ferai visiter tout cela… Lechantier de la Central Trust et le mien sont tout proches l’un del’autre ; on dirait deux camps ennemis.

« Seulement, ajouta-t-il avec orgueil,désormais c’est mon camp qui l’emporte. Hamilton n’existe plus.

Comme on vient de le voir, Dixler se trompaiten cela, et se trompait lourdement.

En sortant de la réunion des actionnaires,l’ingénieur avait confortablement lunché en compagnie de GeorgeStorm et de Helen dans la salle à manger du Terminus Hôtel.

Puis l’ingénieur était allé, sans perdre detemps, rendre visite à M. Manager, le grand marchand de boisavec lequel il était en affaires pour les traverses de la voie enconstruction. Un contrat avait été signé et il avait été convenu depart et d’autre que les traverses arriveraient le jeudi suivant engare du Signal, où elles seraient déchargées par les ouvriers duchantier de Hamilton et immédiatement posées.

Ce ne fut que lorsque cette importante affairefut définitivement réglée que l’ingénieur reprit le chemin de seschantiers.

Il avait été décidé que George, en attendantqu’il retrouvât un autre emploi, aiderait à la surveillance destravaux, et miss Helen était heureuse de savoir que désormais elleaurait près d’elle cet ami sûr et dévoué, sur lequel elle pouvaitcompter absolument.

Dans le canot automobile qui les emportait surla mer unie comme un lac, les trois amis se livraient à toutessortes de rêves d’avenir.

Hamilton se jurait de poursuivre et de mener àbien l’œuvre commencée par le général Holmes. George et Helendemeuraient silencieux, mais aux regards affectueux qu’ilséchangeaient de temps à autre, on eût su deviner quelles étaientleurs pensées.

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