L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE VI – L’agonie

Après être restés pendant quelques minutesplongés dans une prostration affreuse, l’ingénieur Hamilton etGeorge Storm se ressaisirent et, tout d’abord, ils éteignirent unede leurs deux lampes, puis essayèrent de se rendre compte de lafaçon dont l’éboulement s’était produit et de voir s’ils nepourraient pas trouver un moyen de salut.

Pendant longtemps, George Storm frappa à coupde pic sur la paroi rocheuse afin d’attirer l’attention.

– Ce que vous faites là est inutile, monpauvre George, il faudrait des trains entiers et plusieurs équipesde travailleurs pour déblayer les décombres qui nous écrasent.

« Il y a longtemps que nous serons mortslorsqu’on parviendra jusqu’à nous, si même on essaie de lefaire.

L’ingénieur avait raison, George ne lecomprenait que trop ; il laissa tomber ses outils avecdécouragement. Mais une minute plus tard il les reprenait au grandétonnement de son compagnon.

– Que voulez-vous donc faire ?demanda ce dernier.

– Puisque nous n’avons pas de meilleuredistraction, fit George, je veux examiner la dernière faille, celleque nous allions étudier lorsque l’éboulement s’est produit. Ceserait une amère ironie, dans la situation où nous sommes, que detrouver le fameux filon.

– À quoi cela nousmènera-t-il ?…

– Qu’importe, je vais voir !…

L’ingénieur haussa les épaules pendant queGeorge, armé de sa lampe et de ses outils se mettait en devoird’entamer la roche schisteuse. Tout à coup le mécanicien poussa uncri de surprise :

– L’or !… Monsieur Hamilton,s’écria-t-il éperdu ! Un filon plus riche que je n’en aijamais vu, une vraie pêche d’or !…

Tout désespéré qu’il fût, l’ingénieur ressentiune violente émotion, il s’approcha à son tour et dut reconnaîtreque George ne s’était pas trompé.

Dans cette anfractuosité du roc, l’ors’étalait en abondance, non plus en paillettes minuscules, mais engros fragments, en véritables pépites dont la moindre constituaitune fortune.

– Cela ne nous avance pas à grand-chose,soupira l’ingénieur ; nous serons enterrés dans l’or, et voilàtout ! je donnerais bien toute cette richesse pour meretrouver à l’air pur.

– Quelle terrible malchance, murmuraGeorge. Moi qui aurais pu rendre miss Helen si heureuse.

Les deux hommes demeurèrent silencieux, ilsemblait que la découverte de ce gisement d’une fabuleuse richesseeût augmenté leur désespoir et leur souffrance.

De temps en temps, George Storm se levait etdonnait quelques coups de pic contre la paroi, dans l’espoirinsensé de se faire entendre du dehors. Mais bien vite, ilcomprenait la folie d’une pareille tentative et laissait retomberdans un immense découragement.

– Ne trouvez-vous pas, dit brusquementl’ingénieur, que l’air semble plus lourd ?…

– C’est vrai !… Je vais soufflercette lampe qui absorbe inutilement une part du peu d’oxygène quinous reste.

La lampe soufflée, ils se trouvèrent dans deprofondes ténèbres. Ils ne se parlaient pas, il y a des situationssi terribles que les paroles deviennent inutiles.

Dans les ténèbres de la caverne, ilsn’entendaient que le bruit de leur respiration sifflante.

– J’étouffe, balbutia George.

– Levez-vous, conseilla l’ingénieur,l’acide carbonique est plus lourd que l’oxygène et s’accumule auniveau du sol ; debout, vous respirerez plusaisément !…

Des minutes qui leur semblèrent longues commedes siècles s’écoulèrent ; il leur semblait qu’il y avait delongues années qu’ils étaient enfermés dans ce trou noir d’où ilsne devaient plus sortir.

Cependant les premiers phénomènes del’asphyxie commencèrent à se produire :

Les oreilles des deux victimes bourdonnaient.Elles étaient en proie à une maladive excitation.

George divaguait.

– Maintenant, murmurait-il, nous avons del’or, nous allons réaliser toutes sortes de beaux projets ;d’abord j’épouserai miss Helen, c’est là le plus important !…Nous achèterons la propriété du général Holmes !…

– Pauvre garçon ! murmural’ingénieur.

– Pourquoi m’appelez-vous pauvregarçon ? s’écria George subitement furieux, je suis riche,très riche !…

Pendant longtemps ainsi il continua à battrela campagne, puis les symptômes changèrent, George avait lapoitrine en feu, il étouffait, son cœur sautait à grands coups avecune effroyable sensation d’angoisse.

– De l’air ! de l’air !bégayait-il.

Des nausées l’envahissaient ; lesprunelles lui sortaient des orbites et des points de feu dansaientdevant ses yeux dans l’obscurité.

Il finit par s’abattre râlant sur le sol, àcôté de l’ingénieur Hamilton qui, moins robuste que son compagnon,avait résisté moins longtemps que lui.

Tout à coup, George cessa de souffrir, ilrêvait, il était en proie à une de ces hallucinations qui seproduisent dans certains cas. Il se voyait parcourant avec Helendes paysages merveilleux, des jardins parés de toutes les fleurs dela Floride, de tous les fruits de la Californie. Il y avait ausside vieux cèdres tout pareils à ceux de ce jardin public dans lequelil avait sauvé la vie de la petite Helen, des paysages merveilleux,alors que tout enfant lui-même, il gagnait sa vie en vendant desjournaux.

Enfin tout se brouilla dans sa pauvre cervelleet il n’eut plus aucune perception des choses quil’entouraient.

Cependant, à travers la léthargie où il étaitplongé, léthargie qui ne précède la mort que de peu de temps,George Storm eut tout d’un coup la vague sensation d’un bruitviolent au-dessus de sa tête. Il semblait que l’on ébranlait àcoups redoublés la voûte du rocher.

Malgré l’état d’inconscience où il étaitplongé, il fit un effort désespéré pour se relever, mais ses forcesle trahirent ; il retomba sur le sol définitivementanéanti.

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