L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE IV – Le contrat

Depuis le retour de son courrier à BlackMountain, Dixler ne vivait plus. Hamilton avait bien répondu qu’ilviendrait à la mine, mais cela ne voulait pas dire qu’il acceptaitles propositions de l’ingénieur. Ne se dédirait-il pas au derniermoment ? Une indiscrétion ne serait-elle pas commise ? Ilsuffirait d’un rien pour faire écrouler son beau projet.

L’Allemand le savait bien. C’était sa dernièrecarte à jouer. Il n’ignorait pas que le gouvernement impérialn’était pas tendre pour les maladresses et les malchanceux. Encoreun accident et il serait brisé comme verre. Aussi, dès le matin,Dixler épiait-il avec anxiété l’arrivée du directeur de la CentralTrust et quand, au fond de la rocheuse vallée, il aperçut enfinl’auto toute petite, dans le formidable paysage, il eut un soupirde soulagement.

Quand la voiture fut plus près, il putdistinguer les occupants ; en reconnaissant Helen au volant,il eut un sourire satisfait, mais quand il eut aperçu Storm, il fitun geste de contrariété.

– Que vient-il encore faire ici, ce damnégarçon, grommela-t-il ; je le trouve toujours sur ma route.Que n’a-t-il sauté avec les wagons dans le traind’explosifs ?

Il ajouta avec une expression de férocité quibouleversait son visage :

– S’il me gêne trop, il faudra bien qu’ildisparaisse.

Quand l’auto stoppa devant les chantiers,Dixler avait retrouvé le plus admirable des sourires. Il eut un motcordial pour Hamilton, un compliment galant pour Helen, mais iltourna presque le dos à Storm, qui ne s’en formalisa pas le moinsdu monde.

L’Allemand voulait offrir desrafraîchissements à ses hôtes, mais Hamilton avait hâte de voir lamine.

Dixler se rendit immédiatement à son désir etla visite de Black Mountain commença.

Tout avait été admirablement mis en scène parAdams et Slim Roë, rien d’anormal ne pouvait se remarquer dans lesgaleries. Les chantiers présentaient leur animation accoutumée.

– Vous avez un rendement de cent dollarsd’or à la tonne, n’est-ce pas ? demanda Hamilton, tout enfaisant sa visite avec la plus scrupuleuse attention.

– Vous êtes admirablement renseigné,répondit Dixler. Nous faisons entre quatre-vingt-dix et centdix.

– C’est très joli. Mais bien que je soisà peu près sûr de ne pas me tromper, je vous demanderai de préleverquelques échantillons de quartz pour les soumettre à l’analyse.

– C’est trop juste.

Puis se tournant vers le chef des travaux quisuivait à quelque distance, il appela :

– Slim !

– Monsieur ? fit le contremaître ens’avançant.

– M. Hamilton voudrait deséchantillons de minerai, donnez un coup de mine.

– Bien, Monsieur.

Comme Dixler s’attendait à la demande duprésident de la Central Trust, tout était soigneusement préparédepuis la veille.

On fit semblant de creuser un fourneau et depréparer un cordon, et bientôt Slim s’avança sur le groupe desvisiteurs.

– Si vous voulez bien vous écarter unpeu. Monsieur et mademoiselle, le coup va partir.

Chacun s’éloigna d’une centaine de mètres dela galerie minée, et l’on attendit.

Bientôt une sourde détonation retentit, on vitdes morceaux de quartz se désagréger, des quartiers de rocss’écrouler les uns sur les autres.

Tout le monde, quand la fumée fut un peudissipée, accourut sur le lieu de l’explosion.

Hamilton se baissa et ramassa quelques débrisde la roche effritée.

Il les considéra avec attention.

Helen suivait son examen avec le plus vifintérêt.

Tout à coup, elle s’écria :

– Oh ! là !… regardez, vieuxHam, comme cela brille !

– C’est de l’or, ma petite.

– Et tenez, là encore, et là… deux,trois, six paillettes ! Son visage exprimait la plus vivesatisfaction.

Sans se douter qu’à ce moment, Storm l’épiait,Dixler eut un sourire de triomphe.

Le bon Hamilton pouvait se réjouir. Comme onavait fait sauter la partie de la galerie saturée de poudre d’orpar les soins diligents de M. Adams, il n’y avait riend’extraordinaire à ce que les échantillons prélevés fussent d’uneaussi fabuleuse richesse.

– Ma foi, dit enfin Hamilton, je vais melaisser tenter peut-être.

– Alors vous êtes acheteur ? ditDixler, peut-être plus vivement qu’il n’aurait fallu.

– J’ai dit peut-être, répondit le tuteurde Helen. Je vais d’abord faire examiner ces échantillons, quandj’aurai la réponse de l’expert, je me déciderai.

– Je suis certain du résultat de votreenquête.

– Et puis, ce n’est pas tout.

– Qu’y a-t-il encore ? fit Dixler,inquiet.

– Quel est votre prix ?

– Trois millions de dollars.

– Alors rien de fait.

– Cependant, c’est une bonneaffaire !

– Pas à ce prix-là.

– Vous n’allez pourtant pas m’étranglerparce que je suis forcé grâce à vous de me débarrasser de mamine.

– Mon cher monsieur Dixler, dit gravementHamilton en regardant l’Allemand bien dans les yeux, je n’ai jamaisétranglé personne en affaires. Ce n’est pas ma manière. Seulementje défends mon argent et l’argent de mes actionnaires, ce qui estmon droit et mon devoir.

– Alors, qu’est-ce que vousoffrez ?

– Deux millions de dollars.

– Impossible.

– Pas un sou de plus. Mais je veux bienvous consentir dans les bénéfices de l’exploitation une part quenous fixerons.

Dixler, qui savait mieux qu’un autre que lamine était à jamais ruinée, fit la grimace.

D’autre part, il ne commettrait pas la foliede refuser les propositions de Hamilton. C’était deux millions dedollars qui tombaient dans sa caisse, alors que la veille ilpouvait se croire sur la paille. Il se débattit pour la forme.

– Mais c’est épouvantable !Savez-vous ce que j’ai payé Black Mountain, il y a troisans ?

– Je ne veux pas le savoir. Vous l’avezpayé le prix qui vous a convenu, moi je l’achète le prix qui meplaît.

« D’ailleurs, je vous le répète, tout ceque nous disons en ce moment et rien c’est la même chose, tant queje n’aurai pas eu l’avis de l’expert.

– Je vous affirme qu’il serafavorable.

– Je le souhaite. Voici donc ce que nousallons faire. Vous allez venir avec moi à Las Vegas. L’examen auralieu en votre présence et si le résultat est bon, nous traiteronsimmédiatement.

– À deux millions ?

– À deux millions.

– Je vous le répète… vous me dépouillez.Tenez, regardez cette pile de sacs, répéta Dixler, ils sont pleinsde minerai au premier titre : ils partiront quand on voudrapour aller chez le fondeur.

« Eh bien, cet ordre est compris dans lecontrat.

– Tant mieux, dit en riant Hamilton, jeferai peut-être une moins mauvaise affaire que je n’aurais cru.

Dixler prit une mine désespérée.

– Allons, dit Helen en riant, ne soyezpas aussi mélancolique, mon cher monsieur Dixler, vous me donneriezenvie de pleurer.

– Ayez le sourire, que diable, repritHamilton, vous serez peut-être deux fois millionnaire ce soir.

– Oh ! je n’ai pas encore acceptévotre prix ; fit Dixler, en ayant l’air de se rebiffer.

– Bah ! bah ! vous y viendrez,il n’y a rien pour adoucir le caractère qu’à changer les idéescontre un beau petit chèque bien en règle qui aura sept chiffres aucoin.

Une demi-heure après les deux hommes partaienten auto pour Las Vegas.

Il avait été décidé que Helen et Georgeresteraient à la mine pendant le court voyage de Hamilton et deDixler.

De toute façon, le président de la CentralTrust devrait, le soir venu, chercher la pupille et lemécanicien.

Quand ils furent seuls, Helen dit àGeorge :

– Je ne m’attendais pas à trouver à BlackMountain des figures de connaissance.

– De qui voulez-vous parler ?

– Vous vous souvenez de Bill et de Dock,ces deux bandits à la solde de Dixler.

– Oui, eh bien ?

– Ils sont ici.

– Pas possible !

– Retournez-vous sans affectation etexaminez un peu les deux hommes qui sont actuellement assis sur lessacs de minerai. Vous me direz, si je me trompe ?

– Ce sont eux, murmura George, aprèsavoir porté ses regards du côté que Helen venait de lui indiquer.Que manigancent ces deux gredins… J’ai bien envie d’aller le leurdemander. Aussi bien, j’ai un vieux compte à régler avec eux.

– George ! George ! s’écriaHelen en se cramponnant à la veste du mécanicien, vous n’allez pasfaire de bêtises… n’est-ce pas ?

– Quand je pense que ces crapules ont oséporter la main sur vous !

– Laissez donc. Tout cela se passaitdurant la bataille. « Maintenant que la paix est faite, n’ypensons plus.

– J’y pense toujours, moi, dit Storm d’unton menaçant, et j’y penserai longtemps.

Si Helen avait pu entendre la conversation desdeux chenapans, elle aurait été immédiatement édifiée.

– Alors, qu’est-ce que tu enpenses ? disait Bill.

– Je pense qu’on risque gros.

– Qui ne risque rien, n’a rien.

– Mais Dixler, qu’est-ce qu’ildira ?

– Dixler se moque pas mal de ce que nouspouvons faire.

« S’il a réussi son coup avec Hamilton,il n’en demandera pas plus.

– Pour combien crois-tu qu’il y a dansles sacs ?

– Au bas mot, pour trois milledollars.

– C’est gentil.

– Allons, tu marches, oui ounon ?

– Je marche.

– Tu as une auto ?

– J’emprunterai celle de Slim.

– Bien, maintenant séparons-nous. Nousnous retrouverons dans une heure, pendant le déjeuner deshommes.

– Entendu.

– Ah ! encore quelque chose. Quiest-ce qui garde le wagon ?

– Batchelor et Carrey.

– Bon ! deux gourdes, ça va bien. Àtout à l’heure.

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