L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE VI – Spike et Lefty autravail

Pas une lumière n’apparaissait aux fenêtres deCedar Grove. Tous les habitants de la villa étaient plongés dans lesommeil – sauf peut-être le misérable Dixler – lorsque Spike etLefty, qui avaient pris du cœur en buvant force rasades de whisky,pénétrèrent à pas de loup dans le jardin.

Spike, qui était d’une agilité simiesque, sehissa à la force du poignet sur le balcon du cabinet de travaildont il avait soigneusement relevé l’emplacement exact. Puis ilaida Lefty à le rejoindre après que ce dernier lui eut passé unvolumineux paquet qui renfermait les instruments de travail desdeux bandits.

Ils ouvrirent sans difficulté la fenêtre quin’avait été que poussée. Ils se trouvaient maintenant dans laplace, à quelques pas de là se trouvait le coffre-fort quirenfermait le plan convoité. À l’aide d’une lanterne sourde ilsreconnurent les lieux.

– Ce ne sera pas commode, grommela Spike,après avoir examiné en connaisseur le meuble d’acier martelé.

– Comment vas-tu faire, demandaLefty ; avec une déférence respectueuse.

– Comme d’habitude. Tire les rideaux desfenêtres, je vais faire marcher le chalumeau à gaz oxhydrique.

Lefty s’empressa d’obéir, pendant que Spiketirait du paquet qu’il avait apporté, un minuscule gazomètre. Uninstant après une longue flamme bleue jaillie de l’appareil venaitentamer l’acier du coffre-fort à une place marquée d’avance.

Sous l’influence de la terrible température dela flamme bleue, le métal s’amollissait. Au bout d’une dizaine deminutes, un trou de la dimension d’un bouchon ordinaire étaitpratiqué dans la porte.

Brusquement, la langue de flamme avaitdisparu, la pièce n’était plus éclairée que par le mince filet delumière venu de la lanterne sourde.

– Maintenant, dit brièvement Spike, lacartouche.

– Et il prit dans la poche de son vestonun petit tube de cuivre qui n’était autre qu’une cartouche dedynamite munie de son détonateur, et il l’ajusta dans le troucreusé par la flamme oxhydrique.

Pendant ce temps, Lefty, qui paraissait delongue date dressé à cette manœuvre, drapait toute la façade ducoffre-fort avec l’épaisse couverture de laine qui avait servi àenvelopper l’attirail des deux bandits. La couverture étaitdestinée, autant à atténuer le bruit de l’explosion, qu’à amortirla chute de la porte d’acier, si elle venait à se détacher sous lapoussée de l’explosif.

Il y eut une détonation à peine plus fortequ’un coup de revolver, presque aussitôt suivie d’un grincement demétal.

– Bravo, chuchota Spike, ça y est, laporte est arrachée. Dépêchons-nous de prendre le plan etdétalons.

– Tu es toujours épatant ! murmuraLefty avec admiration.

Du premier coup, Spike avait aperçu le plan ets’en était emparé, et, sans réfléchir qu’il eût été plus simple derepasser par le balcon, il s’était précipité dans l’escalier, suivide son complice.

Dans l’ivresse de leur succès, ils venaient demanquer à la plus élémentaire prudence. Maintenant, ils ne savaientplus par où sortir et ils erraient affolés à travers les escalierset les pièces désertes du rez-de-chaussée.

Tout à coup, ils entendirent tinter longuementune sonnette, et peu après des ombres parurent dans le jardin.

– By Jove ! grommela Spike,nous allons être pincés. Il faut faire taire cette mauditeclochette ! et trouver une issue avant que l’alarme soitdonnée.

Et ils remontèrent au premier étage d’oùsemblait partir le tintement ininterrompu de la sonnette ;ivres de fureur et de peur, prêts à tout…

Voilà ce qui s’était passé :

Bien que le cabinet de travail du général futassez éloigné des pièces habitées de sa villa, miss Helen, qui nedormait pas, avait parfaitement entendu le bruit de la détonation,et, courageuse comme à son ordinaire, elle avait passé un vêtementde nuit et s’était aventurée hors de sa chambre.

Sous l’influence d’un étrange pressentiment,elle avait couru au cabinet de travail, avait vu le coffre-fortéventré, le plan disparu.

Affolée, ne sachant si elle devait appeler àl’aide, elle avait tout à coup entendu dans le silence de la nuitle bruit d’un train entrant en gare à la station toute proche.

La station, c’est de là seulement que pouvaitvenir une aide efficace. La villa était isolée au milieu d’un vasteparc, et si elle était cernée par des bandits ? comme Helen sel’imaginait dans son affolement – une troupe de robustes policemenne serait pas de trop pour la défendre et surtout pour reconquérirle plan volé.

Il n’y avait d’ailleurs à Cedar Grove que deuxfemmes de chambre, qui couchaient dans les combles et qui n’eussentpas été d’un grand secours. Les autres domestiques avaient tousleur logement en ville.

C’est alors que miss Helen se souvint du filtransmetteur, qui, ainsi que cela se pratique dans certainesadministrations, sert au transport de petits objets qu’on faitglisser le long de l’inclinaison du fil.

Étant enfant, elle s’était souvent amusée à yfaire glisser une sonnette, qu’elle agitait au moment du passagedes trains, pour envoyer le bonjour à son ami George.

Cette sonnette existait encore, en un instantHelen l’eut fait glisser à l’autre extrémité du fil, et ellel’agita frénétiquement.

« Le train qui vient d’entrer en gare estcelui que conduit George Storm, songeait-elle, et c’est ici qu’iltermine son service. S’il m’a entendu, il viendra à notresecours. »

Dans son affolement, elle avait complètementoublié Dixler, ce soir-là l’hôte de la villa.

Cependant, elle ne s’était pas trompée dansses prévisions.

Le tintement de la sonnette s’agitantau-dessus de sa locomotive, rappelait à George trop de souvenirspour qu’il n’y fît pas attention.

– Cet appel en pleine nuit !s’écria-t-il angoissé, il se passe quelque chose d’insolite à CedarGrove. Miss Helen court peut-être quelque danger !

Et sans plus réfléchir, le brave garçon, suivide son chauffeur, s’était élancé dans la direction de la villa.

Pendant ce temps, Spike et Lefty, cherchanttoujours une issue avaient poussé une porte, s’étaient trouvés enface de Helen.

– C’est elle qui donne l’alarme, hurlaSpike, il faut la faire taire. Il va faire jour d’ici peu, nousserions pincés comme des rats d’eau dans une ratière.

– Au secours ! cria la jeune filled’une voix mourante.

Mais Spike avait bondi sur elle, et la tenaità la gorge. Puis, avec une dextérité que stimulait le danger qu’ilscouraient, les deux bandits lui lièrent les bras et les jambes, labâillonnèrent et la laissèrent évanouie, à demi-morte, sur undivan.

– Maintenant, dit Spike, je sais par oùpasser, suis-moi.

Grâce à la fenêtre ouverte sur le jardin dansla chambre de Helen, le bandit s’était rapidement orienté.

Une minute plus tard, les deux copainstraversaient le jardin sans encombre et dévalaient vers la gare detoute la vitesse de leurs jambes.

Il s’en était fallu de peu d’ailleurs qu’ilsne fussent pris.

Maintenant toute la maison était sur pied.Dixler, George, son chauffeur, Rhinelander, deux policemen venus dela gare fouillaient tous les coins de la villa, exploraient lejardin, et enfin constataient le bris du coffre-fort et le vol.

Dixler, qui pour dérouter les soupçons,faisait étalage du plus grand zèle, fut le premier à se demander cequ’était devenue miss Helen. Il courut à la chambre de la jeunefille, et c’est lui qui coupa ses liens et la délivra du bâillonqui l’étouffait.

À peine revenue à elle, elle murmura d’un airégaré :

– Le plan, ils ont volé le plan dutunnel !…

Mais Dixler, à qui une des femmes de servicevenait de dire quelques mots, s’écria d’un air decomponction :

– Hélas ! miss, ce n’est pas le seulmalheur… Votre père…

– Parlez, je suis assez courageuse poursupporter toute la vérité.

– En apprenant le vol dont il venaitd’être victime, le général Holmes a été frappé d’unecongestion.

Sans répondre une parole, Helen s’étaitélancée vers la chambre de son père auquel on faisait respirer dessels et dont on frictionnait les tempes. Mais tous les soins furentinutiles. Frappé dans ses espoirs les plus chers, le général avaitsuccombé à une apoplexie foudroyante.

Helen demeura quelques minutes comme écraséepar l’immensité du malheur qui la frappait. Elle tint longtempsdans ses mains les mains déjà glacées de son père.

Puis brusquement, elle s’arracha à cettecontemplation, essuya ses larmes et relevant la tête :

– J’aurai le temps de pleurer mon père,s’écria-t-elle, maintenant il faut que je le venge. Il faut que jefasse arrêter les bandits qui ont causé sa mort et que je retrouvele plan volé ! Et cela je le ferai, je le jure sur le corps demon pauvre père assassiné.

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