L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE II – La mine d’or

Quinze jours environ avant les événements quenous venons de rapporter, tout le personnel de la mine d’or deBlack Mountain, était en grand émoi.

Slim Roë, le chef de chantier, était en trainde déjeuner dans sa maison de bois, quand un mineur ouvrit la porteet se laissa tomber sur un siège, avec un juron.

– Qu’est-ce que tu as, Colt ?

– J’ai, monsieur Roë, que voilà unedamnée aventure.

– Explique-toi.

– Depuis ce matin, nous ne retrouvonsplus le filon. Slim Roë se leva d’un bond.

– On a tâté à droite, à gauche, on a faitsauter des blocs de quartz, et rien, toujours rien, plus uneparcelle d’or. La veine est perdue.

– Je vais aller voir cela par moi-même,garçon, fit le chef de chantier, qui, laissant son repas inachevé,suivit le mineur.

En présence du chef de chantier, lesexpériences recommencèrent.

Slim Roë fit sauter de nouvelles couches durocher, fit remplir deux wagonnets des débris produits parl’explosion et les fit immédiatement broyer par les moulins àquartz.

L’opération ne donna pas une paillette.

– Diable, diable, murmura-t-ilsoucieux.

Il ne voulut pourtant pas encore s’avouervaincu. Il fit prendre les sables rejetés par les pilons et lesappareils d’agglomération et les fit passer au« stinée », sur un fond de mercure.

Pas un atome du précieux métal ne se retrouvasur la cuvette.

L’épreuve était concluante.

Il n’y avait plus d’or dans la mine.

Slim Roë envoya aussitôt un homme à cheval àOceanside, porter la dépêche suivante :

À Monsieur Fritz Dixler, LasVegas,

Cher Monsieur,

Voulez-vous venir immédiatement à la mine.Le filon a disparu dans les principaux chantiers.

Slim ROË.

Quand Dixler reçut ce télégramme, il fut commeassommé. C’était au lendemain de son échec définitif, alors qu’ilavait dû abandonner les travaux de Pôle Creek. Toutl’accablait.

Un instant, il eut l’idée d’abandonner lamission qu’on lui avait confiée, aux États-Unis, et de retourner enAllemagne réclamer son grade de capitaine de la garde et reprendresa place avec ses camarades qui se battaient pour l’empire.

Mais une minute de réflexion lui fitcomprendre toute la folie de son dessein.

Pouvait-il faire ce qu’il voulait ?Avait-il seulement une volonté ? Il n’était rien qu’un esclavedans la main de fer de ses maîtres. Pas autre chose. Il serésigna.

Néanmoins, il fallait agir. Il avait mispresque toute sa fortune personnelle dans la mine de BlackMountain. Si la mine était épuisée, c’était la ruine. En tout cas,il fallait voir.

L’Allemand se fit indiquer un expert à unbureau de renseignements et une demi-heure après il pénétrait dansle bureau de M. Adams.

Il expliqua au professionnel l’objet de savisite et, comme l’expert était libre toute la journée, il l’emmenaimmédiatement.

Une heure plus tard, la puissante auto deDixler roulait sur la route d’Oceanside.

Slim Roë attendait son patron avec la plusvive impatience.

– Ah ! monsieur, quel malheur, ditle brave garçon, aussitôt qu’il l’aperçut.

– Tout n’est peut-être pasperdu ?

– Je crois bien que si,monsieur !

– En tout cas, M. Adams que j’amèneva tirer la chose au clair. Conduisez-nous aux chantiers.

M. Adams recommença toutes lesexpériences déjà faites par Slim Roë et se livra à un examenmicroscopique le plus sérieux et après une demi-journée de travail,il déclara à Dixler, désespéré :

– Je doute qu’il soit possible deretrouver le filon.

Dixler eut un geste violent et sortit de lamine, s’éloignant à grands pas.

Son dernier espoir s’écroulait.

Qu’allait-il faire, maintenant ?

Il se laissa tomber sur un rocher et réfléchitdouloureusement. Et une succession rapide d’images, toute sa vie,repassa devant ses yeux.

Il se voyait enfant, jouant insouciant dans ungrand château de Westphalie, puis jeune homme, entrant à l’écoledes Cadets. Comme il était alors heureux et insouciant ! Lesbelles années ! Les succès à ses examens, les compliments deses chefs et de ses maîtres lui faisaient espérer un avenirmagnifique, ce qui le gonflait d’orgueil.

Oh ! la joie de porter le glorieuxuniforme prussien, de faire sonner son sabre sur les pavés de laville, de sentir qu’il appartenait à une caste spéciale etdominatrice à laquelle tout était permis.

Il était beau, il était jeune, il était riche,il avait la faveur du maître… nul espoir ne lui était défendu.C’était le bon temps.

Alors, les mauvaises années étaientvenues.

Son père, le comte Dixler se lançait, commebien des gentilshommes allemands, dans des spéculations folles quile menaient, après bien des luttes, à la ruine.

Oh ! ce jour sinistre où, sur une dépêchede sa mère, il était revenu en hâte à Potsdam :

Ton père très souffrant. Viens vite.

Tatiana von DIXLER.

Il avait pénétré dans le vieux château, par unsombre après-midi de décembre. Le ciel déjà semblait porter ledeuil. Les serviteurs le saluaient en se détournant, il était montéjusqu’à la chambre de son père, et là, il avait vu un cadavre surle grand lit seigneurial et, écroulée sur le tapis, près de lacouche funèbre, sa chère mère qui sanglotait.

Tout était fini.

Bientôt, il apprenait l’horrible drame.

Le comte de Dixler n’était pas seulementruiné, quand la catastrophe s’était produite. Dans un coup defolie, voyant tout s’effondrer autour de lui, il avait signé defausses traites et le jour de l’échéance, dans l’impossibilité depayer, il s’était fait misérablement sauter la cervelle.

L’affaire avait fait un bruit énorme, et lescandale avait été si grand qu’on avait fait comprendre au jeunehomme qu’il lui fallait quitter l’armée.

Après avoir obtenu sa mise en disponibilité,la douleur du jeune homme avait été si rude qu’il avait pensé, uninstant, à imiter le geste honteux de son père.

Mais la pensée de sa mère, qu’il laisseraitainsi atrocement seule, l’avait sauvé du suicide.

Un devoir maintenant s’imposait. Il fallaitfaire vivre la comtesse de Dixler.

Le jeune officier chercha un emploi.

Comme il n’avait pas de métier, que toutes sesconnaissances se bornaient à une éducation strictement militaire,il ne trouva rien.

C’était maintenant la misère.

Un soir, où, échoué mélancoliquement dans unebrasserie de la Südenstrasse, à Berlin, il pensait à s’expatrier,on lui avait vaguement parlé d’un emploi en Afrique, il sentitqu’on lui frappait sur l’épaule.

Il se retourna vivement.

Devant lui, souriait un grand jeune hommepâle, à la moustache rare, le monocle à l’œil et qui était vêtufort élégamment.

– Comment ça va, Dixler ?…

Fritz eut, en reconnaissant celui qui luiparlait, un geste de recul. Comment ! Eitel von Garching, cetancien officier aux gardes, chassé de l’armée pour avoir triché aujeu, avait l’aplomb de lui tendre la main.

Puis, il songea à ce qu’il était lui-mêmedevenu, il courba la tête et répondit à voix basse :

– Bonjour, Garching.

– Ma foi, mon vieux, fit l’ancienofficier en s’asseyant sans façon à sa table, tu ne m’as pas l’airbien brillant ; à propos… on m’a appris que tu as demandé uncongé illimité.

Le jeune homme rougit. Il répondit enbalbutiant :

– Oui ! j’ai dû pour quelque temps…des raisons de famille… Eitel von Garching éclata d’un rirebruyant.

– Oui, oui, vieux renard, je connaistoute l’histoire : le papa a fait des bêtises… mais ce n’estpas une raison pour un joli garçon comme toi de rester dansl’embarras.

– J’ai cherché partout quelque chose àfaire.

– Et tu n’as rien trouvé ?

– Rien.

– Il fallait s’adresser aux vieuxamis ?

Dixler eut un haut-le-cœur en se voyant traitéavec cette familiarité protectrice par cet individu taré quepersonne de propre ne saluait plus.

Mais sa détresse était si grande qu’il fittaire son amour-propre et demanda :

– Tu as quelque chose à meproposer ?

– Peut-être !

– Alors, ne me fais pas attendre, car jesuis à bout.

– Une seconde, cependant…

Et tapant avec son stick sur la lourde tablede bois, Eitel appela la fille.

Une robuste marronne, les joues luisantescomme des pommes, le corsage largement échancré, se présentaaussitôt :

– Vous désirez ? Excellence.

– Du champagne.

– À six, sept ou huit marks ?

– Le meilleur.

– C’est trente marks.

– Ça m’est égal.

Le champagne, une fois pétillant dans lesverres, Garching mit les coudes sur la table et se penchant versDixler, il lui dit, les yeux dans les yeux :

– Causons.

– Je t’écoute.

– Tu veux gagner de l’argent ?

– Je veux empêcher ma mère de mourir defaim.

– Ce sentiment t’honore, ricana Eitel, etprouve que tu es fils, mais il faut aussi penser à soi. Maintenantune simple question…

– Parle.

– Es-tu disposé à toutaccepter ?

Le jeune homme hésita une seconde puis, enfermant les yeux, il répondit sourdement :

– Tout.

– Bien. Alors tu n’auras qu’à venirdemain à l’hôtel d’Angleterre, à dix heures, et je te présenterai àdes gens qui sauront t’employer et qui récompenseront généreusementton travail.

– En quoi consistera-t-il ?

– Que t’importe, puisque tu es disposé àtout faire.

– Je ne ferai rien contre l’honneur.

– Bah ! bah ! bagatelle… grandsmots, viande creuse, l’honneur !… tu en reviendras.

– Non, non, fit violemment Dixler en seraidissant, je ne sais pas où tu m’entraînes. Décidément, je nepeux pas ; mets que je n’ai rien dit.

– Nigaud, reprit l’ancien officier ensaisissant le poignet de son camarade… Connais-tu le septièmebureau ?

– Le septième bureau…, certainement, leservice d’espionnage !

– C’est bien cela.

– Alors ?

– C’est là où je te conduirai demainmatin.

Dixler sentit un flot de sang qui lui montaità la face. Il se leva brusquement.

– Non… ça, jamais ! Garching leforça à se rasseoir.

– Pardon, mon cher, dit-il d’un airpincé, mais je voudrais bien savoir ce que tu trouves dedéshonorant à servir ton pays.

– Pas comme ça…

– On le sert comme on peut. Je dépendscependant, moi qui te parle, du septième bureau, et je m’en trouvebien, à tout point de vue. Je suis sûr que si tu veux, demain, avecmoi, voir le général de Zorm, tu seras accepté d’emblée et pourvud’un emploi intéressant. Tu parles l’anglais ?…

– Et le français.

– C’est à merveille. À présent ne parlonsplus d’affaires sérieuses, buvons et réjouissons-nous…Gaudeamus igitur !…

En le quittant à trois heures du matin, Eitelvon Garching dit à Fritz von Dixler :

– Il reste encore assez de nuit pourporter conseil. Réfléchis. Bonsoir.

Et le lendemain matin, conduit parl’ex-officier, le jeune baron franchissait le seuil redouté duseptième bureau.

Quand il sortit, deux heures après, l’immensearmée de l’espionnage allemand, à travers le monde, comptait unsoldat de plus.

Et depuis, Dixler avait continué son infâmemétier.

Jusqu’ici, il avait été toujours très heureuxdans les différentes missions dont il avait été chargé, mais depuisl’affaire du chemin de fer du Pacifique, la chance semblait avoirtourné.

Déjà il était regardé en haut lieu d’un moinsbon œil. Il se rappelait avec dépit la visite du baron von Hiring àPôle Creek. Maintenant c’était cette affaire de mine qui venaitl’accabler. Où allait-il ? Qu’allait-il devenir ?

Tout à coup, il redressa le front, un mauvaissourire retroussa sa lèvre, ses yeux brillaient d’une joieperverse…

– Oui, oui, c’est cela… Quel coupmagnifique ! Ah ! si l’idée pouvait réussir… pourquoi pasaprès tout ?

Il dressa sa haute taille et fit signe àAdams, l’expert, qui sortait des chantiers.

Quand ce dernier l’eut rejoint :

– Décidément, fit-il, vous croyez qu’iln’y a qu’à abandonner la mine.

– Ma foi, monsieur, répondit Adams, ceserait le plus sage, vous connaissez ces histoires-là aussi bienque moi. C’est un coup de loterie ; vous pourriez aussi bienretrouver le filon, que dépenser un million de dollars à desrecherches inutiles… Dans votre intérêt, je vous conseille de toutlaisser là et de ne pas enterrer ici votre argent.

– Vraiment, vous pensez que la mine nevaut plus rien.

– C’est mon avis. Dixler se mit àrire.

– Eh bien, moi, je vous dis que la minevaut toujours trois millions de dollars.

– C’est de la folie !

– Écoutez-moi bien. J’ai en vue un grosacheteur. Personne ne connaît encore le malheur qui vient de nousarriver. Seuls, sont au courant, vous, moi, mon chef de chantier etquelques mineurs qu’on peut éloigner. Je suis sûr de Slim Roë commede moi-même. Reste donc…

– Moi, dit nettement l’expert, quicommençait à comprendre. Les deux hommes se regardèrent bien dansles yeux.

– Combien ? interrogea Adams.

– Cinq mille dollars.

– Non, cinquante mille.

– Je ne marche pas.

– Alors, rien de fait.

– Coupons la poire en deux. Je vous offrevingt mille.

– Vingt-cinq…

– Vingt-cinq mille dollars, soit.

– Je vais vous rédiger un petit rapportmagnifique où j’affirmerai que Black Mountain est aussi richequ’Allison Ranch, de fabuleuse mémoire.

– À merveille.

– Seulement, il faut se méfier. Notreacheteur ne se contentera pas seulement de mon contrôle, il tiendraà soumettre le minerai à l’expertise de l’un de mes confrères.

– C’est vrai, diable !

– Ne vous désolez pas. Donnez-moi, outreSlim Roë, deux hommes sûrs, et ne vous inquiétez pas du reste.

– Qu’allez-vous faire ?

– Nous allons truquer la mine, mon chermonsieur, et de telle façon que le plus malin n’y verra… que del’or.

Dixler se mit à rire.

– Vous êtes un joyeux compagnon, dit-il àAdams, en lui serrant vigoureusement la main, et je suis content dem’être adressé à vous.

– Deux hommes intelligents s’entendenttoujours, conclut finalement l’aimable gredin.

Deux heures plus tard, on aurait pu voirM. Adams et ses acolytes se livrer dans les galeries de lamine à un étrange travail.

Des mains adroites glissaient de la poudred’or dans les fissures du roc ou tiraient sur les blocs de quartzdes coups de fusil chargé de poudre d’or au lieu de plomb ; enun mot, comme l’avait si bien dit l’expert, on truquait la minestérile de la plus ingénieuse façon du monde.

L’acheteur pouvait venir. On avait même prisla précaution de faire charger un wagon de sacs de minerai, premiertitre, provenant de la production de la dernière semaine.

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