L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE II – Une cruelle déception

L’ingénieur Hamilton, lui aussi, étaitd’excellente humeur. Il s’installa dans un confortable wagon dutrain 8, lut ses journaux, se livra même à des calculs sur lerendement probable de la mine dont les travaux d’aménagement qu’ilallait entreprendre devaient tripler le rendement, arrivant ainsi àdes totaux de plus en plus satisfaisants.

– Décidément, se disait-il, l’affaire estsuperbe ! Qu’il y ait seulement moitié autant d’or dans lamine que n’en annoncent les échantillons et nous allons encaisserde formidables bénéfices. Les actions de la Central Trust vontdépasser le pair, et ma chère Helen, un moment ruinée, va redevenirce qu’elle était avant la mort de son père, une des plus richeshéritières du Colorado.

C’est dans cette disposition d’esprit quel’ingénieur descendit du wagon et mit le pied sur le quai de lagare où l’attendaient miss Helen et George Storm.

– Mes chers amis, s’écria-t-il en leurserrant les mains avec effusion, l’affaire est dans le sac !…Il faut que Dixler ait réellement besoin d’argent.

Et se tournant vers miss Helen :

– Ma chère enfant, ajouta-t-il, il fautque nous soyons riches, très riches, et nous allons travailler enconséquence !

Chemin faisant, l’ingénieur qui avait fait desérieuses études en géologie, expliqua aux deux jeunes gens lanature de la mine Superstition.

– Les gisements aurifères sont de deuxsortes, leur dit-il, les placers et les mines proprement dites. Lesplacers se composent de sables aurifères entraînés petit à petitpar l’action des pluies ou des glaciers qui ont effrité la roche etont entraîné les débris que l’on rencontre généralement en couchesépaisses sur des bancs de glaise bleue, dans le voisinage desrivières et dans les terrains d’alluvions.

– Tels sont, par exemple, interrompitGeorge, les placers de Californie.

– Les mines, au contraire, se rencontrentdans les terrains volcaniques, souvent au cœur des montagnes commela sierra Nevada ; c’est parmi les porphyres verts, lesserpentines, les diorites que l’on rencontre les fissures parlesquelles se sont fait jour les veines de quartz aurifères oufilons.

« La mine de Superstition est un gisementconsidérable de ce quartz. Roches très dures que les mineursdoivent attaquer soit à la dynamite, soit avec le fleuret d’acierchromé.

L’ingénieur entra dans une foule d’autresexplications techniques qui intéressèrent vivement Helen et George.Cette conversation leur fit paraître le chemin très court, et ilsarrivèrent à l’entrée de la mine sans s’en être aperçu.

– Si vous le voulez bien, proposal’ingénieur, nous allons faire un tour dans les galeries. Je nesuis pas fâché de voir par moi-même ce qu’a produit le travail desquelques ouvriers qui sont encore ici et dont je compte biend’ailleurs d’ici peu décupler le nombre.

– Voici précisément, dit miss Helen, unwagonnet rempli de minerai qui a dû être extrait aujourd’huimême.

L’ingénieur contempla les petits caillouxcristallins aux reflets étincelants, il en prit quelques-uns auhasard et les examina avec sa loupe, puis les rejeta avec une mouede désappointement.

– Maigre butin, murmura-t-il, c’est àpeine si dans ce quartz il y a de faibles traces d’or, cescailloux-là sont tout au plus bons à empierrer les routes, ils nevalent pas les frais du traitement chimique qui, vous le savez, estassez coûteux.

– Il ne faut pas se décourager, ditHelen.

– Ce n’est pas que je sois découragé, jeconnais bien les exploitations aurifères, je n’ignore pas qu’ontravaillera très bien plusieurs jours de suite, sans résultatappréciable, comme on pourra tomber aussi du premier coup sur devéritables poches d’or renfermant des pépites d’une colossalegrosseur.

Tout en parlant ainsi, ils avaient pénétrédans la galerie. Le contremaître qui, suivant les conventionsarrêtées d’avance, passait du service de Dixler à celui deHamilton, vint au-devant de son nouveau directeur.

Carrington, tel était le nom du contremaître,était un mineur réputé, un Cornishman, c’est-à-dire qu’ilétait originaire de la province de Cornouailles, en Angleterre,dont les mineurs passent pour les plus experts, luttent pour ainsidire corps à corps avec le quartz, ce cristal siliceux, si durqu’il entame l’acier le mieux trempé en dégageant des gerbesd’étincelles.

À deux dans une seule journée, ils émoussentparfois vingt ou trente fleurets.

– Comment se présentent les travaux,aujourd’hui, mon brave Carrington, demanda l’ingénieur.

Le Cornishman eut un haussementd’épaules évasif :

– Ce n’est pas très brillant, monsieurl’ingénieur, murmura-t-il. Mais vous savez qu’il n’y a rien de sicapricieux que les filons. Heureusement, j’ai avec moi destravailleurs très sérieux.

– Puis, s’écria gaiement Helen, vousvenez à peine de signer le contrat de vente, vous ne voudriez pasque la mine vous eût déjà enrichi.

– Ce serait aller un peu vite en besogne,en effet !

Ils avaient pénétré sous les hautes voûtes,aux parois scintillantes.

Carrington alluma des lampes. Ils s’engagèrentdans une des galeries latérales qui semblaient s’enfoncer jusqu’aucœur de la montagne.

Bien que l’atmosphère y fût glaciale, lesmineurs qui travaillaient deux par deux, l’un tenant le fleuret,l’autre le lourd marteau, étaient ruisselants de sueur. Leurstorses demi-nus étaient moites et brillants.

À chaque groupe qu’ils rencontraient,l’ingénieur Hamilton posait la même question :

– Eh bien, et les travaux ? Chaquefois la réponse était la même :

– Rien de bon aujourd’hui, monsieurl’ingénieur.

– Mauvais début, grommelait l’ingénieuren essayant de réagir contre le pressentiment qu’il éprouvait.

Enfin, dans l’angle le plus obscur de lagalerie, ils trouvèrent un vieil Irlandais dont la réponse lesrasséréna un peu.

– Nous sommes certainement dans la bonnevoie, monsieur l’ingénieur, dit-il, il y a de l’or dans cerocher-là, beaucoup d’or.

– Puissiez-vous dire vrai, dit missHelen.

– Tenez, continua l’Irlandais, j’aidétaché ce matin deux fragments de minerai d’une richesse peuordinaire, en voici un que j’ai mis de côté pour vous lemontrer.

Et il tendit à l’ingénieur un morceau dequartz tout étincelant d’une poussière d’or.

– Voilà qui me rassure, dit Hamilton, enmettant l’échantillon dans sa poche après l’avoir fait admirer àGeorge et à miss Helen. Et, dans sa joie, il donna généreusement undollar de gratification au vieil Irlandais.

Dix mètres plus loin, ils questionnèrentencore un mineur, un Yankee à la face taciturne et fermée.

–… Rien ! fut la réponse mélancolique del’homme.

– Il y en a qui sont plus heureux quetoi, répliqua George Storm. Montrez-lui donc, monsieur Hamilton, lemorceau de minerai que vous a remis Paddy l’Irlandais.

L’ingénieur tira l’échantillon de sa poche. LeYankee l’examina longuement et attentivement.

– Voulez-vous mon opinion très franche,monsieur l’ingénieur, dit-il enfin.

– Mais, certainement.

– Eh bien, l’or que vous voyez là n’y apas été placé par la nature.

– Que veux-tu dire ?…

– Tout simplement que la mine a étésalée…

Le mot du Yankee fut pour l’ingénieur un traitde lumière. Hamilton, qui savait de quoi Dixler était capable, nedouta pas un seul instant qu’il n’eût été victime de l’astucieuxAllemand, mais aussi comment eût-il pu avoir des soupçons, lesrapports des experts étaient tous favorables et de plus – c’étaitlà un fait – on avait déjà extrait de la mine Superstition pourplusieurs millions d’or.

– Vous comprenez, reprit le Yankee de savoix calme, le filon est épuisé ou bien il est perdu, ce quirevient au même !…

L’ingénieur Hamilton crut voir la foudretomber à ses pieds. Helen et George se regardèrent atterrés.

– Le filon perdu ! balbutial’ingénieur avec désespoir, mais c’est impossible.

– Je ne me trompe pas, murmura le Yankee,je ne travaille ici que depuis ce matin mais j’ai une grandeexpérience des mines d’or, jamais je ne me suis occupé d’autrechose. Si je vous dis que la veine est épuisée ou perdue, c’est quec’est la pure vérité.

L’homme avait parlé d’un ton de conviction sitranquille que Hamilton comprit qu’il ne s’était pas trompé.

L’ingénieur porta la main à son front avecégarement, il se vit perdu.

Ses commanditaires allaient lui demandercompte des millions de dollars inutilement sacrifiés et peut-êtremême le croiraient-ils complice de Dixler, vendu lui-même àl’Allemagne ; il échangea avec George et Helen, qui eux aussicomprenaient la gravité de la catastrophe, un regard terrifié.

Il y eut un moment de silence tragique.

– Ce serait l’écroulement de tous nosplans, l’anéantissement de toutes nos espérances, murmura enfin lajeune fille d’une voix étranglée par l’émotion ? Mais cela nese peut pas…, cet homme se trompe…

– Non, répondit froidement l’ingénieur,ce qu’il a dit est parfaitement exact.

– C’est un désastre, balbutia GeorgeStorm, en se serrant contre Helen, d’un mouvement pour ainsi direinstinctif.

– Écoutez-moi attentivement, repritl’ingénieur, on vient de dire que le filon était épuisé ouperdu ; il est perdu, cela ne fait pas l’ombre d’un doute.

– Alors ? demanda Helen, dontl’angoisse faisait battre le cœur.

– Il est perdu, oui, mais il n’est pasépuisé !…

– Qui vous le donne à penser ?

– J’ai longtemps étudié la géologie decette région, je sais que le banc de quartz aurifère que nousexploitons s’étend à une distance considérable sous la montagne. Jele répète, le filon est certainement perdu, mais il n’est pasépuisé.

– Alors, il faut le retrouver, s’écriaimpétueusement miss Helen.

– Croyez-vous que ce soit facile !…Il n’y a qu’un moyen, la dynamite, encore ce moyen présente-t-ilmille inconvénients.

– Essayons-le, s’écrièrent d’une mêmevoix, Helen et George.

– C’est bien mon intention, repritl’ingénieur, faites venir Carrington, le Yankee et l’Irlandais, jevais leur indiquer les endroits où il faut pratiquer les trous demine, nous les aiderons à disposer les fils électriques et je veuxqu’à la fin de la journée nous ayons retrouvé le filon perdu, ouqu’alors…

Sous la direction de l’ingénieur, tout lemonde se mit à l’œuvre. Après avoir consulté les plans del’ancienne mine, on désigna les points où, suivant les cartesgéologiques de la région, on avait le plus de chance de retrouverla veine aurifère. Ces préparatifs demandèrent plus d’une heure,les travailleurs avaient eu soin de se retirer des galeries, missHelen s’était installée dans la cabine électrique.

Tous attendaient avec impatience !…

Il y eut quelques minutes d’une attenteangoissante.

– Feu !… commanda l’ingénieurHamilton.

Une formidable explosion fit trembler le sol,longtemps répercutée par l’écho des voûtes souterraines.

Le filon perdu était retrouvé ou la minecomplètement effondrée sous les décombres…

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