L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE IV – La catastrophe

L’explosion qui avait fait trembler le sol àdeux milles à la ronde, avait rempli les galeries de la mine d’unefumée opaque et nauséabonde, dégageant une odeur caractéristique etfétide qui accompagne la combustion de tous les composésazotés.

En dépit des puissants ventilateurs, disposésà l’entrée des galeries, celles-ci allaient demeurer inaccessiblespendant au moins une heure.

L’ingénieur Hamilton, Helen et Georgeattendaient impatiemment que la mine fût enfin praticable.

L’ingénieur était perplexe, plein denervosité.

– Avez-vous entendu des bruitsd’éboulements, demanda-t-il à Helen et à George.

– Non, répondit la jeune fille.

– Ce que je viens de tenter était trèshardi, les galeries auraient pu s’ébouler et je ne suis pas encorecertain…

– Calmez donc votre inquiétude, fitobserver George Storm, vous n’ignorez pas que ces couloirs creusésdans la roche vive sont d’une solidité extraordinaire. Quelquesblocs déjà ébranlés dans leur alvéole ont pu se détacher, maisl’ensemble a résisté, j’en suis sûr ; les porphyres et lesquartz forment les assises les plus solides de l’antique écorce dela planète.

Cependant, la fumée se dissipait rapidement,les profondeurs de la mine apparaissaient comme un brouillard oùsemblaient s’agiter des formes indécises, c’était comme lecrépuscule d’un brumeux matin d’automne, succédant à la nuitpluvieuse et noire.

– Nous avons véritablement de la chance,murmura l’ingénieur, d’une voix saccadée, les galeries sontintactes.

– Je crois, dit George Storm, quemaintenant nous pouvons entrer.

– Je vous accompagne, demanda missHelen ?

– Non, miss, cela ne se peut pas,répliqua sévèrement l’ingénieur. Il peut encore rouler sur nousquelques blocs mal descellés et ce serait criminel de ma part devous exposer inutilement au danger.

– Comme il vous plaira, murmura la jeunefille, légèrement vexée, allez donc et revenez vite me dire que lefilon perdu est retrouvé.

L’ingénieur Hamilton et George Storm, aprèss’être munis de lampes, de fleurets, de pics et de marteaux,s’avancèrent dans les galeries.

À l’endroit où l’explosion des cartouches dedynamite s’était produite, des excavations s’étaient creusées, desprofondes fissures s’étaient formées.

À la lueur des lampes, les parois cristallinesdu roc étincelaient de mille feux. L’ingénieur, d’un coup de pic,détacha quelques fragments. George l’imita.

L’Irlandais, le Yankee et le contremaître quiles suivaient en firent autant.

Tous ces échantillons furent chargés sur unwagonnet et menés jusqu’à l’entrée de la mine où miss Holmes, avecl’aide d’un vieux mineur les examina.

Mais tous deux avaient beau retourner lespierres brillantes, les considérer dans tous les sens, ilsn’apercevaient que des traces de métal à peine perceptibles.

– Il vaut mieux que je vous le dise,murmura le mineur, il n’y a pas dans tous ces cailloux de quoiacheter une bouteille de whisky.

Miss Helen demeura silencieuse, mais son cœurse serrait à la pensée du désastre qu’allait causer à la Compagniedu Central Trust la fourberie de Fritz Dixler.

Pendant ce temps, avec une sorte de rage,George Storm et l’ingénieur Hamilton continuaient à détacher desmorceaux de rocs.

La sueur au front, ils n’interrompaient leurtravail que pour examiner, à la lueur de leurs lampes, la paroi dela galerie.

– Rien, il n’y a rien, répétaitl’ingénieur avec un amer découragement.

– Continuons, répondait George. Il estimpossible que nous ne retrouvions pas le filon perdu.

– Je commence à désespérer.

– Il faut que nous le retrouvions.Dussions-nous éventrer la montagne, nous poserons, s’il le faut, denouvelles cartouches.

– Je commence à craindre que tout celasoit inutile. « Oh ! Dixler savait bien ce qu’ilfaisait !…

« Je suis cruellement puni de ma naïveté,je me rends parfaitement compte, maintenant, que si la mine deSuperstition avait eu quelque valeur, l’Allemand n’aurait jamais eul’idée de la vendre.

– Ne désespérez pas ! tenez !je vois briller des paillettes d’or.

Et il montrait une cassure fraîche de lapierre, toute scintillante de métal.

L’ingénieur soupira comme débarrassé d’unlourd fardeau.

– Vous avez raison, murmura-t-il, c’estde l’or !…

Avec une joie fiévreuse, tous deux attaquèrentla roche siliceuse d’où l’acier de leur pic faisait jaillir desgerbes d’étincelles. L’or continuait à se montrer en assez grandeabondance.

– Le filon !… balbutiaitl’ingénieur, avec une sorte d’égarement, je crois que cette foisnous l’avons ressaisi !…

Et il continuait à détacher les fragments desilex avec une sorte de fièvre, pleine d’allégresse. Dans leursmains, les lourds outils d’acier ne pesaient pas plus qu’unepaille, ils ne sentaient pas leur fatigue. Et toujours les fauvesrayons du métal continuaient à luire à leurs yeux, comme si unerosée d’or eut filtré à travers la pierre.

À leurs pieds, il y en avait déjà un petitmonceau, puis tout à coup, les paillettes ne reparurent plus.

Ce n’était pas le filon qu’ils avaientretrouvé, c’était une de ces minuscules veines comme il s’en trouvedans tous les massifs schisteux.

L’ingénieur Hamilton s’était arrêté, horsd’haleine, les bras rompus par le violent exercice auquel il venaitde se livrer.

– Décidément, balbutia-t-il avectristesse, je crois qu’il faut y renoncer.

– Essayons encore, fit George avecobstination.

De nouveau, mais cette fois sans grandespoir ; ils se remirent au travail.

Ce fut peine inutile.

L’or, qui semblait ne s’être montré à eux quepour ainsi dire les narguer, avait définitivement disparu.

– Il vaut mieux y renoncer, déclaral’ingénieur. Vous voyez bien que nous n’arriverons à rien, nousavons perdu la partie.

– Monsieur Hamilton, répondit George,avec cette vive confiance que donne la jeunesse, il y a encore aubout de la galerie une faille que nous n’avons pas encoreexplorée.

– Examinons-la, si vous le désirez,murmura l’ingénieur avec une sombre résignation ; mais je suissûr que ce sera du temps et de la peine perdus ; aujourd’hui,la chance est contre nous.

– Essayons toujours !…

Ils se trouvaient à ce moment dans la partiela plus profonde de la mine, ils avaient laissé bien loin derrièreeux, les ouvriers occupés à détacher des morceaux de quartz et,dans l’éloignement, ils n’apercevaient plus leurs lampes, que commela lueur tremblante des feux follets dans la brume d’unmarécage.

Comme ils s’avançaient lentement versl’endroit indiqué par George, celui-ci eut un brusquemouvement.

– Avez-vous entendu, demanda-t-il ?L’ingénieur prêta l’oreille et sa physionomie s’altéra :

– Oui ! fit-il, il se produit autourde nous de sourds craquements, mais aussi les échos de la mine quirépercutent les moindres sonorités sont si trompeurs !L’ingénieur n’eut pas le temps d’achever sa phrase rassurante, unfracas solennel et sourd comme le bruit d’une avalanche parvint àleurs oreilles, en même temps que les lueurs lointaines des lampesdisparaissaient.

Hamilton et George Storm demeurèrent un momentplongés dans un silence plein d’angoisse.

– Expliquez-moi au juste ce qui se passe,demanda enfin le mécanicien.

– Mais vous ne comprenez donc pas, monpauvre George, s’écria l’ingénieur avec une poignante émotion, ceque j’avais redouté, tout d’abord, vient de se produire, les voûtesdes galeries de la mine, ébranlées par l’explosion, viennent des’écrouler, nous sommes ensevelis vivants !

– On viendra à notre secours.

– Ce n’est pas probable. Pour remuerl’énorme amas de rocs et de terre qui pèse sur nos têtes, ilfaudrait des machines, des centaines d’hommes et nous sommes ici enplein désert, à dix milles de toute habitation. Avant qu’on ait eule temps de nous délivrer, nous aurons succombé à la faim ou àl’asphyxie, George Storm ne trouva pas un mot à répondre, et dansle silence de l’étroite galerie qui devait être leur tombeau, lesdeux hommes échangèrent un regard plein d’un désespoir immense.

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