L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE V – L’image qui accuse

Sa dernière conversation avec Hamilton avaitlaissé Dixler soucieux. L’Allemand savait bien qu’il était enpossession du plan mais il redoutait quelque chose : quoiexactement ? il n’aurait pas su le dire, mais c’était comme lepressentiment d’un malheur ou du moins de quelque chosed’extrêmement désagréable qui le menaçait.

L’Allemand se résolut, afin d’avoir latranquillité, à ruiner définitivement l’œuvre entreprise parHamilton. Après avoir travaillé toute la nuit, il envoyait un longrapport au conseil d’administration de la Colorado, à Oceanside, etle résultat de cette manœuvre ne se faisait pas attendre.

Le surlendemain, M. Hamilton était surles chantiers, dans la petite tente qui lui servait de bureau,quand on lui apporta la lettre suivante :

Mon cher Hamilton,

J’ai une mauvaise nouvelle à vousannoncer. Vous savez que bien que, rivale de la vôtre, notreCompagnie du Colorado avait verbalement consenti à laisser passervotre transit sur notre voie de Clover Hill, pour faciliter votrebesogne. Notre commission des travaux vient de décider qu’elle nerenouvellerait pas la location. J’ai bataillé comme j’ai pu envotre faveur, mais je me suis heurté à une volonté bien nette duconseil d’administration. Il reste une chance de salut.

D’après une conversation que vous auriezeue avec notre ingénieur en chef, M. Dixler, il paraîtrait quevous auriez entre les mains un plan ou une copie du plan du fameuxtrain du général Holmes.

Si cela était, nous serions heureux dereprendre les pourparlers d’antan et de faire en commun la grandeet nouvelle ligne d’Omaha à San Francisco.

Nous vous attendrons jusqu’à lundi,midi.

Bien sincèrement à vous,

Fred MILNER.

Après avoir lu cette lettre, Hamilton resta unmoment atterré. Le coup était rude.

Le bail de Clover Hill non renouvelé, c’étaitla mort sans phrases de l’entreprise.

Il faudrait, pour amener les matériaux auchantier de la Central Trust, construire une ligne extrêmementcoûteuse, étant donné la nature des terrains que le rail devraittraverser.

Très ému, le directeur alla trouver Helen, etlui donna connaissance de la lettre de M. Milner.

– Mon Dieu, fit-elle, mais ce seraitépouvantable, il faut trouver une solution, et pourtant,ajouta-t-elle avec angoisse, je sens sous tout cela une manœuvresourde, qui me prouve que nos ennemis n’ont pas désarmé.

– Et ils ne désarmeront pas. La seulechose qui pourrait nous sauver, ce serait de représenter le plan.Où est-il maintenant ?

– Je le retrouverai, je vous le jure,déclara Helen avec une énergie fébrile.

– Mais, ma pauvre petite, nous n’avonsque trois jours devant nous, et la tâche n’est pas commode. J’aipartout fait rechercher ce Lefty qui vous a échappé après lecambriolage, et il reste introuvable. Quant à Spike qui était sousles verrous, ses complices ont trouvé moyen de le faireéchapper.

– N’importe, dit Helen, ne désespérez pasencore. En trois jours, on fait bien des choses.

M. Hamilton quitta Helen sans ajouter unmot, car il ne voulait pas ruiner les dernières espérances de lajeune fille, mais il sortit du bureau, profondément accablé.

*

**

Ce matin-là, Dixler était de belle humeur.

Il venait de recevoir de Slotter, son agent àOceanside, une lettre lui apprenant que ses suggestions avaient étésuivies à la lettre et qu’on avait mis M. Hamilton en demeured’apporter le plan du général Holmes ou de voir dénoncé le bail deClover.

– Décidément, murmura-t-il, en se versantun verre de cherry, je suis en pleine veine ; j’étais bienfou, l’autre jour, avec mes idées noires.

Tout en monologuant, il continuait d’ouvrirson courrier.

– Tiens, qu’est-ce que cela, fit-il, entirant d’une grande enveloppe une photographie. Mais c’estmoi-même. Ah ! j’y suis, les deux journalistes qui sont venus,l’autre matin, m’interviewer… Ils avaient voulu à toute forceprendre un cliché de cet éminent M. Fritz Dixler. M’ont-ilsassez rasé, d’autant plus que j’étais en plein travail… je bûchaismême le plan de cet infortuné et toujours regretté généralHolmes…

Ici, le misérable éclata de rire.

– Mais c’est que je suis très beau surcette photo, continua-t-il, en regardant l’épreuve aveccomplaisance. Tiens ! une idée… je vais l’envoyer, avec uneinvitation, à cette petite Helen, qui est décidément bien gentille…Spike ! hé ! Spike !… voyons, il rôdait par là, toutà l’heure.

L’ignoble visage de l’ancien forçat parut,dans l’entrebâillement de la porte.

– Entre, vieux singe, tu vas me faire unecommission. Spike pénétra dans le bureau.

En travers de la photographie, l’ingénieurécrivit :

Chère Miss Holmes, Faites-moi doncl’amitié de venir déjeuner avec moi, demain. Je vous ferai visiterPole Creek. Sincèrement,

DIXLER.

L’ingénieur mit la photo sous enveloppe,écrivit l’adresse et tendit la lettre à Spike.

– Tu vas porter cela à miss Holmes et tume donneras la réponse.

– Bien, monsieur.

Et Spike sortit, en contorsionnant son visagede la plus hideuse façon.

*

**

Helen avait beaucoup réfléchi depuis sonentrevue avec Hamilton. Des faits qui lui avaient, jusqu’à présent,échappé étaient revenus à sa mémoire. Elle aurait voulu causer avecStorm pour contrôler ses souvenirs, mais George était parti laveille et elle lui avait gaiement souhaité bon voyage, car c’étaitla première fois qu’il allait conduire le Central Pacific, de SanFrancisco à Omaha, et retour.

Une idée, surtout, obsédait la jeunefille.

Ce John Clay, ce surveillant des travaux,embauché par Hamilton, elle se rappelait maintenant où elle avaitvu sa tête ignoble.

C’était au cours de l’agression dont elleavait été victime à Cedar Grove, durant la nuit tragique.

Elle n’avait vu qu’un instant les traits del’un des deux bandits, mais ils étaient gravés dans sa mémoire.

John Clay, c’était Spike !

Et d’autre part, elle avait surpris plusieursfois de mystérieuses conversations, à Last Chance ou sur les bordsde la Garana, entre ce misérable et Dixler.

Tout cela commençait à se coordonner dans sonesprit.

Elle s’expliquait, maintenant, cetterépugnance ressentie pour l’Allemand. Tout s’enchaînait. Dixlerétait la tête, Spike était l’instrument. Maintenant elle voyaitclair.

La jeune fille se rendit immédiatement chezM. Hamilton.

– Mon vieux Ham, dit-elle en entrant, ilfaut que vous partiez ce soir pour Oceanside.

– Mais qu’irais-je faire là-bas, mapauvre petite.

– Vous m’attendrez.

– Vous avez découvert quelquechose ?

– Peut-être.

– Vous ne voulez rien me dire ?

– Non, parce que je ne sais rien.

M. Hamilton ouvrait des yeuximmenses.

– Vous me croyez un peu toquée, fit Helenen riant, rassurez-vous, j’ai toute ma tête, et je crois être surla bonne piste.

Le directeur, d’abord, se refusa à tentercette suprême démarche qu’il appelait une inutile folie, mais Helenfit si bien qu’elle triompha de sa résistance.

Une heure après, M. Hamilton pénétraitdans le bureau, Spike, devant lui, portait sa valise.

– Vous le voyez, ma chère enfant, je vousobéis, je pars pour Oceanside.

– Vous verrez que vous n’aurez pas à leregretter.

– Le ciel vous entende !

– Il m’exaucera… Ah ! je suiscontente, vieux Ham.

Helen sauta au cou du brave homme etl’embrassa tendrement. Un quart d’heure plus tard M. Hamiltonétait dans le train et l’orpheline qui l’avait accompagné jusqu’auwagon, lui criait :

– Bon voyage !… à demain…

En rentrant à son bureau, Helen réfléchissait.Comment fallait-il opérer ? Devait-elle confondre Spike et leforcer à avouer en le menaçant de le remettre entre les mains dushérif.

Elle en était là de ses réflexions, quand elleremarqua que quelqu’un marchait tout près, derrière elle.

Elle se retourna.

La jeune fille ne put s’empêcher detressaillir en reconnaissant Spike :

– Que me voulez-vous M. Clay ?demanda-t-elle.

– Vous parler !…

– À moi !

– Oui, j’ai une commission pour vous.

– Montez jusqu’au bureau.

– Je vous suis, miss Holmes. Quand Helenfut derrière son guichet :

– Eh bien ! interrogea-t-elle.

– Voici ce qu’on m’a dit de vousremettre, dit Spike en tirant de sa poche la lettre de Dixler qu’ilpassa par l’ouverture.

Helen prit l’enveloppe et ferma violemment leguichet au nez de Spike.

Puis elle passa dans son bureau particulier etouvrit la missive.

Elle eut un petit choc au cœur en voyant laphotographie mais après avoir lu les quelques mots tracés entravers elle rougit d’indignation.

– L’insolent, murmura-t-elle.

Et d’un geste instinctif elle s’apprêtait àdéchirer le portrait. Soudain une pensée l’arrêta.

Si elle allait à Pôle Creek pourtant… qui saitsi elle n’apprendrait pas quelque chose… de nouveau, elle regardaitla photographie…

– Ah ! mon Dieu, qu’est-ce quecela ?…

La poitrine haletante, les mains frémissantes,Helen courait à sa table et prenait une loupe…

– Là, là !… mais oui… sous le coudede Dixler, elle ne se trompait pas, elle n’était pas folle, onvoyait déployé un coin du plan de son père, du plan volé… Ah !elle le reconnaissait bien, elle l’avait étudié tant de fois avecle pauvre papa.

Donc, son instinct ne l’avait pastrompée ; c’était bien Dixler qui détenait le précieuxdocument.

La providence semblait la guider par lamain.

Il n’y avait plus à hésiter.

Elle cloua soigneusement la photographie aumur et passa dans le bureau commun.

Spike attendait toujours derrière leguichet.

Helen lui fit son plus gracieux sourire,auquel l’ancien cabot répondit par une épouvantable grimace.

– Vous pouvez dire à M. Dixler quej’accepte bien volontiers son invitation et que je serai à PoleCreek dans une demi-heure.

Spike ne bougeait pas.

– Pourquoi me regardez-vous ainsi ?questionna l’orpheline.

– Parce que vous avez une admirablefigure tragique.

– Oh ! je suis encore bien plustragique que vous ne pouvez le croire.

Et Helen éclata de rire.

– Tous les dons, tous les dons, murmuraitSpike, en s’en allant. Une figure pathétique quand elle veut, unsourire exquis quand il lui plaît… Ah ! si elle voulait suivremes leçons !…

Quand il entra dans la maison de l’Allemand,Spike semblait radieux.

– Deux bonnes choses à vous annoncer,monsieur Dixler, miss Holmes va venir déjeuner, et le vieux estparti pour Oceanside.

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