L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE II – Policeman intervient

Les actionnaires de la Central Trust étaientréunis dans un des salons du Terminus Hôtel d’Oceanside, situé àproximité du port, et depuis près de deux heures ils discutaientâprement sur la nouvelle direction à imprimer à l’entreprise,maintenant qu’ils allaient de nouveau se trouver en possession duplan du tunnel des montagnes du Diable, ainsi que l’avait annoncéle télégramme de Helen.

L’ingénieur Hamilton, animé par le succès,avait parlé avec une véritable éloquence.

– Gentlemen, avait-il dit, la CentralTrust triomphe à présent, sans jeux de mots, sur toute la ligne.Les sacrifices d’argent que je vous demande sont minimes parcomparaison avec les énormes dividendes que vous êtes appelés àtoucher, dans un avenir très proche, le percement des Devil’sMounts nous rend maîtres du trafic de plusieurs milliers de millescarrés de territoire riche en mines de toute sorte.

Il y eut un murmure d’approbation. Hamiltoncontinua au milieu d’un profond silence.

– Vous connaissez aussi bien que moi lasituation. Privé du plan qu’il nous avait volé, Dixler estincapable de soutenir la lutte. Il nous cédera à bon compte lesquelques tronçons de voie ferrée déjà construits par la ColoradoCoast, et la voie parallèle commencée par nos adversaires pour nousconcurrencer nous permettra de doubler notre trafic. Je crois,gentlemen, qu’après un pareil succès nous devrons quelquereconnaissance à miss Helen Holmes.

– C’est entendu, s’écrièrent plusieursactionnaires, la part d’actions que miss Holmes a héritées de sonpère sera augmentée ! Hurrah ! pour miss Helen, l’Héroïnedu Colorado.

Mais, un personnage à la voix aigrelette, à laface chafouine, s’était avancé au milieu du salon et demandait laparole.

Walter Rogsorm, un homme d’affaires deréputation assez louche, était de notoriété publique leporte-parole, l’homme de paille de Dixler. Son intervention nesurprit personne.

– Gentlemen, commença-t-il, notre éminentcollègue, M. Hamilton parle d’or. Ses promesses sontalléchantes et il vient de nous faire entrevoir de merveilleuxrésultats.

« Je serais charmé qu’il ait dit vrai,mais nous ne pouvons pas, sur la lecture d’un simple télégramme,prendre une décision sérieuse. Je constate, moi, un fait brutal. Ilest près de midi, miss Helen n’est pas arrivée, et nous ne sommespas en possession du plan. Hamilton tira son chronomètre.

– Il est midi moins le quart, dit-il.

– Soit, c’est entendu. Mais il est biencompris aussi qu’une fois midi sonné, nous sommes en droit detraiter avec la Colorado Coast Company. C’est tout ce que jevoulais vous faire remarquer.

Les paroles de Ragsorm avaient jeté un froiddans le groupe des actionnaires. Maintenant ils se regardaientinquiets et nerveux, et chaque minute de ce quart d’heure, quidevait être décisif, leur paraissait longue comme un siècle.

À ce moment même, le rapide d’Oceansideentrait dans le hall de la gare, il était exactement onze heuresquarante-cinq.

George Storm, navré du peu de succès qu’avaiteu son intervention, aurait bien voulu suivre Dixler, mais il enfut empêché par les employés du train qui, d’urgence et presque deforce, le conduisirent au bureau du directeur de la traction,aussitôt mis au courant du retard volontairement causé par lemécanicien.

– Monsieur Storm, dit froidement ledirecteur, quelle que soit votre habileté technique, nous nepouvons conserver à notre service des agents qui mettent lematériel de la compagnie au service d’intérêts particuliers.Qu’avez-vous à répondre ?

– Rien, murmura George.

– Votre manière d’agir m’étonne, fit ledirecteur qui s’attendait à une explication, j’avais pourtant survous des renseignements excellents. Tant pis, je le regrette pourvous, mais à partir d’aujourd’hui vous n’appartenez plus à lacompagnie. Je suis obligé de vous révoquer, vous pourrez passer àla caisse quand il vous plaira.

Le mécanicien se retira sans mot dire. Ilcomprenait qu’aux yeux de tous il était dans son tort, et que ledirecteur n’avait pas pu parler autrement qu’il venait de le faire.Mais pour Helen, il eut subi bien d’autres affronts que celui qu’ilvenait d’essuyer.

Il alla toucher le peu d’argent qui lui étaitdû, et se dirigea mélancoliquement du côté du Terminus Hôtel où ilsavait retrouver Hamilton et miss Holmes. Il se flattait del’espoir que son dévouement n’avait pas été inutile et que la jeunefille était arrivée à temps.

Pendant que se déroulaient ces événements,Helen toute joyeuse, pilotait son canot automobile vers l’entrée duport et, louvoyant habilement entre les steamers, les voiliers etles embarcations de toute sorte, ancrées dans les bassins, ellearrivait à quai. Et prenant à peine le temps d’ancrer son canot,elle sautait dans un taxi-auto en jetant au chauffeur l’adresse duTerminus Hôtel.

Elle tenait sous son bras le précieux plan,maintenant parfaitement sec et qu’elle avait roulé avec soin.

Malheureusement – le train étant arrivéexactement à l’heure prévue – Dixler avait sur elle quelquesminutes d’avance.

Le bandit était, lui aussi, monté en taxi endescendant du pullman-car, mais en sortant de la gare il avaitréquisitionné un policeman, et l’avait prié de prendre place à côtéde lui dans l’auto.

Quand miss Helen, rayonnante de joie, arrivadevant l’hôtel, Dixler et le policeman qui l’accompagnait luibarrèrent le passage.

– Voici ma voleuse ! s’écria Dixler,en désignant la jeune fille à son acolyte. Elle a pris dans monbureau des papiers de grande valeur, entre autres ce plan, qu’elleporte sous le bras, et que je reconnais parfaitement.

– C’est une odieuse calomnie !

« C’est lui, Dixler, le voleur !Laissez-moi passer. Le policeman l’avait rudement empoignée.

– Vous ne passerez pas sans avoir fournides explications, déclara-t-il.

Puis, se tournant vers Dixler :

– Et vous, monsieur, faites la preuve dece que vous avancez ?

– C’est facile, dit le bandit avec unsarcastique sourire. Donnez-vous la peine de regarder ce plan. Ilest revêtu de mon cachet, il porte mon nom et l’adresse de mamaison : Dixler Colorado Coast Company.

Miss Helen ne savait que répondre.

– Vous voyez, fit le policeman, quemonsieur ici présent a raison, vous êtes une voleuse et je vaisvous conduire au Police Office.

– Non, dit ironiquement Dixler qui avaittranquillement roulé le plan et l’avait mis sous son bras. C’estinutile. Je suis content d’être rentré en possession de mon bien.Je n’en demande pas davantage. Relâchez cette jeune fille. Je neporte pas plainte contre elle. Qu’elle aille se faire pendreailleurs.

– Comme il vous plaira, murmura lepoliceman qui ne comprenait rien à une pareille aventure. Du momentque vous ne portez pas plainte…

Miss Helen, abasourdie, consternée, étaitencore à la même place, à la porte de l’hôtel, que Dixler et lepoliceman avaient disparu.

Ce fut la mort dans l’âme que la jeune fille,faisant appel à toute son énergie, se décida à pénétrer dansl’hôtel et à monter jusqu’au salon où l’attendaient lesactionnaires de la Central Trust.

Quand elle franchit le seuil, de joyeusesacclamations l’accueillirent.

– Bravo, miss, vous êtes exacte ! Leplan, donnez-moi vite le plan !

– Ce que vous avez fait estadmirable.

Mais voyant la mine consternée de la jeunefille, les physionomies s’allongèrent et ce fut au milieu d’unsilence glacial qu’on entendit s’élever la voix de Ragsorm, l’agentd’affaires.

– Miss Helen, dit-il, nous devinonsaisément que vous n’êtes pas en possession du plan que votretélégramme nous annonçait. Nous attendons vos explications.

– On vient de me le reprendre. Dixler m’afait arrêter par un policeman…

Il y eut un sourire d’incrédulité sur tous lesvisages.

– Je vais vous expliquer… Le plan, jel’avais il y a cinq minutes.

– Je crois plutôt, dit insolemmentRagsorm qui triomphait, que miss Helen a voulu gagner du temps etse moquer de nous.

– Je vous défends de parler sur ce ton àmiss Helen, s’écria Hamilton, en serrant les poings.

– Comme il vous plaira. Mais nous sommesici en présence d’un fait brutal. Miss Helen devait nous apporter,avant midi, le plan du tunnel des montagnes du Diable. Pour uneraison ou pour une autre, elle n’a pas pu le faire. Donc, nousreprenons notre liberté d’action.

– Parfaitement ! hurlèrent en chœurles actionnaires.

– Par conséquent, pas de plan, pasd’argent. Nous ne pouvons aventurer des capitaux dans uneentreprise fatalement vouée à l’insuccès, puisque nous sommesprivés de notre principal moyen d’action.

– Gentlemen, dit Helen, qui avaitrecouvré tout son sang-froid. Agissez comme il vous plaira. J’aifait l’impossible pour vous donner satisfaction. J’aimalheureusement échoué, mais si vous m’accordiez un délai…

– Oui, approuva Hamilton, quelques joursseulement…

– Non, déclara nettement Ragsorm, qui sesentait soutenu par tous les autres, il n’y a pas de délaipossible. Il y a assez longtemps qu’on tire les choses en longueuret qu’on se moque de nous.

– Pas le moindre délai, firent les autresactionnaires d’une même voix. Nous avons attendu assezlongtemps !

Ragsorm avait tiré sa montre.

– Gentlemen, expliqua-t-il, je suisobligé de vous quitter pour prendre le train qui part d’Oceanside àmidi trente-cinq, mais je suppose que maintenant la chose estdécidée. Personne de vous n’avancera un seul dollar àM. Hamilton pour l’établissement de sa ligne.

– Pas un seul dollar !

– Alors, j’y compte.

– C’est entendu, et, de plus, nous allonsnous mettre en rapport avec M. Dixler qui, somme toute, s’estmontré le plus fort et le plus intelligent dans toute cetteaffaire.

– Et qui est en possession du plan, nel’oublions pas. Je pense le voir aujourd’hui même et je voustiendrai au courant.

– C’est cela. Au revoir,M. Ragsorm.

L’agent d’affaires serra les mains qu’on luitendait à la ronde, salua froidement miss Helen et l’ingénieurHamilton et partit.

Un peu plus tard, il rejoignait Dixler à lagare d’Oceanside et le mettait au courant de l’heureuse issue del’assemblée des actionnaires.

Les deux complices montèrent ensemble dans letrain qui devait les ramener aux chantiers en se félicitantmutuellement de leur triomphe inespéré.

– Alors, fit Dixler, vous êtes bien sûrque les actionnaires ne feront pas la moindre avance ?

– Pas la moindre.

– J’en suis d’autant plus charmé queHamilton, je le sais, a fait une grosse commande de traverses,qu’il sera incapable de payer. Il va être obligé d’interrompre lestravaux sur son chantier. Cette fois, je crois que nous avons gagnéla partie.

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