L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE VII – Au poteau du supplice

Voici ce qui s’était passé :

Le chef du poste de police s’était promptementrendu compte que le poste ne résisterait pas longtemps auxformidables coups de bélier dont elle était battue et il avaittéléphoné au directeur du Police Office de Las Vegas pour luidemander du secours.

Le directeur ne pouvant envoyer un nombred’hommes suffisant pour rétablir la situation, s’était avisé d’unstratagème.

– Tenez bon tant que vous pourrez,avait-il répondu à son subordonné, je vais envoyer une auto dans lapetite rue presque déserte qui se trouve derrière le poste. Voustâcherez de vous évacuer par la fenêtre du premier avec votreprisonnier, et vous le conduirez au poste qui se trouve près de lagare. C’est tout ce que je puis faire pour le moment.

Ce plan avait pu être exécuté de point enpoint.

Pendant que les lyncheurs s’acharnaient contrele poste, Spike, encore tout moulu des coups qu’il avait reçus,avait été descendu dans l’auto, les policemen avaient pris place àses côtés, et l’on avait filé en quatrième vitesse, dans ladirection de la gare.

Les lyncheurs étaient arrivés quelques minutesplus tard.

Frustrés une fois de plus de leur vengeance,ils poussaient des cris de rage, quelques-uns même se demandaientsi Otto ne s’était pas moqué d’eux.

Leur déception à tous était telle qu’ils sefussent peut-être dispersés en renonçant à leurs projetssanguinaires, si l’un d’eux, au tournant de la rue, n’avait pasaperçu l’auto, reconnu le visage pâle et tuméfié de Spike, assisentre deux policemen.

Un long cri de fureur éclata.

– Les voilà ! Ils emmènentl’assassin.

– Il faut le leur arracher ! Enavant les brownings et vive la loi de Lynch !

Dans une course folle, toute la meute s’élançaà la poursuite de l’auto.

Les détonations des brownings retentirent, desprojectiles sifflèrent aux oreilles des policemen qui ripostèrentvigoureusement. Ce fut au milieu d’une grêle de balles que l’autovint stopper en face du poste de police, situé près de la gare.

La voiture, rapidement menée, avaitheureusement pris, sur les poursuivants, assez d’avance pour queSpike pût être descendu et mis en sûreté avant l’arrivée du gros dela troupe des lyncheurs.

Le poste composé de deux pièces, dont unedonnait sur la rue, était installé au premier étage au-dessus d’unmagasin d’épicerie. La fenêtre qui commandait l’entrée de la rue etpermettait de tirer sur les assaillants en rendait la défense plusfacile.

Si favorable que fût cette positionstratégique, les policemen qui gardaient Spike ne parurent engoûter que très médiocrement les avantages.

Ils commençaient à en avoir assez de cessièges et de ces batailles à coups de brownings, livrés au profitd’un coquin qui, à leurs yeux, ne méritait pas tant d’honneur.

– Ah çà ! fit l’un d’eux engrommelant, est-ce qu’on ne va pas bientôt nous débarrasser de cegibier de potence ? Je suis persuadé, pour mon compte, quec’est bien lui qui a abattu cet Allemand !

– Cela ne fait pas l’ombre d’un doute,expliqua un autre ; je finis par être de l’opinion deslyncheurs.

– Je vous jure que je suis innocent,protesta Spike, qui avait entendu une partie de la conversation.Les apparences sont contre moi, mais je prouverai moninnocence !

Le policeman haussa les épaules.

– Tous les coquins disent la même chose,grommela-t-il. Il y en a qui étaient plus innocents que toi et quecela n’a pas empêché d’aller au bout d’une corde.

À ce moment une grosse pierre vint butter unedes vitres, et alla rebondir contre le mur.

– Voilà que ça recommence, murmura lebrigadier avec mécontentement. Je commence, pour mon compte, à enavoir par-dessus les oreilles de toute cette histoire. Cette foisje vais descendre quelques-uns de ces drôles avec unbrowning ; jusqu’ici j’avais tiré en l’air pour les intimider,mais il faut défendre sa peau, que diable !

Puis, se tournant vers ses hommes :

– Vous autres, ajouta-t-il, ficelez-moisolidement ce citoyen-là, pendant que nous nous faisons casser lafigure pour le défendre, il serait bien capable de prendre lapoudre d’escampette.

– Je vous jure que je n’ai nullementl’intention de m’enfuir, s’écria Spike.

– Tu ne l’auras plus du tout dans uninstant, fit un des agents en plaisantant. Il est toujours bon deprendre des précautions.

Le poste de police qui n’était qu’un bureaudépendant des services de surveillance de la gare, ne possédait pasde locaux disciplinaires. Faute d’avoir à leur disposition unecellule ou un cachot quelconque, les policemen, en dépit desprotestations du bandit, le ficelèrent comme un saucisson etl’attachèrent avec de solides courroies de cuir de bœuf à lacolonne qui supportait le plafond de la seconde pièce.

Pendant qu’avait lieu cette scène, leslyncheurs, plus enragés que jamais, s’étaient reformés en bon ordreentourant le nouvel asile de Spike, en poussant leur éternelcri : « À mort l’assassin ! La loi deLynch ! »

Épouvanté, l’épicier qui habitait lerez-de-chaussée et qui voyait ses conserves et son whisky, surtoutson whisky, en grand danger d’être pillés par ces malandrins,s’était hâté de baisser sa devanture.

En cela il avait agit sagement.

Déjà les coups de feu crépitaient et une pluiede projectiles s’abattait sur les rideaux de tôle ondulée.

Exaspérés, les policemen tiraient dans le tas.Un quart d’heure ne s’était pas écoulé que plusieurs lyncheurs,blessés plus ou moins légèrement, avaient dû abandonner lapartie ; d’autres, plus grièvement atteints, avaient étéemportés par leurs camarades loin du théâtre de la lutte.

À un moment donné, les assaillants battirenten retraite et se retirèrent loin de la zone dangereuse,c’est-à-dire hors de la portée des brownings des policemen. Ceux-cipurent croire pendant quelque temps qu’ils étaient victorieux.

En cela, ils se trompèrent, leurs ennemisn’avaient nullement renoncé à la lutte. Après avoir tenu sous laprésence d’Otto une sorte de conseil de guerre, ils étaient alléschercher du renfort. Une vingtaine de coureurs de prairie, gens desac et de corde que Dixler employait dans certaines expéditions,étaient venus se joindre aux lyncheurs, armés de fusils et decarabines.

Ces bandits, très à l’aise dans cette bagarre,comme dans leurs véritables éléments, ne manquaient pasd’expérience. Bien abrités dans les encoignures des maisons, sousl’embrasure des portes, ils commencèrent à diriger un feu nourrisur le poste.

Les vitres avaient volé en éclats, les mursétaient criblés de projectiles.

Spike, immobilisé par ses liens, ne pouvait nise jeter à plat ventre comme le faisaient les gardiens, ni mêmebaisser la tête. Vingt fois des balles sifflèrent à sesoreilles.

Les policemen, en désespoir de cause, avaientbarricadé la fenêtre avec des meubles, des sacs de papier, desliasses de registres, tout ce qui leur était tombé sous la main. Deplace en place, ils avaient aménagé d’étroites meurtrières, par oùils tiraient sur leurs ennemis, chaque fois que l’un d’eux essayaitd’approcher de la maison et arrivait à bonne portée.

La situation n’en était pas moins grave.

Le cri de guerre des émeutiers : « Àmort l’assassin ! Vive la loi de Lynch ! » montaitmaintenant comme un chant de triomphe.

Cependant, à la grande surprise des assiégés,une longue demi-heure s’écoula sans amener de changement dans lasituation. Les lyncheurs tiraient de temps en temps quelques coupsde carabine, tout en faisant pleuvoir sur les fenêtres une grêle depierres, mais ils ne se hâtaient pas de donner l’assaut. On eût ditqu’ils attendaient quelque chose.

Il y avait à cela une raison. Otto s’étaitabsenté et avait ordonné qu’on ne tentât rien de décisif avant sonretour.

– Continuez à les occuper, avait-il dit,je vous ménage une surprise. Avant une heure, les policemen et leurprotégé seront entre nos mains !

Il était parti, emmenant avec lui un jeunehomme qui avait été autrefois au service de l’épicier. Tout lemonde devina que l’Allemand allait sans doute essayer de pénétrerdans le poste en passant par les caves de la maison que l’ex-commisépicier connaissait sans doute parfaitement.

Confiants dans la promesse d’Otto, leslyncheurs attendaient patiemment, mais une désagréable surpriseleur était réservée.

Au moment où ils y comptaient le moins, unetroupe d’une centaine d’hommes, tous bien armés, sortit desbâtiments de la gare et s’élança au pas de charge vers leslyncheurs aux cris de : « Vive miss Helen ! Vivel’Héroïne du Colorado ! Mort à l’AllemandDixler !… »

C’étaient, on l’a deviné, les ouvriers de laCentral trust, conduits par l’ingénieur Hamilton auquel étaientvenus se joindre George Storm et miss Helen.

Complètement désemparés par la soudaineté decette attaque, les lyncheurs prirent la fuite de toute la vitessede leurs jambes, en proie à une panique telle que beaucouplaissèrent sur le champ de bataille leurs brownings ou leurscarabines. Leurs vainqueurs les poursuivirent de rue en rue, lesforçant à se réfugier dans les maisons et infligeant à tous ceuxsur lesquels ils pouvaient mettre la main de magistralesvolées.

En moins d’un quart d’heure, l’ordre avait étérétabli ; un calme complet régnait dans les rues de LasVegas.

George Storm et l’ingénieur Hamilton sefélicitaient de ce résultat auquel ils avaient largement contribuéde leur personne, lorsque miss Helen les rejoignit tout émue.

– Suivez-moi, s’écria-t-elle, les banditsont mis le feu à la maison, et le pauvre Spike va être grillé vif,si vous ne venez à son secours !

George et M. Hamilton, que la poursuitedes lyncheurs avait entraînés assez loin, se hâtèrent d’obéir à lajeune fille.

Quand ils arrivèrent en face du poste,l’incendie avait déjà pris de vastes proportions, de larges jets deflamme rougeâtre s’élançaient des soupiraux de la cave et de laboutique de l’épicier, et l’édifice tout entier était enveloppéd’un linceul de fumée noire, pailleté de millions d’étincelles. Descraquements intérieurs mêlés aux crépitements sinistres du brasiermontraient que la maison tout entière ne tarderait pas à s’abîmerdans les flammes.

L’incendie s’était allumé avec une sifoudroyante rapidité qu’il avait été impossible de l’enrayer.

Pendant que les lyncheurs amusaient les gensdu poste, en occupant leur attention, Otto et son complice avaientréussi à se glisser par un soupirail dans la cave de l’épicerie quicontenait de nombreux fûts de pétrole et plusieurs touriesd’essence et d’alcool, et, à l’aide de mèches d’amadou dont ilsavaient eu soin de se munir, ils avaient mis le feu en deux outrois endroits, puis ils avaient repassé en toute hâte par lesoupirail et avaient détalé à toutes jambes pour aller rendrecompte à Dixler de leur expédition.

La nature des matières combustibles et leurabondance expliquaient la soudaineté et la violence del’incendie.

Surpris par le feu, les policemen affoléss’étaient élancés au-dehors, les uns par l’escalier déjà envahi parles flammes, les autres par la fenêtre.

Le malheureux Spike, pendant ce temps,suppliait vainement ses gardiens de le délivrer de ses liens.

– Je vous en conjure, s’écriait-il d’unevoix lamentable, ne me laissez pas brûler tout vivant ! c’estatroce ! je ne puis déjà plus respirer.

Personne ne faisait attention à lui, chacun nesongeait qu’à sauver sa propre vie, et le malheureux, avec deshurlements d’agonie, se tortillait comme un ver, tous les musclestendus dans un effort désespéré pour rompre les courroies quil’attachaient au poteau du supplice.

Il était à bout de forces, les yeux hors de latête, la face horriblement convulsée.

La fumée lui rentrait dans la gorge etl’étouffait, ses cheveux étaient roussis, ses vêtements lebrûlaient comme les robes de soufre ardent dont parle Dante dansson Enfer.

Fou de douleur et d’épouvante, le misérablen’avait plus conscience que d’une chose : dans quelquessecondes, le feu allait faire de lui sa proie définitive,transformer son corps en une torche vivante. À ce moment, il eûtreçu avec une infinie gratitude le coup de poignard ou la balle quil’eussent arraché à ces tortures de damné.

Puis tout à coup des voix résonnèrent àl’oreille du malheureux, comme une céleste musique.

Miss Helen, puis Storm accouraient à lui. Ilsn’avaient pas hésité à braver les flammes. Ils s’étaient frayé unpassage à travers les décombres, et ils étaient là, ils allaientl’arracher à la mort, si toutefois l’incendie leur en laissait letemps.

– Hâtez-vous, George, criait miss Helen,la maison peut s’écrouler sur nous d’un instant à l’autre.

George Storm s’était approché du poteau pourdélivrer Spike, mais il s’aperçut alors qu’il n’avait, dans sahâte, emporté d’autre arme que sa hache. Il n’avait sur lui aucunelame capable de trancher les épaisses courroies.

– Tant pis, s’écria la jeune fille,essayez avec la hache.

– Oui, balbutia Spike, d’une voix moinslourde, il importe que vous me tuiez.

Alors, au risque de blesser ou de tuer celuiqu’il voulait sauver, le mécanicien leva sa hache qui s’enfonça ensifflant dans le bois du poteau en même temps qu’elle tranchaitl’une des courroies à un millimètre à peine de la poitrine dupatient.

Cinq fois il dut recommencer cette dangereusemanœuvre ; à la dernière, il entama le bras de Spike qui neput retenir un hurlement de douleur.

Blessé, oui ! mais libre, libre !mais au milieu d’une fournaise horrible, si affaibli qu’il netenait plus sur ses jambes.

George dut le saisir, le soulever dans sesbras, en même temps qu’il entraînait Helen. Et tous troiss’élancèrent dans l’escalier qui n’était plus qu’un brasierrougeoyant…

Une minute après, noirs, couverts de brûlures,ils foulaient le sol de la rue. Et l’ingénieur Hamilton, qui lesavait cru morts, victimes de leur héroïque générosité, les prenaitsur son cœur avec une poignante émotion. Par quel miracle, quelprodigieux hasard, ils avaient pu sortir vivants des flammes ?Ils ne l’expliquèrent jamais.

À peine touchaient-ils le pavé de la rue, quela maison tout entière s’abîmait avec un fracas de tonnerre.

L’ingénieur Hamilton se hâtait d’emmener lestrois rescapés loin du théâtre de ce drame. Mais à quelque distancede la maison écroulée, il se trouva en présence de Dixler, qui,furieux de tant de crimes inutiles commis dans cette seule journée,lui barrait insolemment le passage.

– Pardon, monsieur Hamilton, fitl’Allemand d’un ton rogue, pardon, cet assassin que vous venez desauver appartient à la justice. Il a tué un de mes ouvriers,j’exige qu’il soit arrêté et reconduit en prison.

Et il montrait d’un geste haineux lemalheureux Spike.

À ce moment, un nouveau personnage, quin’était autre que le constable de Las Vegas, s’avança versl’Allemand.

– Permettez-moi de vous dire, monsieurDixler, que vous vous trompez. J’ai eu le temps de faire une petiteenquête. D’abord vous le savez mieux que personne, votre ouvriern’est pas mort, il n’est que blessé. De plus la balle qui l’afrappé ne part pas d’un revolver mais d’une carabine. Parconséquent, je n’ai aucune raison de mettre cet homme en étatd’arrestation.

Et le magistrat se retira sans que Dixler eûttrouvé un mot à répondre.

Spike alors releva la tête avec un sourire detriomphe et, s’approchant de miss Helen, il lui tendit une liassede papiers noircis et chiffonnés qu’il tira d’une poche de sonpantalon.

– Miss Helen, murmura-t-il d’une voix oùvibrait toute sa reconnaissance, vous m’avez sauvé, vous venez dem’arracher à la mort la plus atroce, permettez-moi de vous rendre àmon tour un léger service. Voici les contrats de vente de la villede Las Vegas, qui, vous le savez sans doute, avaient été volés à lamunicipalité, j’ai pu les retrouver et je suis heureux de vous lesrestituer.

Miss Helen remercia chaleureusementl’ex-forçat que félicitèrent aussi l’ingénieur Hamilton et GeorgeStorm.

Quant à Dixler, il s’éloigna la tête basse,les poings rageusement serrés.

Cette fois il était vaincu.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer