CHAPITRE III – Propositions
Ce matin-là pour fêter l’achèvement ducinquantième mille de la voie de la Central Trust Railway,M. Hamilton avait invité Helen et Storm à déjeuner.
Le repas avait été fort gai. Hamilton,débarrassé de Dixler et de la concurrence de la Colorado, voyaitmaintenant l’avenir en rose.
– Ma foi, petite, disait le directeur dela Central, que la veine nous favorise encore un peu et vous serezune riche héritière.
– Et je verrai à nouveau papillonnerautour de moi l’essaim des coureurs de dot, dit gaiement Helen.
– C’est que vous allez être un bonparti…
George était devenu tout pâle et sa fourchetteétait retombée sur son assiette.
– Qu’est-ce que vous avez, Storm, demandamalicieusement M. Hamilton au mécanicien, une migraine, un malde dents, une syncope ?…
– Rien… monsieur… rien, je vous assure,balbutiait le pauvre garçon qui regardait Helen avec des larmesdans les yeux.
L’orpheline lui prit la main. Tendrement, ellelui dit :
– Vous êtes une grosse bête, George.Depuis que nous nous voyons presque quotidiennement, n’avez-vousdonc pas appris à me mieux connaître ?
« Vous devriez savoir que Helen Holmesreste toujours à ses amis et à ses affections.
– Là, vous voilà rassuré, dit en riantencore Hamilton. Prenez un petit coup de claret pour vous remettretout à fait.
À ce moment, un bruit de dispute parvintjusqu’aux oreilles de nos amis.
Comme le repas avait lieu sous la tente quiservait d’appartement à Hamilton durant le séjour à Last Chance, onentendait parfaitement ce qui se disait au-dehors.
– C’est pressé, que je te dis.
– On ne dérange pas le directeur pendantqu’il mange.
– Vas-tu me laisser passer, oui ounon ?
– Encore une fois, file, ou tu vas voirce que tu vas prendre sur ton museau.
– De quoi, monsieur veut faire lemalin ?
– J’en ai dressé de plus durs quetoi.
– Eh bien ! Lamb ! criaHamilton, qu’est-ce que c’est que tout ce tapage ?
– C’est, monsieur, dit en entrant Lamb,le domestique du directeur, un imbécile qui veut à tout prix parlerà monsieur…
L’imbécile était entré en tendant une lettre àHamilton.
– Il y a une réponse ? demandacelui-ci.
– Je le pense, monsieur.
– Bien, attendez dehors. Je vousappellerai tout à l’heure. L’homme sortit.
Hamilton décacheta la missive et lut d’abordtout bas. Un vif étonnement se peignait sur son visage.
– Écoutez cela, mes enfants, dit-ilenfin… J’étais bien à cent lieues de m’attendre…
Et il lut à haute voix :
Cher monsieur Hamilton,
Ma mine de Black Mountain n’étaitintéressante pour moi que si je pouvais amener à proximité unchemin de fer d’exploitation. Vous savez mieux qu’un autre que jene puis conserver cet espoir. Je viens donc tout simplement vousproposer l’achat de Black Mountain. La mine conviendraitparfaitement à une société comme la vôtre.
Votre dévoué,
F. DIXLER.
– Qu’est-ce que vous allez faire, vieuxHam ? demanda curieusement Helen.
– Ma foi, la mine a toujours eu bonrendement. Si le prix est raisonnable, nous pourrions êtreacquéreurs.
– Ne croyez-vous pas à quelque piège.
– Vous perdez la tête, ma chère enfant.Dixler me propose une affaire que j’examinerai. C’est à moid’accepter ou de refuser.
– Il nous a déjà fait tant demal !
– Bah ! il luttait pour sacompagnie. Maintenant qu’il a définitivement perdu la partie, iln’a plus aucune raison de chercher à nous nuire.
– C’est un méchant homme ! ditviolemment Storm, un sale Allemand. Je le déteste !
– Oh ! vous, George, vous n’avez pasvoix au chapitre, parce que vous manquez d’impartialité. Vous vousrappelez toujours que Dixler, autrefois, flirtait avec Helen.
– Un flirt à coups de bouteille, dit enriant la jeune fille.
– J’aurai sa peau, gronda Storm, engrinçant des dents.
– En attendant, je vais tâcher d’avoir samine à de bonnes conditions… Eh ! Lamb, fais entrer leporteur.
L’homme de Dixler entra aussitôt.
– Dis à M. Dixler que je serai,demain, aux chantiers de Black Mountain, à midi.
– Bien, monsieur.
Le courrier salua et sortit.
– Vous ne savez pas, vieux Ham, fitHelen, ce que vous feriez si vous étiez gentil, bien gentil, trèsgentil ?
– Je n’en ai pas la moindre idée.
– Vous laisseriez votre petite Helen vousaccompagner, demain.
– À Black Mountain ?
– Oui.
– Vous savez que c’est un affreuxpays.
– Ça m’est égal. Je n’ai jamais vu demine d’or.
– Ma foi, si ça vous amuse…
– Ah ! merci. Pour votrerécompense…
Helen se leva et embrassa son tuteur sur lesdeux joues. Storm ne disait mot, dans son coin.
– Qu’est-ce que vous avez à faire unetête pareille ? lui demanda brusquement la jeune fille.
– Je n’ai rien, mademoiselle.
– Oh ! oh ! il paraît que noussommes fâchés.
– Je vous demande pardon, Helen, fitStorm en se levant, mais il faut que j’aille voir ma machine.
– Fi ! le vilain boudeur, dit Helen,en lui barrant le passage. J’ai horreur, vous le savez pourtant,des mauvais caractères. Et pour votre punition, vousm’accompagnerez demain à Black Mountain.
– Vrai ! vrai ! s’écria lemécanicien, dont le franc visage s’éclaira.
– Pardon, pardon, protesta Hamilton, maisil me semble qu’on ne me demande pas mon avis.
– Vous, vieux Ham, dit en riant Helen,vous savez bien que c’est inutile, puisque vous faites toujours mesvolontés.