L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE III – La mort qui monte

Étourdi par le choc, Storm était resté quelquetemps comme assommé.

Quand il reprit connaissance, il promena lesregards avec étonnement autour de lui.

Il voulut se lever, mais, aussitôt, il sentitla morsure des cordes qui le serraient.

La mémoire lui revint et avec la mémoire lesentiment de son atroce situation.

Le malheureux garçon faisait des effortsincroyables pour se débarrasser de ses liens, mais il neréussissait qu’à les faire pénétrer un peu plus dans seschairs.

Bill et Ward avaient soigneusement fait leurbesogne.

Tout à coup il prêta l’oreille.

Deux hommes passaient en causant le long de lavoie.

– C’est l’heure, dit l’un.

– Oui, voici la machine, dit l’autre.

Storm, bâillonné, ne pouvait crier, mais ildonnait de furieux coups de talons contre la paroi métallique duwagon.

Il s’arrêta un instant et écouta.

Plus rien…

Les ouvriers avaient continué leur route sansl’entendre.

Puis tout à coup, il y eut un coup de siffletet le train se mit en marche.

Avec un grand mouvement de désespoir, Storm seroula sur la tôle qui formait le plancher du wagon.

Il était bien perdu !…

*

**

Pour la soixantième fois, Helen était en trainde répondre à un digne Yankee invité à la fête et qui la félicitaitde sa glorieuse réussite.

Cette fois, il s’agissait d’un petit homme,marchand de confitures à San Francisco, qui célébrait en termeslyriques les bienfaits que la nouvelle ligne apportait à lacivilisation.

– Oui, oui, vous avez raison, merci millefois, M. Fencktobenty, répétait Helen, qui voulait à tout prixarrêter le flot de parole de l’intarissable bavard.

Mais M. Fencktobenty avait un discours àplacer et jamais la jeune fille ne serait arrivée à arrêter sonéloquence si Spike, arrivant comme un boulet, n’avait envoyé roulerà quatre pas l’infortuné négociant en confitures.

– Miss Helen…

– Qu’y a-t-il, mon Dieu ?

– Monsieur George.

– Eh bien ?…

Spike, épuisé de sa course, parlait par motsentrecoupés et ne pouvait parvenir à reprendre son souffle.

– Mais parlez donc, Spike, vous me faitesmourir…

– Monsieur George… pris par des bandits…ligoté… emmené… jeté dans un wagon à minerai ! Qui va… à vide…à Black…

Helen était devenue blanche comme laneige ; Hamilton qui s’était approché serrait les poings.

– Ah çà ! tu es fou, dit l’ingénieurà Spike…

– Non… non… répétait avec force lemalheureux Spike, c’est Ward et Bill qui… ont fait le coup…moi-même j’ai été pincé aussi… j’ai pu m’échapper…

À ce moment, le second train qui devaitinaugurer l’embranchement qui conduisait de Rockey Hill à BlackMountain se mettait en marche.

Sans s’occuper une minute de son élégantetoilette, Helen d’un bond sauta sur la plate-forme de lamachine.

Tout en bousculant le chauffeur ahuri et enlui donnant des ordres brefs, elle murmurait :

– Faites que j’arrive à temps, monDieu !

*

**

Il n’y avait guère, même pour un train dematériel, plus de vingt minutes de trajet de Rockey Hill à lamine.

Storm connaissait bien le chemin et, quand leconvoi s’arrêta, il put facilement se rendre compte qu’on étaitarrivé à destination.

Le malheureux garçon connaissait aussi lamanœuvre et pouvait ainsi calculer le temps qui lui restait àvivre.

Il savait qu’aussitôt arrivé chaque wagon duconvoi venait se placer sous le déchargeur qui, automatiquement,versait cinq tonnes de minerai dans la voiture, puis s’arrêtaitpour recommencer au wagon suivant.

Storm avait la certitude qu’il était à peuprès au milieu du train, composé d’ordinaire de douze voitures.

L’emplissage de chaque wagon prenait cinqminutes environ…

Le calcul effroyable était facile.

Le pauvre George avait donc au maximumvingt-cinq minutes à vivre.

Cette pensée lui rendit un flot d’énergie et,encore une fois, il se tordit dans ses liens pour les rompre.Peines et souffrances inutiles !…

Il aurait été enveloppé d’un réseau de chaînesde fer qu’il n’aurait pas été mieux garrotté.

Tout à coup le train fit un petit bond enavant et George entendit le bruit bien connu de la chute sonore duminerai sur le plancher métallique du premier wagon.

Un atroce frisson le parcourut toutentier.

La mort approchait.

Cinq minutes, comme abruti, assommé parl’inévitable, il resta l’oreille tendue sans faire un mouvement,écoutant ce glissement mortel qui lui semblait pareil àl’amoncellement de la terre sur un cercueil.

Puis le train se remit en marche pour quelquesmètres.

Et le glissement maudit recommença…

Quatre fois encore George entendit le mêmebruit, endura le même supplice.

Enfin, c’était son tour…

Il n’y avait pas à s’y tromper ; la massegrisâtre du déchargeur se dressait au-dessus de sa tête.

Son heure était venue.

Mais George voulait vivre et s’écorcha levisage contre la paroi lisse de la tôle pour arracher son bâillon,il frappa des coups furieux de talon contre la paroi…

La valve du déchargeur se déclencha et labouche formidable apparut tout à coup remplie de gravier jaune…

Et la grêle de mort commença à sonner autourdu jeune homme.

Et les débris du quartz commencèrent àpleuvoir sur lui.

Ah ! l’atroce moment.

Vivre !… Vivre !…

Le sable terrible, lentement, inexorablement,continuait à monter autour de lui.

C’était la fin hideuse…

L’enlisement.

– Helen, murmura George quis’évanouissait d’horreur.

Tout à coup, il sembla au malheureux que toutprès de lui, on venait de prononcer son nom.

Mais non, c’était le délire, l’agonie quiprécèdent la mort.

Le flot de sable montait toujours.

George fit un dernier effort pour s’arc-bouterle long de la paroi, mais il lui semblait que la paroi glissait surson épaule et il retomba dans le gravier.

Soudain, un cri délirant…

– George !

La glissière venait de fonctionner et Helen,de ses beaux bras où il y avait tant de force, tirait à elle tantqu’elle pouvait le corps de George complètement inerte.

– Sauvé, il est sauvé ! répétait lavaillante fille, riant et pleurant à la fois.

Hamilton et Spike, qui étaient montés dans letrain que conduisait Helen, accouraient.

Bientôt Storm reprit ses sens et on leconduisit en le soulevant vers le train qui avait stoppé à quelquedistance.

– Mes enfants, disait Hamilton toutjoyeux, j’ai assez d’émotion pour aujourd’hui ; si vous levoulez bien, nous allons aller nous reposer chez Helen.

– Chez moi, murmura la jeune fille dontles beaux yeux se voilèrent, je n’ai plus de chez moi !

– Et Cedar Grove ? dit l’ingénieurgaiement.

– Cedar Grove est racheté ?

– C’est exact.

– Alors ?…

– Seulement ce que vous ne savez pas,c’est que Cedar Grove est racheté par miss Helen Holmes.

– Ah ! vous êtes bon, vieux Ham,s’écria la jeune fille avec élan.

– Et c’est là que nous célébrerons lesfiançailles de miss Holmes et de M. George Storm.

Cette fois le mécanicien s’évanouit pour toutde bon. Mais c’était de joie.

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