L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE V – Moins une…

– C’est épouvantable…

– Que faire ?

– Il devient impossible d’éviterl’accident.

– Peut-être.

– Vous avez une idée, George ?

– Oui, vous allez me déposer sur la voieet je vais tenter de faire dérailler le fourgon.

– Mais, objecta Hamilton, la voie estétroite, le wagon même déraillé sera heurté par l’express.

– C’est vrai, fit Helen.

– C’est pourquoi, fit Storm, je vaistenter quelque chose de pas très commode.

– Qu’allez-vous faire, George ?demanda Helen anxieuse.

– Je vais donc faire dérailler lefourgon, mais je vais le faire dérailler au moment où il s’engagerasur l’estacade de Cold Point.

– Jamais vous n’aurez le temps, ditHamilton.

– Si, monsieur. Seulement je vaisdemander à miss Helen de faire rendre tout ce qu’elle pourra à lamachine.

Helen obéit. Elle manœuvra manettes, leviers,boutons. Maintenant l’auto lancée à une vitesse folle bondissaitsur les rails. Personne ne parlait plus.

– Attention, dit tout à coup la voix deStorm. Je saute. Quant à vous, miss Helen, dévalez tout de suite letalus aussitôt que vous aurez franchi les trois pierres blanchesqui sont placées à votre gauche un peu avant l’entrée du pont…All right !

La vaillante exclamation du jeune homme seperdit dans le fracas de la machine.

Storm roula sur la voie, mais se releva sansaucun mal.

Le fourgon n’était pas encore en vue, mais ilallait bientôt se dégager de la courbe qui le masquait encore aussibien à Storm qu’au mécanicien de l’express.

Il n’y avait pas une seconde à perdre.

Le mécanicien choisit des pierres de moyennegrosseur et commença à bloquer les rails sur une longueur de troismètres à peu près.

Le pauvre garçon se hâtait…

Tout à coup, un bruit terrible lui fitredresser la tête.

C’était le fourgon qui venait sur lui comme unbolide… Derrière, l’express arrivait tout près, formidable.

Le mécanicien se jeta sur le talus et roula lelong de la pente presque à pic et arriva en bas sans trop demal.

Il resta accroupi dans le sable, haletant,harassé, les tempes bourdonnantes.

Soudain, un bruit de cataclysme fit retentirtous les échos de la vallée.

Storm souleva la tête et regarda.

Le fourgon, arraché des rails, avait fait unbond énorme et franchissant le pont de bois, venait de s’écrasersur la lèvre du remblai.

Derrière lui, sur la voie libérée, l’expressenfilait l’estacade à toute vapeur.

Mais bientôt le train stoppait.

Le mécanicien du train avait vu l’accident. Iln’y comprenait rien et voulait se rendre compte de ce qui s’étaitpassé.

Les voyageurs, eux, n’avaient rien vu etcomprenaient bien moins encore.

– Comment, on stoppe en rasecampagne ?

– Le train est attaqué ?

– Mais non, c’est un accident demachine.

– C’est gai, nous sommes encore à plus desoixante milles d’Oceanside.

– Tenez, regardez… qu’est-ce qu’il y adonc ? Et les voyageurs commencèrent à descendre.

Cependant le mécanicien et le chef de trainavaient couru à Storm qui venait de se relever et le questionnaientde façon peu aimable.

– Qu’est-ce que vous venez de manigancer,mon garçon ?

– Oui, il faut s’expliquer et plus viteque ça.

– Il vient de vous sauver la vie !s’écria impétueusement Helen qui accourait suivie de Hamilton.

– Qu’est-ce que c’est encore queceux-là ! demanda d’un ton bourru le chef de train.

– Ceux-là, c’est moi, fit rudementHamilton qui arrivait sur le lieu de la scène, et en retirant sonchapeau, ce qui permit de bien voir ses traits énergiques.

– Mille millions de diables ! lepatron ! grommela l’employé qui venait de retirer sa casquetteen reconnaissant son directeur.

– Je vous demande pardon, monsieurHamilton, je ne vous avais pas reconnu.

– Ce n’est pas une raison pour ne pasêtre poli.

Il poursuivit en mettant la main sur l’épaulede George :

– Ce garçon-là vient de risquer sa peaupour éviter un épouvantable accident.

Et en quelques mots, il raconta ce qui s’étaitpassé.

– Mais c’est Storm ! s’écria lemécanicien en dévisageant son collègue. Ma parole, George, jet’assure qu’il faut s’y prendre à deux fois pour s’assurer quec’est bien toi.

En effet, et il faut l’avouer, notre hérosavait une triste figure, un coup de poing qui lui avait poché l’œilgauche, la poussière du charbon dont le fourgon avait été chargémélangée à la sueur, la boue qu’il avait recueillie en faisant sesdeux culbutes le rendaient absolument méconnaissable. Maintenant onéchangeait des poignées de main et Storm recevait de tout le mondeles plus chaudes félicitations.

– Assez, assez, dit-il enfin en riant,d’ailleurs je ne suis pour rien dans l’aventure ou pour si peu dechose, celle qui a tout fait, c’est miss Holmes que voici…

– Voulez-vous vous taire, George !…Ce fut au tour de Helen à être acclamée. La jeune fille étaitfurieuse.

Enfin, voyageurs, mécanicien, employés,reprirent leur place, et le convoi continua sa marche. Au moment oùl’on se séparait, Hamilton avait crié au chef de train :

– En arrivant en gare d’Oceanside, lancezune dépêche sur toute la ligne pour annoncer que vous êtes arrivéssans accroc.

– Et tâchez de savoir, ajouta Helen,pourquoi le télégraphiste du poste 914 n’a pas transmis sadépêche.

Nos amis revinrent à l’auto. Spike venait derouvrir les yeux.

– Essayez de marcher un peu, mon garçon,dit Hamilton en le soulevant par les épaules.

– Ça va mieux, monsieur, ça va mieux,fit-il en risquant quelques pas en trébuchant.

Helen et Storm le soulevaient.

– Ah ! miss Helen, murmura-t-il,c’est encore à vous que je dois d’être en vie. Maintenant il peutbien arriver ce qu’on voudra, mais je jure que je ne vous quitteplus, si toutefois vous voulez bien de moi, ajouta-t-ilhumblement.

– Mais oui, Spike, mais oui, réponditgaiement la jeune fille, et nous ferons l’impossible pour que vousretrouviez cette peau d’honnête homme dans laquelle je veux vousvoir finir vos jours.

– Et les habits de gentleman aussi…demanda timidement Spike.

– Les habits de gentleman également.

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