L’Héroïne du Colorado

QUATRIÈME ÉPISODE – La conversion deSpike

CHAPITRE PREMIER – L’argent changé enfeuilles sèches

– Ham, mon vieux Ham, qui passez devantma porte sans même venir dire bonjour à votre petite Helen,donnez-vous donc la peine d’entrer, j’ai un télégramme à vousremettre.

C’était Helen Holmes qui, toute rieuse, del’entrée de son bureau interpellait ainsi M. Hamilton,l’ingénieur en chef et le directeur de la Central Trust.

– Ma chère enfant, répondit gaiement lebrave homme en embrassant la jeune fille sur les deux joues, vouscalomniez votre vieil ami, car après avoir fait ma tournée sur leschantiers, mon intention était de venir vous prendre et de vousemmener déjeuner.

– Alors je vous pardonne, dit Helen, àcondition que le menu soit soigné. En attendant, venez prendrevotre dépêche.

Helen rentra dans le bureau et le vieillard lasuivit.

Au moment où Hamilton prenait la dépêche desmains de la jeune fille, un beau fox turbulent et fou commença àsauter tout autour du directeur en aboyant d’une voixglapissante.

– Mais c’est Jap, s’écria le vieil ami deHelen en se penchant pour caresser le chien.

– C’est Jap, en effet, mon chien qui estbien le plus insupportable animal que je connaisse… mais aussi leplus fidèle et meilleur compagnon, ajouta l’orpheline en saisissantle fox qu’elle embrassa tendrement.

Jap en profita pour, d’un grand coup delangue, lui balayer toute la figure.

Durant ce temps, Hamilton avait prisconnaissance du télégramme.

– Ah ! je suis plus tranquille,dit-il en jetant le papier sur le bureau. Tenez, lisez Helen.

La jeune fille lut à son tour. La dépêcheétait brève.

Le montant de la paye du mois est expédiépar le train 4.

– Pensiez-vous donc, demanda Helen enlaissant à son tour tomber le télégramme sur son sous-main, qu’il yaurait quelques difficultés pour l’arrivée de cet argent.

– Ma chère enfant, mieux vaut tenir quecourir, et j’ai tant d’ennuis dans cette maudite exploitation queje suis tout surpris quand les rouages ont l’air de marcher defaçon normale.

M. Hamilton sortit du bureau et Helenl’accompagna quelques pas.

Maître Jap ne perdait pas son temps.

Ce papier qu’il avait vu passer de mains enmains l’intriguait furieusement.

Dès que Helen eut le dos tourné, il sauta surle bureau, respira, renifla le télégramme puis le happa à pleinegueule et se sauva dehors, sans doute pour prendre connaissance dudocument plus à son aise.

Mais les fox sont des chiens qui manquent desuite dans leurs idées. Au bout de vingt pas et de dix bonds, Jappensa à autre chose, lâcha la dépêche et se lança comme un fou à lapoursuite des feuilles mortes qui tourbillonnaient déjà, un peuplus loin.

Or, Spike, éternel et ponctuel espion deDixler, installé par lui à Last Chance, pour surveiller tout ce quise passait sur les chantiers de la Central Trust, était justementassis sur une bille de bois en face des bureaux.

Ce fut devant l’ancien forçat que Japabandonna son télégramme.

Machinalement, le comédien méconnu le ramassaet en prit connaissance.

Quand il eut lu et relu la dépêche, une petiteflamme s’alluma dans ses yeux, il se leva et, de son pas traînant,se glissa hors du camp.

Un quart d’heure plus tard, il entrait dans labaraque de Dixler.

– Du nouveau, patron ! dit-il enrefermant la porte.

– Qu’est-ce que c’est ? demandal’Allemand en s’arrêtant d’écrire.

– Ceci.

Et Spike tendait la dépêche à l’ingénieur.Dixler, après avoir lu, se mit à rire.

– Tu vas voir, Spike, dit-il, que cetargent-là va se tromper de chemin. Puis, redevenantsérieux :

– Il n’y a pas une minute à perdre,poursuivit-il, va chercher Dock, Bill et Lugg, ce sont descostauds ; à vous quatre, vous saurez bien, je pense, raflerles bank-notes au bon moment.

– Soyez sans crainte, patron.

– J’attache d’autant plus d’importance àce… détournement, que cela vous permettra, à toi et à tes copains,de monter la tête aux ouvriers de Last Chance. Vous leur direz quel’histoire du vol est une blague, que la compagnie n’a plus le souet quand vous les verrez chauffés à blanc, vous commencerez à crierqu’il faut quitter les chantiers et abandonner une compagnie quin’a même pas de quoi régler une paye mensuelle. Tu vois la mise enscène.

– N’ayez pas peur, patron, j’ai étécomédien.

– C’est vrai. Je l’oublie toujours. As-tude l’argent ?

– Donnez-en encore un peu… ça ne nuitjamais.

Dixler remit à son complice une poignée debank-notes et Spike le quitta pour se mettre à la recherche deshonorables gentlemen qui devaient l’assister dans sonexpédition.

*

**

À cinq heures précises, le conducteur du train4, qui venait d’arriver à Last Chance, entrait dans le bureau dugardien-chef et remettait à Hamilton, qui l’attendait en compagniede Helen, six grandes enveloppes non fermées et bourrées de billetsde banque.

L’ingénieur compta les bank-notes.

– Sept mille huit cent trente-troisdollars, le compte y est, dit-il, quand il eut fini sonopération.

– Voulez-vous alors me signer ma feuille,monsieur, demanda le conducteur du train.

Hamilton, au moment où il prenait la plume surle bureau, eut un faux mouvement et renversa l’encrier, quelquesbillets furent tachés de violet et Helen les essuya de son mieux,comme elle put.

– Maladroit ! dit-elle, en riant, àson tuteur.

Celui-ci, furieux, signa en maugréant lafeuille du conducteur qui, saluant sortit. Puis, comme Helen luitendait les enveloppes dans lesquelles elle venait de remettre lesbank-notes, Hamilton dit brusquement au garde en chef :

– Je ne puis garder jusqu’à demain unepareille somme dans ma baraque. Je n’ai pas un tiroir quiferme ! Dites-moi, Hartley ?

– Vous désirez, monsieur ?

– Vous avez ici un coffre-fortsolide ?

– Pour ça oui, c’est un boncoffre-fort.

– Eh bien, vous allez me garder cesbillets jusqu’à demain.

– À vos ordres, monsieur.

L’honnête Hartley, gardien-chef des chantiersde Last Chance, prit les précieuses enveloppes, les enfouit dans lecoffre-fort ; puis il referma la lourde porte et brouilla leslettres du mot de sûreté.

– À présent, je suis tranquille.Venez-vous Helen, nous allons faire une petite promenade jusqu’à laGarana.

– Vieux Ham, allez tout doucement et,dans un instant je vous rejoindrai. Je vais passer dans ma chambrepour me laver les mains, qui sont pleines d’encre… c’est encore devotre faute !

L’ingénieur sortit en bougonnant, tandis queHelen riait de tout son cœur.

– Puisque vous vous en allez miss Holmes,dit le gardien-chef, je vais en profiter pour fermer les bureaux,si vous le permettez.

– Mais faites, mon bon Hartley. Elleajouta, avec une hésitation :

– Vous ne craignez rien pour lesbillets ? Hartley se mit à rire.

– Ah ! mademoiselle, il faudraitêtre un fameux malin pour ouvrir le coffre… et puis vous savez quemon logement n’est pas loin. J’aurai l’œil sur les bâtiments.

Hartley aurait peut-être été moins confiants’il avait pu découvrir l’affreuse face de Spike qui était restéeune seconde collée à la vitre d’une des fenêtres, tandis queHamilton lui remettait la somme destinée à la paye.

Car Spike était un homme expéditif. Aussitôtaprès avoir téléphoné à Oceanside à M. Bill qu’il avait besoinà Last Chance de sa présence immédiate, ainsi que de celle deMM. Dock et Lugg, il était venu rôder autour des bureaux enattendant l’arrivée du train 4.

Il avait assisté d’ailleurs à la remise desvaleurs ; il avait vu M. Hamilton confier ses billets àHartley et celui-ci les enfouir dans la caisse.

Et Spike avait eu un petit rire satisfait, ensongeant que le hasard faisait bien les choses et que sa besognen’était plus qu’un jeu d’enfant.

*

**

Le lendemain matin, Dixler se leva avec lejour. Il avait peu dormi, cette nuit-là, car il lui tardait deconnaître le résultat de l’audacieux cambriolage ordonné parlui.

Mais, quand à huit heures, il aperçut Spike etses trois acolytes se présenter, la mine radieuse, il n’eut pasd’inquiétude.

– Alors ! questionna-t-il, leschoses se sont bien passées ?

– Tenez ! patron, voici les fafiots,répondit l’ancien forçat, en jetant des liasses de billets sur latable.

L’Allemand eut un sourire de triomphe.

– Bien travaillé ! mon garçon. Et çan’a pas été trop dur ?

– Mais non patron ! De l’ouvrage dedemoiselle. Le vieux Hamilton avait laissé la galette dans lecoffre-fort du gardien-chef Hartel Hartley. Alors, quand il a faitbien noir et que tout a été bouclé, nous nous sommes amenés endouce, avec ces messieurs. Par mesure de précaution, j’avais risquéun œil sur la combinaison, mais je n’avais pu bien lire que lesdeux dernières lettres : deux L, alors, une fois dans labaraque, nous avons fait un petit travail de littérature, qui aabouti au mot Bell, et à l’ouverture du coffre-fort.

« Nous avons pris les talbins et dans lesenveloppes, nous avons mis à leur place du vieux papier… pour fairedurer le plaisir plus longtemps. Dixler se mit à rire.

– Bien joué ! vieux singe, dit-il,en allongeant une claque formidable sur l’épaule del’ex-comédien : je suis content de toi et de ces messieurs… etje le prouve, ajouta-t-il, en distribuant aux quatre banditsquelques-uns des billets qu’on venait de lui apporter.

– Deux cents dollars chacun, pourcommencer. Pour le reste, vous allez l’emporter le plus tôtpossible, à Oceanside, vous le déposerez chez Storr.

– Le vieux receleur ?

– Lui-même ! C’est un homme à moi,quant à toi Spike, tu vas retourner à Last Chance et commencer àchauffer les ouvriers… C’est compris ?

– À merveille ! patron, vous allezvoir, on va faire du beau travail.

– J’y compte bien, messieurs ! Je nevous retiens plus.

Les coquins comprirent que l’audience étaitterminée. Lugg, qui avait de l’usage et savait son monde, tendit àl’ingénieur une large patte noire et déformée.

Mais, Dixler lui tourna le dos et Lugg en futpour ses frais.

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