L’Héroïne du Colorado

DOUZIÈME ÉPISODE – L’enterré vif

CHAPITRE PREMIER – Le triomphe deHelen

– Alors, Helen, vous êtescontente ?

– Oh ! oui, vieux Ham, bienheureuse.

Ce dialogue s’échangeait le 14 juin 1916 surle quai d’embarquement du vieux chantier de Pôle Creek, devenu unegare de la nouvelle ligne d’Omaha à San Francisco, entre Hamiltonradieux et Helen épanouie et charmante, dans sa robe claire.

– N’ai-je pas, continuait Helen ens’appuyant tendrement au bras de son tuteur, vu s’accomplir commedans les contes de fées, tous mes souhaits… Notre ligne, notrebelle ligne de la Central, s’inaugure aujourd’hui, notre mine deBlack Mountain, qui n’était qu’un amas de cailloux, a vu sespierres se transformer en pépites d’or ; je suis fiancée aubrave garçon que j’aime et… ajouta-t-elle gravement, le Ciel a bienvoulu, après m’avoir fait perdre le meilleur des pères, mettre prèsde moi, pour le remplacer, le meilleur et le plus dévoué desamis.

Hamilton serra tendrement le bras de sapupille.

– Et George ? fit tout à coup Helengaiement, est-ce que ce terrible garçon va se faireattendre !

Comme s’il n’attendait que ce mot pourparaître, George fit à ce même moment son entrée sur le quaid’embarquement.

Il était magnifique.

Il portait une jaquette de bon faiseur, unpantalon impeccable et des chaussures ultra-chic. Sur sa chemisemolle une cravate délicieuse serpentait.

En l’apercevant, Helen eut un cri :

– Grand Dieu, George ! où avez-vousbien pu trouver cette extraordinaire cravate !

S’entendant interpeller de la sorte, George,qui était déjà très gêné dans ses vêtements de cérémonie, dont iln’avait pas l’habitude, devint rouge comme le feu.

– Elle est très bien, cette cravate, fitHamilton conciliant.

– Très bien ! vous osez dire trèsbien ! renchérit Helen avec indignation, vous trouvez joli,sans doute, cet assemblage hideux de rose aurore, de vert moisi etde bleu de Prusse ! ! ! Tenez, George, je vous enprie, promettez-moi de ne plus acheter vos cravates vous-même.

– Je vous le promets, Helen, balbutia lepauvre garçon tout déconfit. Et même, si vous voulez, je puis allerchanger de cravate.

– N’en faites rien, mon ami ; nousserions en retard et j’aime encore mieux vous voir toute lajournée, ainsi pavoisé, que de faire attendre le train qui va venirnous chercher.

Puis, voyant la physionomie navrée de sonfiancé :

– Allons ! grosse bête que vousêtes, dit-elle gaiement, vous n’allez pas prendre une figured’enterrement parce que j’ai critiqué un détail de votre costume.Je n’aime pas votre cravate, mais j’aime de tout mon cœur celui quila porte.

À ces mots, la figure si franche et si mobilede George s’éclaira.

En même temps, majestueusement, lâchant safumée à petites bouffées comme un vieux monsieur qui fume sa pipe,le train dont la locomotive disparaissait sous les drapeaux, venaitse ranger le long du quai.

C’est lui qui allait conduire Helen, Hamilton,George et les invités à Hockey Hill où se faisait l’inauguration dela nouvelle ligne de la Central Trust.

*

**

Dans une des plus sales rues de Las Vegass’élève, entre un magasin d’épicerie et un bureau derenseignements, une modeste construction en planchesprétentieusement peinturlurée en rose et bleu ciel et portant pourenseigne :

Au Serpent qui marche la nuit

Cette étrange inscription aurait pu fairecroire qu’il s’agissait en l’espèce d’une ménagerie ou d’un atelierd’empailleur, si les multiples flacons de spiritueux, lesbouteilles à col doré qui étincelaient derrière le vitragen’avaient péremptoirement prouvé qu’on se trouvait en présence d’undébit de boissons.

Le Serpent qui marche la nuit était,en effet, un bar, et cette bizarre enseigne avait l’étonnantprestige d’être à la fois l’enseigne de la maison et le nom dupropriétaire.

Omaka Kikeway (le serpent qui marche la nuit,en langage indien) était un honnête Peau-Rouge pawnee, qui avaitabandonné le sentier de la guerre pour la voie encore pluspérilleuse des affaires.

Ayant remarqué que l’eau de feu, au moyen delaquelle les Européens avaient abruti ses pères, jouait un grandrôle dans l’existence humaine, il s’était mis marchand d’alcools ets’en trouvait bien.

Son bar était fort achalandé, et s’il n’yavait pas toujours que des gentlemen, chez le Serpent qui marche lanuit, il y avait en revanche une société nombreuse, bruyante, desplus pittoresques.

Derrière son comptoir, tout vêtu de blanc, cequi faisait encore ressortir sa peau cuivrée, ses yeux sombres, sescheveux lisses d’un noir bleu, Omaka, très digne, versait lesdrinks et confectionnait les cocktails avec la gravité d’un sachem,mais, si quelque dispute menaçant de mal tourner s’élevait entreses clients, il avait vite fait de s’élancer dans la salle et derétablir rapidement l’ordre à coups de poing ou de revolver,suivant les circonstances.

Ce jour-là, par extraordinaire, il n’y avaitpas grand monde au Serpent qui marche la nuit, une dizaine declients tout au plus.

Comme un nouveau client venait d’entrer,Omaka, qui lisait le Las Vegas Times, se leva et empoignaimmédiatement les gobelets à confectionner les cocktails. Ilconnaissait sans doute les habitudes du nouveau venu et s’apprêtaità lui fabriquer sa boisson favorite.

– Tout à l’heure, fit le client, j’aid’abord à parler au gentleman qui est là-bas.

Sans dire un mot, le dernier des Pawnees lâchases instruments, et se remit à sa lecture.

Le « gentleman qui est là-bas »n’était autre que notre vieille connaissance Bill, l’éternelcomplice de Dixler.

Bill ne paraissait pas dans une situationflorissante à en juger par l’extérieur. Son linge était rare, sesvêtements usagés, et il n’était même pas rasé.

Le gredin semblait plongé dans de profondesréflexions qui ne devaient pas être couleur d’églantine.

– Hé, Bill ! dit une voix qui le fittressaillir.

Il leva la tête et reconnut dans l’homme quivenait d’entrer dans le bar, Ward, le valet de chambre del’ingénieur, Ward avec lequel il avait fait plus d’un bon coup.

– Ça ne va pas, vieille chose, questionnale larbin en s’asseyant à côté de lui et en lui tapantfamilièrement sur l’épaule.

– Ça ne va pas du tout, grogna Bill.

– Le patron veut te voir.

Bill se redressa et regarda Ward avec un airhostile.

– Ah ! le patron veut me voir ?eh bien, moi, je n’ai pas envie de voir le patron. Tu sais que jeparle franc, Ward, aussi vrai que Tom Linton a été lynché. Je croisque ce diable d’homme-là a le mauvais œil. Tout ce qu’il toucherate et il suffit qu’on se mette de son côté pour qu’il y ait de lacasse.

Ward avait écouté silencieusement cettesortie. Quand Bill eut fini, il tira silencieusement un bank-notede sa poche et le tendit au bandit en ajoutant :

– Il m’a dit de te donner ça.

Bill prit le billet et l’examina.

– Bigre ! cent dollars ! lepatron a besoin de moi ?

– Évidemment !

– Et ?… interrogea Bill en faisantdisparaître la coupure au fond de sa poche à revolver… et c’est dugros ouvrage ?

– Il te le dira.

– Allons-y.

– Je croyais, ironisa à son tour Ward,que Dixler avait le mauvais œil…

– Qu’importe ! si son argent estbon.

– Alors, en route.

Les deux amis se dirigeaient vers laporte.

Au moment où ils allaient franchir le seuil,la voix gutturale du Serpent qui marche la nuit se fitentendre :

– C’est deux schillings six.

Debout derrière son comptoir, très grave ettrès digne, Omaka jouait négligemment avec un revolver.

– Tiens, vieux voleur, fit Bill en luijetant quelques pièces de monnaie.

Le Serpent qui marche la nuit rafla prestementl’argent, puis s’inclina avec solennité en mettant la main sur soncœur.

Dix minutes après la rencontre, les deuxgredins étaient en présence de Dixler.

L’Allemand fut net et bref.

– Lisez ceci, dit-il en mettant sous lesyeux de Bill le dernier numéro du Las Vegas Times et enlui signalant d’un coup d’ongle un article de première page, liseztout haut mon garçon. Ward ne connaît rien de l’affaire. Ilprofitera de la lecture comme vous.

Et Bill lut tout haut d’abord letitre :

OUVERTURE DE LA LIGNE LAST CHANCE

Sous la présidence de Helen Holmes, lafille du général Holmes, associée de Joe Hamilton, l’ingénieur enchef de la Central Trust, et de George Storm, le mécanicien bienconnu par tant d’actes de dévouement et de courage.

Puis il passa à l’article :

C’est aujourd’hui, disait le journal,qu’aura lieu l’inauguration de la nouvelle ligne d’Omaha à SanFrancisco – cette entreprise commencée par le regretté généralHolmes ! !…

– Assez ! coupa Dixler, vous ensavez assez. C’est donc aujourd’hui que mes ennemis triomphent. Ehbien ! je veux que ce jour de joie soit pour eux un jour dedeuil. Je veux que ce maudit Storm, qui m’a honteusement battu,paie une fois pour toutes le vieux compte que nous avons ensemble.Je veux aussi que le damné Spike, qui ne le quitte pas plus que sonombre, soit châtié en même temps que lui. Écoutez-moi, voici ce quej’ai imaginé et pourquoi j’ai besoin de vous.

Les deux bandits se rapprochèrent.

Dixler parla quelque temps à voix basse.

Un quart d’heure plus tard, Bill et Wardsautaient dans l’auto de Dixler et se dirigeaient à toute vitessevers Rockey Hill où avait lieu l’inauguration de la nouvelleligne.

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