L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE V – Vers Santa Leona

Miss Helen Holmes s’entretenait encore avec levieux mineur, près du wagonnet chargé de pierres schisteuses, quandle sourd fracas de l’éboulement souterrain parvint jusqu’àelle.

– Que signifie ce bruit ?demanda-t-elle au vieillard.

Celui-ci secoua la tête avec tristesse.

– Je crains bien, miss, qu’il ne se soitproduit quelque catastrophe terrible dans la mine !…Tenez ! je ne me suis pas trompé, voici tous les hommes quis’enfuient, éperdus.

Sans en entendre davantage, la jeune filles’était élancée au-devant des ouvriers qui sortaient, les uns aprèsles autres, de la voûte d’entrée, avec des visages épouvantés.

La jeune fille alla droit au contremaître. Lepauvre diable était consterné, ses jambes flageolaient souslui.

– Miss ! bégaya-t-il, je ne sais sije dois vous dire ! C’est épouvantable !… la voûte de lamine !…

– Mais parlez donc !… s’écria lajeune fille avec impatience.

– La voûte, reprit le contremaître avecdes yeux hagards, éboulée, anéantie !…

– Où est George Storm ?…M. Hamilton ?…

– Au fond ! ensevelis, enterrésvifs !… murmura Carrington avec effort.

Helen se sentit atteinte comme d’un coup enplein cœur. Sa gorge se serra, elle devint d’une pâleur mortelle,et elle crut qu’elle allait s’évanouir.

Par un effort surhumain, elle domina sonmouvement de faiblesse.

– Il faut les sauver !…s’écria-t-elle, avec égarement.

– Je voudrais bien, miss Helen, maiscomment ?… Il faudrait plus d’une semaine aux quelques hommesdont nous disposons pour se frayer une route à travers lesquartiers du roc qui obstruent les galeries, et dans quelquesheures, il sera trop tard… Si M. Hamilton et M. Stormn’ont pas été écrasés du premier coup, ils ne tarderont pas àsuccomber à l’asphyxie.

L’imminence du péril avait rendu à l’Héroïnedu Colorado tout son sang-froid, toute son indomptable énergie,tout son esprit d’initiative.

– Ce n’est pas ainsi qu’il faut parler,s’écria-t-elle, il faut tenter l’impossible pour sauver deuxexistences humaines. Vous, Carrington, vous allez téléphoneraussitôt à la ville de Clarke, puis vous vous rendrez chez lemédecin le plus proche et vous l’amènerez. Quant aux ouvriers quisont là, et qui ont la chance d’être indemnes, qu’ils commencent àfaire le déblaiement, sans perdre une minute.

– Cela ne servira pas à grand-chose,murmura Carrington, car ils sont trop peu nombreux.

– N’importe !… faites ce que je vousdis, les minutes sont précieuses. Pendant ce temps, je vais allerchercher du secours.

– Mais, où cela ?…

– À la mine d’argent voisine, SantaLeona ! Il y a là une centaine d’hommes, je suppose quel’ingénieur permettra bien à cinquante d’entre eux, de venir avecmoi !…

– Vous n’ignorez pas, dit encore lecontremaître, que le chemin de fer à voie étroite qui relie SantaLeona à Superstition, pour le transport du minerai, fait une grandequantité de circuits, vous aurez presque aussi vite fait d’aller àpied.

– Ne vous inquiétez pas de cela. Exécutezles instructions que je viens de vous donner et ne vous occupez pasdu reste !…

« Je vous jure que je serai promptementrendue à Santa Leona, et que plus promptement encore, je serai deretour avec une nombreuse équipe de travailleurs.

Malgré le peu de confiance qu’il avait dans lerésultat final, le contremaître ne pouvait s’empêcher d’admirerl’assurance et le courage de la jeune fille.

Sans rien lui répondre, il se hâta d’exécuterles ordres qu’il venait de recevoir.

Miss Holmes, comme nous avons eu l’occasion dele voir en plusieurs circonstances, était une mécanicienne experte.Elle sauta sur une des petites locomotives qui servait à traînerles wagonnets de minerai, jeta dans le foyer une pelletée decharbon, puis ouvrit largement la manette du régulateur.

Une minute après, la machine démarrait, puis,avec une vitesse sans cesse accrue, dévalait vertigineusement lespentes de la sierra.

Le paysage, en cette partie de l’État duNevada, est un des plus sauvages qui existent ; partout desmonceaux de caillasses, des rocs édentés, d’arides ravins que lespluies hivernales changent en torrents ; à l’horizon, uncercle de montagnes qui semblent se refermer derrière lesvoyageurs ; nulle part trace d’habitation ou de verdure ;c’est le désert où ne coule nulle source et sur lequel pèsentéternellement les rayons d’un soleil de plomb.

Miss Helen, debout sur l’étroite plate-forme,le front ruisselant de sueur, le visage fouetté par la pluie noireet les escarbilles, ne songeait guère à examiner le décor qu’elletraversait à toute vitesse.

Les yeux fixés sur le manomètre, qui luiindiquait la tension de la vapeur, la main sur la manette durégulateur, elle ne quittait cette attitude que pour jeter dans lefoyer des pelletées de charbon, sitôt que le feu commençait àbaisser.

Tout à coup, elle eut une exclamation dedésespoir, elle n’avait plus de charbon !…

Et elle était encore à plus d’un mille deSanta Leona. La tension de la vapeur baissait d’instant en instant,miss Helen, malgré tout son courage, sentait monter à ses yeux deslarmes de rage et de désespoir.

La locomotive allait maintenant trèslentement, elle franchit encore une centaine de mètres en vertu dela vitesse acquise, puis ses roues patinèrent et elle s’arrêta.

Miss Helen regarda autour d’elle. Dans lelointain, elle apercevait les cheminées de la mine de SantaLeona ; à ses pieds, un ravin profond, un véritable gouffre,qui séparait deux montagnes.

Il lui fallait deux heures au moins pourdescendre au fond de ce ravin et pour remonter sur l’autrebord.

Au-dessus du gouffre, les ingénieurs avaientinstallé un de ces monte-charge aériens grâce auquel, sur de grosfils de fer on fait glisser des wagonnets de minerai.

En regardant cette étrange machine, la jeunefille eut une inspiration.

N’était-elle pas l’acrobate qui avaitémerveillé toute l’Amérique en sautant d’une falaise de trentemètres dans la mer, en se jetant à l’eau avec son cheval du hautd’un pont, et en accomplissant ces mille exploits sportifs quil’avait fait surnommer l’Héroïne du Colorado !…

– Il est heureux, somme toute,songea-t-elle, que ma locomotive se soit arrêtée ici.

« Avec un peu d’audace, j’aurai franchice ravin et, dans dix minutes, je serai arrivée à Santa Leona.

Sans plus réfléchir, miss Helen escalada undes poteaux qui soutenaient les fils de traction, puis sesuspendant par les poignets à un des tracteurs, le corps balancédans le vide, elle commença la vertigineuse traversée.

Fermant les yeux pour ne pas voir sous sespieds le gouffre béant, elle commença à glisser lentement le longdu fil, mais à mesure qu’elle avançait, elle sentait les muscles deses bras s’engourdir.

Comme il arrive dans certains cauchemars, elleavait par instants une irrésistible envie d’ouvrir les mains et dese laisser tomber dans l’abîme. Ses oreilles bourdonnaient, il luisemblait que des voix confuses l’appelaient d’en bas.

« Tu n’as plus rien à faire, ici-bas, luisusurraient ces voix, celui que tu aimes est mort ! Il n’estplus pour toi de bonheur sur terre !… C’est seulement dans lapaix du tombeau que tu trouveras la tranquillité. Un simple gesteet tu seras délivrée des tortures de la vie !… »

Miss Helen eut besoin de toute son énergiepour résister à cette espèce de fascination, ses poignets tuméfiésne portaient plus qu’à grand-peine le poids de son corps et sesartères battaient à grands coups lorsqu’enfin elle atteignitl’autre bord du ravin.

Elle se laissa glisser à terre plus morte quevive, elle éprouvait une fatigue atroce, mais elle n’était plusqu’à une faible distance de Santa Leona.

Courant à perdre haleine, elle y arriva.

Trouver un ouvrier qui la conduisit à uningénieur ; raconter à celui-ci, en quelques mots, lacatastrophe de Superstition fut pour elle l’affaire d’uninstant.

Dans ces solitudes désolées, la solidarité estla première des vertus. Là, plus qu’ailleurs, l’homme a besoin deson semblable.

– Ce que vous me demandez, miss Helen, nese refuse jamais, je serais bien heureux que vous vinssiez à monsecours, si jamais une explosion semblable se produisait dans monexploitation, mais il ne faut pas perdre un instant.

Aussitôt prévenus par un contremaître, lesouvriers abandonnèrent précipitamment leur travail et s’entassèrenten désordre dans les wagonnets qui servaient au transport duminerai. Miss Helen prit place à leurs côtés, ainsi que l’ingénieurde Santa Leona et, une demi-heure après, toute l’équipe detravailleurs débarquait à la mine Superstition.

On se mit à l’œuvre sans perdre uninstant.

Sur les conseils de l’ingénieur, on renonça àdéblayer les galeries, ce qui eut été trop long, et l’on se mit endevoir d’essayer de percer perpendiculairement à la voûte, dans unendroit où l’épaisseur du roc paraissait plus faible.

– Je ne vous cache pas, cependant, ditl’ingénieur de Santa Leona à ceux qui l’entouraient que nousn’avons que de bien faibles chances de sauver les victimes, j’ai vumalheureusement beaucoup de catastrophes du même genre, et quandles ensevelis n’ont pas été tués sur le coup, l’asphyxie faitrapidement son œuvre.

À l’heure même où se faisait la catastrophe,Dixler installé dans son cabinet, fumait nonchalamment son éternelcigare, tout en compulsant diverses paperasses.

Quoique la vente de la mine eût rapporté laforte somme, l’Allemand n’était pas satisfait. Il sentait que,depuis la dernière réunion du conseil d’administration, sescommanditaires n’avaient plus en lui la même confiance, et il ne sedissimulait pas qu’à la première occasion ils s’empresseraient dele débarquer.

Il était plongé dans ces moroses réflexionslorsque son secrétaire lui apporta une dépêche. Il l’ouvritdistraitement, mais dès qu’il eut jeté un coup d’œil, il devintd’une pâleur effroyable.

Cette dépêche lui annonçait que George Stormet Hamilton avaient été enterrés sous un éboulement et qu’on neconservait aucun espoir de les sauver.

– Tant pis pour eux, grommela-t-il, enfroissant la dépêche d’un air mécontent, ce sont deux ennemis demoins, voilà tout !…

« J’ai, se dit-il, la réputation d’unhomme impitoyable, sans scrupule et sans cœur, il serait peut-êtrehabile de ma part de faire un peu de sentiment à propos de la mortde cet imbécile de Hamilton. Puis, maintenant que George Stormn’existe plus, le moment est peut-être venu de reprendre mesanciens projets de mariage avec miss Helen. Décidément, j’yvais !…

Un quart d’heure plus tard, Dixler montait enauto et filait vers la mine Superstition, en quatrième vitesse.

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