L’Héroïne du Colorado

ONZIÈME ÉPISODE – Le train de lamort

CHAPITRE PREMIER – Invitationinattendue

La compagnie de la Central Trust, après lesdéboires des commencements, était entrée dans la prospérité.L’exploitation des lignes déjà terminées donnait de magnifiquesrésultats ; enfin la mine d’or de Superstition était venueaccroître d’une façon considérable le capital social et avaitpermis de distribuer aux commanditaires des dividendesimportants.

En dépit des subventions que touchait Dixlerdu gouvernement allemand, il avait eu décidément le dessous dans labataille financière. La Colorado Coast Company ne pouvait lutter nien importance ni en rendement avec la Central Trust.

D’ailleurs les actionnaires de cette dernièresociété, qui s’étaient parfaitement rendu compte que leur succèsétait dû, en grande partie, aux efforts de miss Helen Holmes, nes’étaient pas montrés ingrats envers l’Héroïne du Colorado.

Vingt-cinq pour cent des actions de la mined’or de Superstition lui avaient été attribués en toutepropriété.

Miss Helen se trouvait, maintenant, la richehéritière que nous avons connue au début de cette histoirevéridique.

Le premier usage que la jeune fille avait faitde son opulence avait été de racheter la propriétépaternelle : la villa et le parc de Cedar Grove, dont le tempsn’avait fait qu’embellir les poétiques ombrages.

Ce fut avec un bonheur infini que la jeunefille retrouva le décor familier où s’était écoulée son enfance, leclair ruisseau que traversaient des ponts rustiques et qui fuyaiten serpentant à travers des buissons de lauriers-roses et derhododendrons, les grandes allées majestueuses et les troncsantiques des cèdres et des hêtres, courbés par les vents duPacifique.

À la grande surprise de beaucoup de gens, missHelen avait pris comme factotum Spike, l’ancien forçat, dont elleavait eu maintes fois l’occasion d’apprécier l’intelligence et ledévouement.

Ce choix, qui partout ailleurs eût semblésingulier, ne fit que consacrer la réputation de l’héroïne.

– Très chic !… exentricwoman !… répétaient les nouveaux riches propriétaires dequelques mines.

Miss Helen Holmes était à la mode.

Elle était accablée d’invitations.

Les milliardaires, elles-mêmes, copiaient seschapeaux et ses robes, et regardaient comme un grand honneur d’êtreadmises aux soirées ou aux garden-parties qu’elle donnaitde temps à autre, dans le parc de Cedar Grove.

Miss Helen était demeurée fidèle à ses anciensamis. L’ingénieur Hamilton et le mécanicien George Storm étaientles commensaux habituels de la villa.

George, lui aussi, avait bénéficié de laprospérité croissante de la Central Trust. Le petit marchand dejournaux que nous avons connu était maintenant un correct gentlemanet, guidé par miss Helen, il préparait les derniers examens quiallaient lui permettre de devenir ingénieur.

– Il faut pourtant, dit un jour la jeunefille à M. Hamilton, que j’invite ce coquin de Dixler à l’unede mes réceptions.

– Je n’en vois pas la nécessité, réponditl’ingénieur, en manifestant un certain étonnement.

– Eh bien, moi, j’y tiensbeaucoup !…

– Pourquoi cela ?

– Je tiens à montrer à cet Allemand quenous avons décidément triomphé de lui. C’est une petite vengeance,une mesquinerie, si vous voulez, mais j’y tiens.

– Comme il vous plaira ! Seulement,je suis bien sûr que Dixler ne viendra pas !

– Vous croyez ?

– J’en suis sûr !

– Eh bien, moi, je suis sûre qu’ilviendra. Il est bien trop orgueilleux pour refuser moninvitation.

– Vous avez tort, miss Helen, repritl’ingénieur avec une certaine vivacité, vous savez pourtant quechaque fois que Dixler se trouve quelque part, les crimes et lescatastrophes le suivent de près.

– C’est précisément pour cela, s’écriamiss Helen, que je tiens à l’inviter. Je tiens à lui prouver que jen’ai pas peur de lui.

– C’est peut-être un tort.

– Il a beau être habile, il a beau êtresoutenu par l’or et l’influence de l’Allemagne, il n’a pu triompherde la Central Trust et le moment est proche peut-être où laColorado Coast Company sera forcée d’entrer en liquidation.

L’ingénieur Hamilton connaissait de longuedate l’obstination de miss Helen, il comprit qu’il serait inutiled’essayer de l’empêcher d’inviter Dixler, et il n’insista plus.

Le soir même, la jeune fille envoyait uneinvitation pour le lendemain au directeur de la Colorado Coast pourune partie de tennis qui devait avoir lieu dans le parc de CedarGrove et où étaient conviés les membres les plus intéressants del’aristocratie financière du Colorado.

Un train spécial avait été commandé pour lesinvités.

*

**

Fritz Dixler se trouvait dans son cabinet detravail et venait d’expédier son courrier.

Il ne savait pas encore que ses menées pours’emparer de la mine d’or de Superstition avaient piteusementéchoué.

Quand il connut la vérité, il entra dans uneviolente colère. C’est tout juste s’il ne se livra pas à des actesde violence envers les agents maladroits dont il s’était servi.

– Ces coquins-là, grommela-t-il, ont dûêtre payés par la Central Trust pour me trahir.

Cependant, il eut beau les questionner detoutes les manières, les menacer, il ne put rien en tirer.

En y réfléchissant, il finit par reconnaîtrequ’ils étaient de bonne foi et qu’ils avaient fait tout leurpossible.

– Que voulez-vous qu’on fasse contre missHelen, lui dit l’un de ces bandits d’un ton bourru, cette jeunefille est plus intelligente et plus forte que nous.

À ce moment même, le secrétaire de Dixler luiapporta une dépêche. Il lut :

Gare du Signal,

Monsieur Dixler,

Je donne un tennis, suivi de thé, entreintimes. Voulez-vous y venir ?

Signé, Helen HOLMES.

L’Allemand froissa le message aveccolère !…

– Cette jeune fille se moque de moi,murmura-t-il, elle me brave, elle me regarde comme complètementvaincu… Elle pourrait se tromper !… Je n’ai pas encore dit mondernier mot, mais j’irai à cette réception, ne fût-ce que pour luimontrer que je n’ai pas peur d’elle et que je n’ai pas renoncé à lalutte. Puis, qui sait ?… le caractère féminin est sujet à desi brusques revirements !… Il est assez singulier que missHelen m’invite, mais peut-être a-t-elle pour cela des raisons quej’ignore.

Dixler relut la dépêche. L’invitation étaitpour le jour même.

En Amérique où tout est immédiat, rapide etimprovisé, on ne prévient pas les gens plusieurs jours à l’avance,ainsi que cela se pratique dans le Vieux Monde.

Dixler consulta son chronomètre, il n’avaitguère devant lui, qu’une heure pour se rendre à Cedar Grove. Il sehâta de changer de toilette.

Un chapeau de feutre léger, un complet deflanelle, au col largement échancré, des souliers spéciaux àsemelles de caoutchouc, le transformèrent, en un instant, en unparfait gentleman.

L’espion, l’agent secret du gouvernementallemand, offrait maintenant toutes les apparences d’un de ces filsde famille, exclusivement adonnés au sport, d’un de ces élégantsdésœuvrés dans l’existence desquels le polo, le cricket, le tenniset le flirt tiennent la plus large part.

– Miss Helen doit avoir quelques penséesde derrière la tête, songea-t-il, tout en mettant la dernière mainaux préparatifs de sa toilette.

Tout à coup, il se frappa le front.

Il venait d’avoir une idée, une mauvaise idéebien entendu.

– Il y a un train spécial,réfléchissait-il et un train fatalement doit passer par StationCity, à l’embranchement des voies de la Central Trust et de laColorado Coast Company.

« Hamilton, George Storm et tous mesennemis seront dans ce train. Il suffirait d’un bon accident, unecollision par exemple, pour me débarrasser de tous ces gêneurs. Lachose est d’autant plus facile que le train spécial n’étant pasporté sur les horaires, un oubli peut facilement se produire. Encas d’enquête, la Colorado Coast Company peut toujours arguer de sabonne foi.

« J’en serai quitte pour révoquer lesemployés responsables et pour adresser quelques lettres decondoléances aux familles de ces victimes.

« En mettant les choses au pis, si noussommes obligés de verser quelques indemnités nous y gagneronsencore. La mort de Hamilton, de Storm et des principauxcommanditaires de la Central Trust changerait complètement la facedes choses.

Fritz Dixler réfléchit longtemps. Il donnaquelques ordres mystérieux à l’un de ses secrétaires, il fallaitque, par une feinte négligence, la dépêche de service qui signalaitle départ du train spécial fût omise ou arrivât trop tard.

Après avoir pris toutes les mesures quidevaient assurer le succès de sa criminelle combinaison, l’Allemandse sentit tout joyeux.

– Je vais, songeait-il, donner une leçonà cette orgueilleuse jeune fille, elle finira par comprendre qu’iln’est pas si facile qu’elle se l’imagine de triompher de FritzDixler qui a derrière lui l’invincible puissance de la grandeAllemagne.

« Je vais jouer cette suprême partie etje la gagnerai !… L’Allemand mit une fleur à sa boutonnière,se fit apporter deux légères raquettes de tennis, en bois decitronnier, et demanda son automobile.

L’instant d’après, il courait sur les routespoudreuses dans la direction de Cedar Grove où il arriva un peuavant l’heure prescrite, le train spécial ne devant stopper en garedu Signal que dix minutes plus tard.

Dixler voulait se ménager un entretien avecmiss Helen, avant que la foule des invités n’eût fait irruptiondans le parc.

À une certaine distance de la villa, Dixlerarrêta son auto, en descendit et franchit la grille sans se faireannoncer, avec les façons sournoises qui lui étaienthabituelles.

Étouffant le bruit de ses pas, il s’aventurapar les allées ombragées, guidé par un bruit de voix qu’ilentendait du côté de la rivière artificielle. Tout à coup, ils’arrêta net, cloué sur place par la surprise, le spectacle qu’ilapercevait le fit pâlir de rage.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer