L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE III – Préparations

Dixler, depuis qu’il n’avait plus sous la mainpour accomplir ses basses besognes les deux sinistres gredins Docket Bill, avait pris l’habitude de s’adresser, pour toutes lesopérations hasardeuses qu’il entreprenait et pour lesquelles ilavait besoin de comparses, à un certain Schulmann qui s’occupait unpeu de tout.

C’était un honnête industriel qui vous vendaitaussi bien deux wagons de blé que la vie d’un homme. Il tenaitcomptoir de toutes marchandises et procurait tout ce qu’on voulait.Le tout était de bien payer.

L’ancien directeur de la Colorado avait déjàeu plusieurs fois affaire à lui ; dans l’occasion il n’hésitapas et envoya à l’honorable Schulmann un télégramme ainsiconçu :

Tenez-moi prêt pour demain un hommesolide.

DIXLER.

Le lendemain, à la première heure, l’Allemandétait chez Schulmann ; Ward, son domestique, l’accompagnait.Schulmann, fidèle aux ordres reçus, attendait son compatriote encompagnie d’un aimable gredin qu’il lui présenta.

– Voici M. Senks, patron, c’est ungarçon qui n’a pas froid aux yeux et dont vous serez content.

Dixler examinait l’homme qu’on luiprésentait.

C’était un gaillard trapu, à la physionomiemauvaise et sournoise.

Il lui plut tout de suite.

– Voici ce dont il s’agit, expliqua-t-il.Demain matin, au train – il n’y en a qu’un, il n’y a pas à setromper – M. Hamilton, le directeur de la Central Trustprendra à Oceanside le train pour Las Vegas, il sera porteur d’uneforte somme en billets de banque. Cette somme, qui d’ailleurs serarendue le lendemain, il faut vous l’approprier par n’importe quelmoyen, mais il est nécessaire, pour des raisons à moi connues, queHamilton arrive à Las Vegas sans un sou dans sa poche. Est-cecompris ?

– On n’est pas un buffle, patron,répondit l’homme avec un accent crapuleux. Mais, avant tout, ilfaut nous entendre sur le prix.

– Je donne mille dollars tout de suite,trois mille si la chose réussit.

– Allons, on pourra peut-être s’entendre.Allongez un peu la sauce et tout ira bien.

Dixler chercha à rester sur ses positions,mais Senks avait la partie belle. Après une discussion animée, ilfut convenu que Senks toucherait deux mille dollars immédiatement,qui lui resteraient quoiqu’il arrive, et trois mille en plus sil’affaire réussissait.

L’Allemand était en train de verser lesbank-notes au bandit quand celui-ci se gratta la tête.

– Qu’est-ce qu’il y a encore ?demanda Dixler impatienté.

– Il y a quelque chose de bienembêtant !…

– Quoi donc ?

– Je ne connais pas votreM. Hamilton, moi.

– N’ayez pas peur. Voici Ward, mondomestique, qui vous le désignera et qui vous accompagnera pendanttoute l’expédition.

– Monsieur se méfie de bibi ?grimaça Senks.

– Pas du tout, mon garçon, mais il vauttoujours mieux être deux quand on fait des coups comme celui quevous allez tenter demain.

– C’est bon, on prendra le copain ;d’ailleurs c’est vous qui payez, vous avez le droit de faire cequ’il vous plaît.

– Partez tout de suite, commanda l’anciendirecteur de la Colorado.

– N’ayez pas peur, patron, vous saurezcomment Senks sait travailler.

– Hein ! s’écria Schulmann avec unaccent d’admiration, croyez-vous qu’il est un peu là legaillard.

– Attendons la fin.

– Vous serez content… Quand j’ai reçuvotre télégramme, je me suis tout de suite dit : Voilà uneaffaire pour Senks.

Tout en parlant, l’ingénieux industriel avaittiré de son gousset la dépêche et la regardait avecsatisfaction.

D’un geste brusque, Dixler la lui arracha desmains et la mit dans sa poche.

– Eh bien ! qu’est-ce que vousfaites donc, monsieur Dixler, demanda Schulmann un peu abruti parla rapidité du geste.

– J’ai horreur de laisser traîner macorrespondance, dit l’Allemand en lui frappant sur l’épaule.

Puis, s’adressant à Senks et à Ward :

– Filez vous autres, et faites de votremieux. Si je suis content, vous le serez aussi.

Le valet de chambre et Senks sortirentaussitôt.

Après avoir réglé avec Schulmann sacommission, Dixler partit à son tour.

*

**

À Oceanside, Hamilton avait été négocier à labanque des valeurs pour six cent mille dollars. La somme lui avaitété remise en bank-notes qu’il enferma, aidé de Helen, dans unpetit sac de cuir jaune qu’il tenait à la main.

– Allons prendre notre train, nousn’avons que le temps, dit le tuteur de Helen, en se dirigeant àgrands pas vers la gare. Tout en marchant, il disait à sapupille :

– Pendant que j’irai payer Dixler, allezdonc, avant d’aller délivrer Spike, déposer dans mon coffre-fort dela banque Watson cette liasse de valeurs que j’avais emportée etdont je n’ai pas eu besoin de me servir. Nous nous retrouverons àl’hôtel Knox.

– Donnez, parrain ? fit Helen.

Le directeur de la Central Trust tira de sapoche un fort paquet d’actions diverses, qu’il remit à la jeunefille.

Deux minutes plus tard, bien installés sur laplate-forme arrière du dernier wagon dans de confortablesrocking-chairs, le tuteur et sa pupille regardaient passer lacampagne.

Dans le compartiment voisin, deux hommescausaient, tout en jetant de leur côté des regards à ladérobée.

C’étaient Ward et Senks. Wardparlait :

– Tu l’as bien vu, c’est le gentleman àfigure rouge et à cheveux gris qui cause avec la jolie jeunefille.

– Pas moyen de se tromper. Il tient savalise entre ses jambes. C’est là où sont les pépettes.

Senks réfléchissait.

Enfin, il releva la tête et dit à soncompagnon :

– Il n’y a pas d’arrêt avant LasVegas ?

– Si.

– Où cela ?…

– À Clifton.

– Combien de temps ?

– Vingt minutes.

– C’est plus qu’il ne nous faut. Nousdescendrons et nous irons acheter une valise identiquement pareilleà celle du vieux monsieur. Après tu verras comment Senkstravaille.

Jamais Hamilton n’avait été de si meilleurehumeur. Quand le stewart s’approcha pour lui demander s’il retenaitune table pour le déjeuner, le directeur de la Central Trustdemanda cérémonieusement à Helen :

– Mon associée veut-elle me permettre delui offrir une bouteille de champagne pour arroser sondéjeuner.

– Oh ! oui, oui, vieux Ham, répliquala jeune fille dont les yeux brillèrent, voilà une jolie idée.

– Alors une bouteille bien sec surtout,commanda Hamilton au maître d’hôtel.

– Et pas du champagne de Californie,spécifia Helen en nant, je suis bonne patriote, mais pour les vins…Vive la France !

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