L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE IV – Les combinaisons de FritzDixler

M. Hamilton eût été beaucoup moinsrassuré s’il avait pu connaître le complot qu’en ce moment même sesennemis ourdissaient contre lui. Voici ce qui s’était passé.

Lorsque Dixler eut ordonné à ses agents Docket Bill de se procurer à tout prix des renseignements sur lesprojets de Hamilton, les deux mauvais drôles, assez embarrassés, sedirigèrent sans trop savoir comment ils allaient procéder vers lechantier de la Central Trust.

Rampant à travers les rames de voitures et lesamas de traverses, ils atteignirent sans être vus le wagon quitenait lieu de bureau à l’ingénieur.

Bill, le plus intelligent des deux chenapans,avait eu le temps de réfléchir. Il essaya d’abord, en collant sonoreille à la paroi, d’écouter ce qui se disait dans l’intérieur duwagon-bureau, mais les planches de chêne étaient épaisses et laporte à coulisse bien fermée : il ne discerna qu’un murmure devoix inintelligible et confus.

– Nous ne pourrons rien savoir, murmuraDock déjà découragé.

– Attends donc, fit l’autre, j’ai uneidée, un vieux truc qui réussit toujours, bien qu’il ait souventservi. Il est à peu près certain que Hamilton et George Storm vonttélégraphier à Los Angeles pour prévenir miss Helen et pourdemander du secours.

– Oui. Eh bien ?

– Nous allons simplement brancher un boutde fil sur celui que tu vois installé sur le toit du wagon-bureauet, à l’aide de l’appareil portatif, nous intercepterons ladépêche. Va vite chercher un fil, des pinces et un appareil, maissurtout prends garde de te faire voir.

Dock s’empressa d’obéir et un quart d’heureplus tard, leur criminelle opération ayant parfaitement réussi, lesdeux coquins étaient en possession de la dépêche adressée parl’ingénieur à miss Helen. Dock voulait aller immédiatement porterce précieux document à Dixler. Bill l’en empêcha.

– Ne te presse pas tant, lui dit-il, missHelen va certainement répondre et nous aurons la satisfactiond’apporter au patron les deux dépêches, la demande et la réponse.Il ne pourra que nous adresser des félicitations.

Dock, une lourde brute à face d’assassin, auxjoues énormes et carrées, fut émerveillé de l’intelligence de soncamarade.

– Décidément, murmura-t-il avec un rireépais, tu es un malin. Il n’y a que toi pour avoir de bonnesidées.

D’ailleurs les précisions de Bill seréalisèrent de point en point. La dépêche de miss Helen futinterceptée avec autant de succès que l’avait été celle deHamilton.

– Maintenant, ordonna Bill, nousn’apprendrons rien de plus, allons retrouver M. Dixler quidoit nous attendre avec impatience.

Supposition parfaitement exacte, du reste,l’Allemand se promenait de long en large, comme un lion en cage enattendant le retour de ses deux espions.

– Vous avez été bien longtemps, leurdit-il brutalement, et je parie que vous ne m’apportez riend’intéressant.

– Voyez, dit simplement Bill, en luitendant sous les yeux le texte des deux dépêches.

– C’est bon, fit Dixler après les avoirlues, pour une fois ce n’est pas trop mal travaillé, maislaissez-moi tranquille, j’ai besoin de réfléchir.

L’Allemand avait mille raisons de redouterl’arrivée de M. Jonas Mortimer dont il connaissait lecaractère essentiellement probe et inaccessible à la corruption. Ilfallait donc payer d’audace, inventer quelque ruse nouvelle.

Il avait beau se creuser l’imagination, il netrouvait rien de pratique et de facilement réalisable.

– Je finirai bien par découvrir lestratagème inédit qu’il me faut employer, songea-t-il, mais d’abordallons au plus pressé.

Il tira son chronomètre.

Le train pour Los Angeles allait partir dansdix minutes. D’un geste impérieux, il rappela Dock et Bill et, touten prenant dans un portefeuille quelques bank-notes qu’il leurremit :

– Vous autres, leur dit-il, vous allezprendre de suite le train pour Los Angeles. Vous avez lu les deuxdépêches, par conséquent vous êtes au courant.

– Oui, monsieur Dixler, répondit Billavec respect.

– Écoutez-moi attentivement. À onzeheures, il part de Los Angeles un train spécial qui doit amenerici, pour déranger nos plans, le juge de paix Jonas Mortimer, uncommissaire de police et des policemen. Hamilton, qui va prendrecertainement un billet en même temps que vous pour aller au-devantdu juge, sera aussi dans ce train spécial.

– C’est compris.

– Il faut que vous trouviez le moyend’empêcher le train spécial d’arriver ici avant minuit. D’ici lànotre voie aura dépassé la terre du vieux Cassidy et la situationaura changé de face.

– Comment ferez-vous ? demandacurieusement Bill.

– Cela ne te regarde pas, réponditdurement l’Allemand. D’ailleurs, je ne sais rien moi-même encore.Puis-je compter sur vous ?

– Absolument, monsieur Dixler, fit Billd’un ton plein de suffisance. Nous avons exécuté des tours de forceplus difficiles. Je vous en donne ma parole, le train spécialn’arrivera pas ici dans la nuit.

– Cela suffit, allez-vous-en. Vous n’avezque juste le temps de prendre vos billets, mais surtout ne vousfaites pas voir de Hamilton.

– N’ayez crainte. D’ailleurs, il ne nousconnaît pas, c’est à peine s’il nous a vus une fois ou deux.

Les deux bandits avaient disparu depuislongtemps que Dixler demeurait encore à la même place, les sourcilsfroncés, les lèvres pincées, jetant alternativement des regards decolère sur les deux chantiers et sur la petite maison de bois auseuil de laquelle le philosophe Mick Cassidy continuait à fumerpaisiblement sa pipe.

L’Allemand était à peu près sûr que les deuxagents arriveraient à empêcher ou à retarder le départ du trainspécial ; mais pour son compte, il ne voyait pas lapossibilité de faire franchir à sa voie la terre de Cassidy.

Bien plus, il ne tarda pas à s’apercevoir queses adversaires continuaient à pousser les travaux avec uneactivité fébrile.

Sous la direction de George, qui stimulait parses paroles et son exemple les équipes de travailleurs, la voie dela Central Trust s’allongeait pour ainsi dire à vue d’œil.

Déjà quelques traverses étaient placées sur leterrain qui avait été le jardin de Mick.

– J’aurais dû songer à cela,grommela-t-il entre ses dents. Entre la route et la maison deCassidy, ils ont juste la place de poser leur voie, mais ils l’ont.Et moi, je ne peux pas en faire autant, puisque cette satanéemaison barre précisément la voie de la Colorado Coast, ma voie àmoi…

Il se sentait devenir fou de colère, de rageimpuissante.

Cependant les poseurs ajoutaient les traversesaux traverses, pendant qu’une autre équipe s’occupait à boulonnerles rails avec une célérité qui tenait du miracle.

Dixler n’y put tenir davantage, les poingsserrés. Il s’avança vers George Storm, dont il ne se trouvait plusqu’à quelques pas.

– Je vous défends d’avancer sur monterrain ! lui cria-t-il.

– J’avancerai si cela me plaît, réponditGeorge avec le plus grand calme. Vous savez fort bien que ceterrain a été acheté et payé par nous.

– Je l’ai payé et plus cher quevous !

– Nous avons la priorité.

– Si vous ne cessez immédiatement letravail, je vais ordonner à mes hommes de tirer sur vous.

– C’est une menace qui ne m’effraie pas.Vous y regarderez à deux fois avant de renouveler la sanglantebagarre de la gare du Signal, qui a failli tourner si mal pourvous. D’ailleurs, mes hommes sont en nombre et en armes.

– Vous violez la propriété de Mick.

– Nullement, je respecte son domicile,comme le veut la loi, mais nous avons pris livraison du terrain quenous avons payé. Les palissades sont arrachées. Rien ne peut nousempêcher de continuer notre travail. D’ailleurs remarquez que Micklui-même ne formule aucune protestation.

Et il montrait à l’Allemand, non sans malice,le vieil Irlandais toujours occupé à fumer placidement sur le seuilde sa porte.

Dixler se rendait parfaitement compte queGeorge avait raison, aussi, au lieu de répondre à ce dernier parune pluie d’injures, comme celui-ci s’y attendait, il se calmabrusquement et sa physionomie exprima une sorte de résignation quieût paru comique en toute autre circonstance.

Dixler était extrêmement maître de lui-même,il savait donner à ses traits l’expression qu’il voulait, et iln’était jamais aussi dangereux que lorsqu’il affectait de sourire,alors que la colère grondait au fond de son cœur.

– Je vois, monsieur Storm, dit-il presquecordialement au mécanicien, que je ne puis contrecarrer vos plans.Je vous cède donc la place… Pour le moment, du moins, ajouta-t-il àdemi-voix, et je me retire.

Et, sans prêter attention à l’étonnement deGeorge, que ces paroles inquiétaient vaguement, il se dirigea sansse presser vers la maison de l’Irlandais.

Pendant que ces événements se déroulaient dansles chantiers de Blackwood, le train express qui emportait Hamiltonet les deux agents de Dixler filait à toute vapeur vers la gare deLos Angeles, qu’il atteignit sans accident.

Sitôt en gare, Dock et Bill se hâtèrent dequitter leur compartiment, avant que l’ingénieur ne fût descendu dusien et ils errèrent dans les bâtiments de la gare, en prenant lesplus grandes précautions pour éviter d’être reconnus par lespersonnes qui avaient pu les voir à Blackwood.

Tout en flânant et en fumant, ils attendirentsans impatience la formation du train spécial réservé aux gens dejustice.

Ils avaient déjà combiné tout un plan pourmettre à exécution les ordres de Dixler.

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