L’Héroïne du Colorado

DIXIÈME ÉPISODE – Les voleurs devalises

CHAPITRE PREMIER – L’innocence deSpike

Depuis déjà quatre mois, Spike subissait sapeine à la prison de Las Vegas.

Le pauvre garçon, encore une fois victime dela canaillerie de Dixler, avait revêtu de nouveau l’infâme costumecerclé vert et jaune qui est l’uniforme des forçats américains.

Les jours s’écoulaient pour lui mornes etlourds, et les nuits sans sommeil se passaient à songerdouloureusement au passé.

Pourquoi n’avait-il pas suivi la voie droite,la bonne route des honnêtes gens ? Il serait aujourd’hui ungentleman. Grâce à son intelligence et à son travail, il auraitfait fortune comme les autres et vivrait heureux, respecté, enlibre citoyen de la libre Amérique.

Tandis que maintenant, flétri, déchu, ilvivrait et mourrait dans la chiourme, méprisé par tous ceux qui parhasard se souvenaient de lui.

Et la pensée que Helen Holmes ne songeait plusà lui qu’avec dégoût, le torturait comme une blessure fraîche.

Dans la journée, les forçats étaient occupés àl’extraction du minerai dans une mine de cuivre qui se trouvait auxenvirons de la ville non loin des bords du San Joaquin.

Bien des fois Spike avait eu la pensée, quandil interrompait le travail, de se jeter dans le fleuve et d’enfinir d’un seul coup avec ses misères, mais un espoir le faisaittoujours hésiter au dernier moment.

Qu’attendait-il pourtant ?

Un jour, pendant le repos de deux heures,Spike était étendu à l’ombre d’un énorme quartier de roche etrêvassait à d’impossibles choses, bercé par une demi-somnolence,quand il entendit comme un murmure à côté de lui.

Il lui semblait qu’on prononçait son nom.

– Spike, eh ! Spike… as-tu fini dedormir, vieux singe ?

– Qui me parle ? demanda Spike en sedressant sur son coude.

– Un ancien ami.

– Je n’ai plus d’amis.

– Tu te trompes, mais ne bouges pas, cecochon de Lang, le surveillant, regarde de notre côté. Tu n’as pasbesoin de me voir, tu n’as qu’à m’écouter.

– Parle.

– Est-ce que tu n’en as pas assez, vieuxfrère, de la vie que tu mènes ici ?

– Demande à un blessé s’il veutguérir.

– Eh bien ! il y a peut-être unmoyen d’aller respirer le bon air de la prairie.

– Que faut-il faire ?

– Tu le sauras tout à l’heure. Pour lemoment, il faut me répondre franchement. Es-tu toujours un garsd’attaque décidé à tout risquer ?

– Ça dépend…

– Oh ! alors, si tu commences àdiscuter, nous ne pourrons pas nous entendre. Je t’ai cependantconnu plus coulant autrefois, mon camarade.

– Qui donc es-tu ?

– Comment, tu n’as pas reconnu mavoix ?

– Non…

– Lefty !

Spike eut un brusque sursaut.

Lefty ! C’était Lefty, le bandit quil’avait associé à tous ses forfaits, son mauvais génie… Lefty étaitlà.

L’ancien homme de Dixler se méprit sur le sensdu geste de Spike.

– Hein, oui… ça te la coupe, vieilleboule, de me savoir près de toi, mais ne remue donc pas comme ça,ou Lang va nous tomber sur le poil. Quand il aura le dos tourné,nous continuerons notre petite conversation. Le surveillant Lang,après un long regard soupçonneux dans la direction du quartier deroche au pied duquel Spike était étendu, s’éloignait, se dirigeantvers un autre point du chantier.

Alors il y eut un glissement sur le sol, etSpike aperçut soudain Lefty à côté de lui.

– Là, nous pouvons causer, maintenant,vieille boule, dit le bandit… Tu es content de me voir ?

– Non, répondit nettement Spike en leregardant fixement.

– Tu n’es pas poli, mon garçon, mais jene t’en veux pas, car je t’ai toujours connu un caractère dehérisson… mais si tu n’es pas content maintenant, tu le seras toutà l’heure.

L’ancien comédien, l’air grognon, se remitdans son trou de roche.

Sans paraître faire attention à l’attitude,plutôt hostile, de Spike, Lefty : poursuivit.

– Je ne suis arrivé que depuis deux jourssur le chantier ; c’est pour cela que tu ne m’avais pas encorerencontré, mais en ces quarante-huit heures je n’ai pas perdu montemps. Ah ! ici, c’est un bon chantier, ce n’est pas comme auxmines du Nevada où j’étais employé jusqu’à présent ! Ici, unhonnête garçon, un peu intelligent, ne doit pas être long, s’ilsait profiter des circonstances, à reprendre sa liberté et à allerfaire le gentleman un peu plus loin.

Il se rapprocha de Spike et baissant encore lavoix :

– Voici ce que j’ai imaginé. Tu as dûremarquer comme moi que lorsqu’on fait partir un coup de mine, lessurveillants qui ont peur pour leur peau s’éloignent le plus loinpossible, laissant les pauvres forçats pour surveiller l’opération.C’est à ce moment que je compte fausser compagnie à ces messieurs.Après l’explosion, on constate l’effet du coup et on ne pense guèreà nous autres. Moi, pendant ce temps, je serai déjà loin…

– Et les sentinelles ? interrompitSpike.

– Il n’y en a que de loin en loin, maissi quelqu’un me barre la route, tant pis pour lui… j’ai pu cacherun couteau.

– Et ton costume, tu ne penses pas allerbien loin avec ton beau complet jaune et vert ?

Lefty eut un rire silencieux.

– Tu me prends donc pour un imbécile. Monpremier soin, avant-hier, a été d’acheter des vieux vêtements à unbrocanteur qui a dû les déposer à un endroit que je connais.

– Tu avais donc de l’argent ?

– Dixler n’oublie pas ses amis.

– C’est parfait. Bonne chance.

– Tu ne veux pas filer avecmoi ?

– Non.

Et Spike dit ce non avec encore plus d’énergieque le premier. Les yeux louches de Lefty eurent une lueurfarouche. Il saisit le poignet de Spike et gronda.

– Toi… tu vas me vendre ! Spikehaussa les épaules.

– Imbécile !

– Alors, pourquoi ne veux-tu past’échapper avec moi ?

– Parce que je ne veux plus rien avoir decommun avec toi ! répondit Spike avec violence, parce que tousmes malheurs viennent de toi, et que je ne veux plus teconnaître.

– Oh ! oh ! ricana Lefty,serais-tu devenu vertueux, par hasard ? Tu étais moinsscrupuleux autrefois.

– Autrefois, tu me tenais sous tadépendance… autrefois, j’étais lâche, j’avais peur de toi et deDixler. Vous m’aviez en votre pouvoir, j’étais votre chose, votreinstrument. Tu me menaçais à chaque instant de la dénonciation sije résistais à vos volontés, vous faisiez de moi tout ce qu’il vousplaisait… Aujourd’hui, c’est fini… je suis libre…

Lefty éclata de rire.

– Ah çà ! tu es fou, vieux singe,libre ? Essaie de faire trois pas en dehors du camp.

– Ça m’est égal… oui, je suis prisonnier,forçat, c’est entendu, mais je suis libre de bien me conduire si jeveux, je ne sens plus peser sur mes épaules votre effroyableemprise à Dixler et à toi !

– Ce n’est pas possible, on m’a changémon Spike, essaya de plaisanter le gredin.

– Oui, changé, bien changé…

– Quelque pasteur t’aura converti.

– Il n’y a pas de pasteur dansl’occurrence mais il y eut une petite voix si douce qui m’a dit unjour : « Je voudrais tant que vous fussiez honnêtehomme… » et cela a suffi.

Un coup de sifflet strident se fitentendre.

– Le repos est fini, murmura Spike en selevant. Lefty l’imita.

Il regarda, quand il fut debout, son anciencomplice sous le nez et lui dit un seul mot :

– Abruti !

Et il s’en alla en se dandinant rejoindre sonéquipe ; Spike le suivit des yeux jusqu’au tournant du chemin,poussa un soupir quand il eut disparu, ramassa sa pioche et sedirigea vers le lieu où il travaillait.

Aussitôt que les deux hommes eurent disparu,un phénomène étrange se produisit à quelques pas de la roche auprèsde laquelle Spike avait fait sa sieste.

Il y avait là un amas de débris de quartz quiformait une sorte de petit tumulus et qui brusquement s’éboula.

Un homme en sortit.

C’était un surveillant à rude figure dont lespetits yeux fureteurs avaient une flamme de joie.

– Ma parole, murmura-t-il, tout enessuyant comme il pouvait la poussière blanche qui le couvrait, jen’étais pas à mon aise dans ma petite cachette, mais je n’ai pasperdu mon temps.

Le lendemain, Lefty tentait de mettre sonhardi projet à exécution.

Les circonstances semblaient le favoriser. Onvenait de charger un énorme fourneau de mine, et tout le mondes’était écarté, les surveillants plus loin que les autres.

Lefty, tapi derrière une grosse roche,attendait le moment.

L’explosion eut lieu, formidable.

Le bandit, se relevant, se lança en avant,courant de toutes ses forces.

– Stop ! cria tout à coup une voixmenaçante.

Lefty tourna la tête et aperçut deux gardiensarmés de carabines qui, surgis subitement à vingt pas de lui, letenaient en joue.

Lefty se coucha, fit un brusque crochet etdétala encore plus vite.

Deux coups de feu retentirent.

Lefty roula comme un lapin.

Les deux surveillants s’élancèrent. Ilsappelèrent quelques forçats et firent transporter le corps del’homme de Dixler à l’ambulance.

Quand Lefty fut couché, on examina sesblessures.

Il avait reçu une balle dans les reins. Uneautre lui avait labouré les côtes et s’était logée dans lepoumon.

Il était perdu, mais il vivait encore.

On le transporta à l’infirmerie de laprison.

Ce fut là qu’il reprit connaissance.

Le médecin était auprès de lui.

Lefty voulut faire un mouvement. Une atrocedouleur le fit retomber sur sa couche.

– J’ai mon compte, hein ?interrogea-t-il. Le docteur hocha la tête sans répondre.

– Bon, j’ai compris, fini, nettoyé,bonsoir la compagnie. Il parut réfléchir, puis il ajouta :

– Je voudrais bien voir M. Wilcox,le directeur de la prison, j’ai des révélations à faire.

Le médecin donna un ordre à une infirmière quis’éloigna aussitôt. Cinq minutes après, le directeur était auchevet de l’agonisant.

– Vous voulez me parler ? demandaM. Wilcox.

– Oui, monsieur le directeur, dit Leftyd’une voix faible… au moment de passer l’arme à gauche, on a dedrôles d’idées… Figurez-vous que je me persuade que je m’en iraisplus tranquille si je vous racontais une petite histoire quiintéresse particulièrement un brave garçon qui est ici.

– Je vous écoute.

– Vous savez que c’est à propos del’affaire de Cedar Grove.

– En effet.

– J’avais un complice.

– Spike ?

– C’est cela même… Eh bien, Spike n’estpour rien dans l’affaire. J’avais réussi à le terroriser et c’est,affolé par les menaces, qu’il s’est joint à moi pour l’expéditionqui s’est terminée par la mort du général Holmes.

« Je jure que je dis la vérité.

– C’est bien, fit gravement le directeur,vous avez là une bonne pensée. Je vais rédiger votre déclaration etvous la signerez.

– Volontiers, monsieur le directeur, maisdépêchez-vous de faire vos écritures, car je sens que je n’irai pasloin.

Une demi-heure plus tard, Lefty renouvelaitses aveux en présence de Spike et signait le papier où ils avaientété consignés. Le fonctionnaire et le médecin s’éloignèrent unpeu.

Les deux forçats restèrent seuls enprésence.

– Tu vois, Spike, dit Lefty dont la voixbaissait, j’ai réparé le mal comme je l’ai pu.

Spike, très ému, lui prit la main et la luiserra. Lefty murmura encore entre ses dents :

– C’est cette canaille de Dixler qui m’aperdu…

Il ferma les yeux ; Spike crut que toutétait fini. Au bout d’un moment, Lefty murmura encore :

– Ah ! si j’avais aussi entendu unepetite voix douce… Mais jamais… jamais… il n’y a eu de petite voixdouce pour dire à Lefty ce qu’il fallait faire…

Les lèvres s’agitèrent encore quelquesinstants puis il eut un sursaut et ce fut tout. Lefty était mort.Spike pleurait. Une main qui se posait sur son épaule le fittressaillir.

– Suivez-moi à mon bureau, Spike, dit ledirecteur, j’ai à vous parler.

Spike jeta un dernier regard sur Lefty quimaintenant semblait apaisé dans la mort, quitta la chambre funèbreet suivit M. Wilcox. L’entretien entre le directeur et leforçat fut bref.

– Vous quitterez l’établissement de LasVegas à la fin du mois, déclara M. Wilcox.

– Puis-je vous demander oùj’irai ?

– Où vous voudrez.

Le cœur de Spike se mit à battre à grandscoups, un espoir fou remplit tout son sang et le faisait sonnercomme une volée de cloches dans ses oreilles.

Il balbutia :

– Que voulez-vous dire,monsieur ?

– Que vous êtes libre, mon garçon,conclut rondement le directeur, dont la rude physionomie s’éclairad’un sourire.

« La déclaration de Lefty vous innocenteet puis votre bonne conduite, depuis que vous êtes au pénitencier,efface vos anciennes peccadilles. Vous sortirez le 30, mais àpartir d’aujourd’hui, vous êtes exempt de tout travail et de toutecorvée. Vous allez même quitter votre costume de prison.

– Je pourrai reprendre mes habits degentleman ? demanda vivement Spike.

– Mais certainement.

– Merci, merci, monsieur le directeur,balbutia le pauvre garçon. Et il ajouta tout bas :

– Je vais donc enfin pouvoir être unhonnête homme ! Comme Elle le souhaitait…

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