L’Héroïne du Colorado

NEUVIÈME ÉPISODE – Le tombeau d’or

CHAPITRE PREMIER – La mine salée

En Amérique, lorsqu’une mine d’or a cessé dedonner un bon rendement ou même lorsqu’elle ne donne plus aucunrendement, ses propriétaires, afin de la vendre le plus cherpossible, l’exploitation étant désormais sans valeur, se livrent àune escroquerie bien connue des chercheurs d’or, mais qui cependantréussit presque toujours.

Ils « salent » la mine…

Voici en quoi consiste ce procédé :

On remplace, dans la cartouche d’un fusil dechasse, le menu plomb par de la poudre d’or, puis on tire auhasard, sur le rocher de nature aurifère, et qui est censé contenirdes paillettes.

Les grains de poudre d’or s’incrustent dans lapierre et quand, ensuite, on soumet les échantillons géologiques duterrain minier à des experts, ceux-ci sont forcés de reconnaîtreque les fragments de quartz qu’on leur présente renferment bel etbien de l’or. Ils rédigent leurs rapports en conséquence et le tourest joué.

Moyennant une dépense de quelques centaines dedollars, la mine est vendue au prix fort. Inutile de dire qu’aprèsquelques journées de travail, les paillettes disparaissentcomplètement et que l’acquéreur s’aperçoit qu’il a été volé. Il n’aplus alors que la ressource d’intenter un procès au vendeur.

Mais celui-ci ne manque jamais d’objecterqu’il a été de bonne foi, qu’il ne pouvait pas supposer que lefilon était épuisé et que, d’ailleurs, il a fourni de nombreuxéchantillons de quartz aurifère.

Ainsi que nous l’avons vu précédemment,Dixler, directeur de la Colorado Coast Company, avait fait saler lamine qu’il comptait vendre à son adversaire financier, l’honorableM. Hamilton, directeur de la Central Trust, le tuteur de missHelen Holmes et le protecteur du mécanicien George Storm.

L’ingénieur Hamilton avait d’abord hésité.

Mais les échantillons qui lui avaient étésoumis présentaient une telle richesse, les rapports des expertsavaient été si concluants qu’après avoir pris l’avis de sescommanditaires, Hamilton s’était décidé à se rendre acquéreur decette mine, dont le rendement devait donner une nouvelle activitéau trafic des lignes nouvellement construites par la CentralTrust.

Dixler et Hamilton avaient donc prisrendez-vous chez le greffier de la ville de Clarke pour y signer lecontrat de vente.

En Amérique, les cessions de terrain ne sepassent pas tout à fait de la même manière que chez nous. Pour quela vente soit effective, il suffit que le texte du contrat soitinscrit sur le registre du greffier et signé des deux parties quipeuvent, lorsqu’elles en ont besoin, en réclamer des duplicata.

Hamilton et Dixler avaient donc prisrendez-vous ce matin-là, chez le greffier de la ville de Clarke,une petite ville dans le comté du même nom, de l’État duNevada.

Ils furent aimablement reçus par le greffier,M. William Hartmann, qui les introduisit aussitôt dans soncabinet et les fit asseoir, l’un à sa droite et l’autre à sagauche.

En regardant la face rusée de Dixler,l’ingénieur ne put s’empêcher d’éprouver comme un regret de s’êtreengagé si avant dans cette affaire :

– Pourquoi donc, demanda-t-il,brusquement à Dixler, avez-vous eu l’idée de vous défaire d’unemine si riche ?…

– J’ai peut-être tort en effet, réponditfroidement l’Allemand. Mais en ce moment, j’ai besoin de tous mescapitaux et j’ai d’ailleurs en vue des affaires plus avantageusesencore que cette mine.

– Enfin, c’est votre affaire.

– Messieurs, interrompit le greffier,vous êtes toujours bien d’accord sur toutes lesquestions ?

– Parfaitement.

– Il me reste donc à vous donner lecturedu contrat de vente que je vais transcrire sur mon registre.

– Il s’agit bien de la vente de deux lotsde la mine d’or Superstition, située dans la région minière ducomté de Clarke, État du Nevada, et que M. Dixler, directeurde la Colorado Coast Company, cède à M. Hamilton, directeur dela compagnie de la Central Trust ?

« La vente est transcrite sur le registredu comté, volume 1, page 215.

« Le prix est de deux millions deux centmille dollars, payable ainsi qu’il suit :

« Six cent mille à la signature ducontrat, six cent mille le 15 octobre, et cent vingt-cinq milledollars par trimestre jusqu’à complet paiement.

– C’est bien ce qui a été convenu, fitDixler.

– Alors, messieurs, veuillez apposer vossignatures. Cette formalité une fois remplie, M. Hamiltondemanda :

– Quand voulez-vous, monsieur Dixler, quej’effectue le premier paiement ?

– Mais à l’instant même, répliqual’Allemand avec arrogance. Le texte de l’acte dit « à lasignature du contrat ».

– Vous allez être satisfait. Je vais vouslibeller un chèque. L’ingénieur Hamilton s’exécuta et l’Allemand,après avoir vérifié le chèque, le serra dans son portefeuille, nonsans adresser à M. Hamilton ces paroles dont lui seul pouvaitcomprendre la profonde ironie.

– Je vous souhaite une bonne chance,M. Hamilton ! Vous avez fait là une affaire en or.

– Merci, monsieur Dixler, aurevoir !… et j’espère que si vous continuez à lutter contrenous, ce sera toujours, comme aujourd’hui, en loyal adversaire.

– Vous ne pouvez pas en douter un seulinstant, répliqua l’Allemand avec un sarcastique sourire.

Les deux hommes se serrèrent la main d’ungeste froid, mais correct, et se séparèrent.

L’ingénieur Hamilton, après s’être rendu aubureau de poste, alla faire en ville quelques courses urgentes. Ilavait décidé de prendre le premier train pour aller rejoindre, leplus tôt possible, George Storm et miss Helen à la mine deSuperstition. Il avait hâte d’entrer en possession de la concessiondont il venait de se rendre acquéreur.

Pendant ce temps, George Storm et miss Helen,en attendant la dépêche qui devait leur apprendre si l’affaireavait réussi ou si elle était manquée, avaient passé la matinée àparcourir les environs de la mine, à interroger les ouvriers, pourtâcher de se rendre un compte exact de la valeur de l’exploitationet des travaux qu’il faudrait y effectuer dans l’avenir.

Depuis longtemps déjà, une certaine intimités’était établie entre Helen et George, ils avaient les mêmesopinions, la même manière de voir sur toutes les questions. Ils nepouvaient rester longtemps l’un sans l’autre.

C’était quelque chose comme la tendreaffection d’un frère et d’une sœur, mais avec un sentiment plusprofond et plus passionné.

Sans qu’ils s’en rendissent compte, la francheamitié qui avait uni autrefois les deux enfants s’étaittransformée, petit à petit, chez les jeunes gens, en un amourvéritable.

– Comment aurais-je jamais espéré, fitGeorge Storm à demi-voix, que le pauvre mécanicien de la CentralTrust pourrait aspirer à l’honneur d’obtenir la main de la fille dugénéral Holmes, de la belle et courageuse miss Helen, de celle quel’Amérique entière a déjà surnommée l’Héroïne du Colorado.

– Rien n’est encore tout à fait décidé,répondit la jeune fille avec un sourire plein de coquetterie.

– Chère Helen, murmura George !…Avouez que vous ne m’avez pas trop découragé.

– Mais je ne veux pas non plus vousdécourager, au contraire ! J’ai assez de franchise pourreconnaître que j’ai pour vous une grande et profondeaffection.

– Je le sais.

– Mais ne croyez-vous pas, comme moi, moncher George, que, pour que nous puissions nous unir, il seraitcorrect que nous ayons l’un et l’autre une situation digne denous.

– Je suis entièrement de votre avis. Jecrois d’ailleurs que ce moment si impatiemment attendu par moiarrivera bientôt. Malgré toute son habileté, malgré toutes sesruses, en dépit de l’or allemand qui coule à flots dans sescaisses, Dixler a éprouvé plusieurs humiliantes défaites. Et letemps n’est pas loin, je crois, où la Central Trust auradéfinitivement triomphé de la Colorado Coast.

« L’acquisition de cette mine, sil’affaire réussit, va donner de formidables bénéfices, les frais depremier établissement sont faits. Les galeries qui atteignent lacouche de quartz aurifère sont creusées, l’outillage est aucomplet, et les rapports des experts annoncent un rendement enmétal bien supérieur à celui des concessions voisines.

Helen et George se trouvaient en ce moment àl’entrée même de la mine. Dans le flanc avide de la montagneéventrée s’enfonçaient des galeries profondes, ce que lesAméricains appellent des tunnels. Dans le ravin placé encontre-bas, s’entassaient des amoncellements de minerais, deschamps de pierrailles étaient traversés par les rails d’un cheminde fer à voie étroite, dans le genre de nos Decauville. Àl’horizon, c’était la sierra dans toute sa nudité grandiose, sansune goutte d’eau, sans un arbre, aussi stérile, aussi mélancoliqueà contempler que ces paysages lunaires que nous révèle laphotographie astrale.

– Quelle désolation, murmura George,après un silence : on dirait que cette perspective est marquéedu sceau de la détresse et du désespoir.

– Sans doute, répliqua la jeune filleavec feu, mais les riches métaux qui dorment dans les vieux rocséruptifs, grâce à l’activité humaine, s’éveilleront de leur sommeilmillénaire pour faire régner la prospérité et la joie dans cettevallée de désolation ; des villes et des villages entourés deculture surgiront au pied des monts, les collines se couvriront deforêts, des maisons onduleront dans les plaines… Miss Helen futinterrompue dans cette idyllique description par l’arrivée d’unemployé de la mine.

Une dépêche pourMlle Holmes.

– Donnez vite…

Miss Helen déchira l’enveloppe etlut :

Contrat de vente signé ; reviendraipar train 8. – Signé : HAMILTON.

– L’affaire a réussi, s’écria la jeunefille, en battant joyeusement des mains.

– La chance nous protège, reprit George.Le temps n’est pas loin, peut-être, chère Helen, où je pourrai vousappeler miss… Storm !…

– Nous verrons cela ; en attendant,il faut nous hâter, allons jusqu’à la gare, au-devant del’ingénieur ; je brûle de savoir comment l’affaire s’estconclue et quelle a été l’attitude de ce coquin de Dixler.

À ce moment même, l’Allemand, sans se douterqu’il fût l’objet d’une aussi flatteuse appréciation, s’abandonnaità toute l’ivresse du triomphe.

Rentré chez lui en sortant de chez legreffier, il s’était fait servir par son secrétaire un grand verrede Canadian Whisky et de soda-water,puis il avait alluméun trabucos et s’était abandonné à une douce rêverie.

– J’ai merveilleusement roulé cetimbécile de Hamilton, songeait-il, c’est une perte sèche dequelques millions de dollars pour la Central Trust… Mais à propos,il faut que je prévienne les membres du conseil d’administration,mes commanditaires, de ce brillant succès.

Il appela son secrétaire :

– Tony, ordonna-t-il, tu vasimmédiatement faire le nécessaire pour prévenir lesadministrateurs. Il y a assemblée générale extraordinaireaujourd’hui à trois heures.

Tony s’inclina silencieusement et sortit.

Dès qu’il eut tourné les talons, Dixler,décidément enchanté de lui-même, se versa un nouveau verre dewhisky et alluma un nouveau cigare.

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