L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE VII – L’héroïne

Dixler avait regardé, avec une satisfactionfarouche, le train spécial disparaître sur la rampe de lafalaise.

– Décidément, miss Holmes, fit-il, nousn’avons pas de chance, nous avons pourtant tenté l’impossible.

La jeune fille ne répondit pas tout d’abord,elle réfléchissait avec cette profonde concentration de volonté quedonne l’imminence d’un péril. Tout à coup elle se leva.

– Tout n’est pas encore perdu, fit-elle,nous pouvons rattraper le train au pont de Burnett.

– Mais au pont, on ne comprendra pasmieux nos signaux que tout à l’heure.

– Peut-être.

– Que comptez-vous faire ?

– Je n’en sais rien encore, ce que jesais, c’est qu’il faut gagner le pont de Burnett aussi vite quepossible.

Dixler ne put s’empêcher d’admirer la jeunefille.

« Décidément, songea-t-il, elle a uneforce de volonté, une ténacité et une audace admirables. Et c’estpour cela qu’il faudra qu’elle devienne ma femme !… »

L’auto avait repris sa course désordonnée, lemoteur haletait exténué, le réservoir d’essence était presquevide.

– Hâtez-vous, répétait Helen, haletanted’angoisse, il faut que nous arrivions au pont avant le train…

De nouveau, on traversa, avec la rapidité d’unbolide, des étendues immenses.

Enfin, le pont de Burnett apparut àl’horizon.

Il était jeté sur une double voie de chemin defer, il était entièrement construit en fer et soutenu par d’énormescolonnes.

L’auto stoppa un instant sur le pont.

C’est alors que Dixler montra à Helen un petitnuage de fumée blanche qui apparaissait à l’autre extrémité de lavoie.

– Pauvre miss Helen, nous arrivons encoretrop tard ! le train sera ici dans cinq minutes.

– Ces cinq minutes me suffiront.

Et avant que Dixler ait pu deviner ce qu’elleallait faire, Helen s’était laissé glisser de l’auto sur le sol, etelle descendait le talus.

Puis, suspendue au-dessus du vide, sesoutenant seulement par ses poignets, cramponnée à la poutrellehorizontale d’acier, elle s’avança peu à peu au-dessus de lavoie.

Dixler la regardait avec une épouvante mêléed’admiration.

Qu’elle eût eu un moment de faiblesse et soncorps serait allé s’écraser sur les cailloux pointus duballast.

Du bout de l’horizon lointain, le trainarrivait dans un rugissement.

Au moment précis où il passait, Helen ouvritles mains, plia les jarrets et se laissa tomber.

Sans s’être fait aucun mal, elle se trouva surle toit de l’un des wagons.

Du sommet du pont où il était resté, Dixler lavit disparaître avec le train qui l’emportait.

Elle avait déjà accompli une partie de latâche qu’elle s’était fixée, mais ce n’était pas tout d’avoir puatteindre le train, il fallait maintenant éviter la collision.

Ce n’était plus d’un quart d’heure qu’ellepouvait à disposer, c’était de quelques minutes seulement.

Ce bref laps de temps, il fallait le mettre àprofit, sans une erreur, sans un faux mouvement, sans un gesteinutile.

Le wagon, sur lequel elle était tombée, étaitun des fourgons attelés derrière la locomotive.

Elle réfléchit qu’il suffisait de détacherl’attelage qui reliait ce wagon au reste du train pour que tous lesvoyageurs fussent sauvés.

Ce serait seulement la locomotive et lefourgon qui seraient victimes de la collision.

En une seconde, son parti fut pris.

Rampant à plat ventre sur les planches dumarchepied, se suspendant aux tampons et aux chaînes, elle réussit,à l’aide d’efforts incroyables, à atteindre les lourds crochets, etelle les détacha.

La minute d’après la locomotive et le fourgoncontinuaient seuls leur course échevelée, tandis que le restant dutrain ralentissait peu à peu son allure.

Mais l’énergie qu’avait déployée la jeunefille dans ce suprême effort avait complètement anéanti sesforces.

Elle se tint quelques instants cramponnée aucuivre de la barre d’appui, puis ses mains s’ouvrirent, ses yeux sefermèrent et elle alla rouler sur les cailloux du ballast, alorsque la vitesse du train, à peine diminuée, était encore de soixantekilomètres à l’heure.

– Elle est morte ! tel fut le cri detous les voyageurs, les invités de Cedar Grove, qui, de leur wagon,avaient assisté à ce drame foudroyant.

Quelques minutes après, les freinsmanœuvraient de l’intérieur des wagons, par les soins de GeorgeStorm, et arrêtèrent complètement le convoi.

Les voyageurs s’étaient précipités en foulepour venir au secours de la jeune fille, qui gisait inanimée sur leremblai.

– Elle vit encore !

– Qu’on donne promptement de l’eau deCologne !

– Des sels !

– De l’eau fraîche !

Tout le monde s’empressait autour de Helen,qui, petit à petit, ouvrit les yeux et regarda autour d’elle, avecune expression de souffrance.

– Elle doit avoir des lésions internes,dit quelqu’un.

– La colonne vertébrale brisée, ajouta unautre.

Helen avait refermé les yeux, elle étaitencore trop faible pour parler, tout son corps étaitdouloureusement meurtri.

C’est à ce moment qu’on vit une auto stoppersur le bord de la route. Dixler en descendit.

En cette tragique circonstance, il crutindispensable de faire étalage d’une sentimentalité théâtrale.

– Pauvre Helen, s’écria-t-il, malheureuseHéroïne, tu meurs victime de ton dévouement ! J’ai vainementvoulu empêcher son action insensée, mais je veux la sauver.

D’un geste plein d’autorité, il avait écartétoutes les personnes présentes, et il frictionnait vigoureusementles tempes de la blessée, tout en prononçant des phrases decirconstance !

– Je vous sauverai, charmante Helen, etje deviendrai votre époux. De nouveau miss Helen avait ouvert lesyeux et, dans les regards qu’elle dirigeait vers l’espion, il yavait un indicible étonnement.

À ce moment, Spike, très calme, s’approcha deDixler et lui mit la main sur l’épaule.

L’Allemand se redressa, furieux.

– Que me veux-tu, misérable ?fit-il.

– Monsieur Dixler, répondit l’autre d’unevoix tranquille, il me semble que vous n’avez plus rien à faireici.

– Pourquoi cela ?

– Tout simplement parce que beaucoup depersonnes commencent à soupçonner le rôle que vous avez joué enpréparant une catastrophe, qui, heureusement, ne s’est pasproduite. Si j’étais à votre place, je m’en irais !

– Et, s’il me plaît de rester ?

– Alors, vous recevrez probablement uneseconde leçon de boxe de la part de George Storm, et, cette fois,je crois qu’il aura l’approbation générale.

Dixler jeta un regard chargé de haine sur lespersonnes présentes, regagna lentement son auto, qui disparutbientôt à l’horizon, dans la direction de la frontière de l’État duTexas.

D’un mouvement spontané, c’était George Stormqui avait remplacé Dixler près de miss Helen.

Quand elle le reconnut, elle eut un douxsourire.

– Je savais bien que vous seriez près demoi, cher George, murmura-t-elle d’une voix faible comme unsouffle. De vous avoir vu, il me semble que je me trouve déjàmieux.

George serrait, dans ses grosses mains velues,les aristocratiques menottes blanches de l’Héroïne, tant il étaitému.

– Comme nous avons été enfants,reprit-elle doucement, c’est Dixler qui est cause de tout. Dès quevous avez été parti, je m’en suis rendue compte en réfléchissant unpeu.

– Ce que vous ne savez pas, dit GeorgeStorm, c’est que c’est aussi lui qui a préparé la catastrophe oùnous devions tous périr, et que, grâce à votre dévouement, nousavons évitée.

– Cela aussi, murmura la jeune fille ensouriant, je l’avais deviné. Pendant que nous courions ensemble enauto, à la poursuite du train, il a manifesté, à plusieursreprises, une satisfaction dont, sans en être bien sûre, j’ai crudécouvrir les motifs.

– J’espère, dit simplement le mécanicien,qu’une autre fois vous n’inviterez plus Dixler à vos parties detennis.

Helen, qui, maintenant, commençait à seremettre, s’amusa de cette boutade, et c’est de sa voix cordialed’autrefois, d’avant leur brouille, qu’elle répondit àGeorge :

– J’espère aussi, monsieur Storm, quevous allez me rendre tout de suite l’anneau de fiancée que vousm’avez si méchamment repris ce tantôt.

D’une main tremblante d’émotion, le jeunehomme passa au doigt de celle qui l’aimait la fragile bague, oùparmi des perles entourant une topaze, figurait une fleur demarguerite.

Une heure plus tard, miss Holmes, qui n’avaitpas été grièvement blessée, regagnait sa propriété de Cedar Grove,en compagnie de son fiancé.

Cette semaine-là, on put lire, dans tous lesjournaux de l’État du Colorado, l’article suivant :

Nous sommes heureux d’annoncer à noslecteurs le prochain mariage de notre compatriote miss HelenHolmes, que l’on a quelques fois appelée l’Héroïne du Colorado,avec M. George Storm, le jeune et distingué ingénieur de laCompagnie du Central Trust.

Nous prions les heureux fiancés de bienvouloir agréer nos meilleurs vœux de bonheur.

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