L’Héroïne du Colorado

TROISIÈME ÉPISODE – La bataille sur leschantiers

CHAPITRE PREMIER – À coups desifflet

Helen Holmes était en possession du plan dutunnel des montagnes du Diable, et elle était en sûreté dans uncanot automobile qui la déposerait à Oceanside, bien avant midi,l’heure fixée par les actionnaires de la Central Trust, commedernier délai pour le dépôt du plan.

La jeune fille ressentait une indiciblesatisfaction, et elle avait oublié toutes ses fatigues, tous lesdangers qu’elle avait courus.

Tout en tenant la barre du canot qui filait àtoute vitesse le long des falaises escarpées qui avoisinent le nordd’Oceanside, elle s’abandonnait à l’ivresse du triomphe. Dixler,une fois encore, avait eu le dessous dans la lutte ; lasociété de la Central Trust réorganisée sur une base plus solide,avec de nouveaux capitaux, allait terminer l’immense réseau de sesvoies de fer et Dixler et ses complices définitivement matésn’auraient plus qu’à rétrocéder à leurs adversaires victorieux lesquelques lignes qu’ils avaient déjà construites.

Quant au plan qui avait été considérablementdétérioré par l’eau de mer, Helen l’avait étalé avec précaution surla bâche de grosse toile qui recouvrait le toit de la cabine, pourqu’il séchât au soleil.

Mais après s’être abandonnée pendant quelquetemps à l’exaltation du succès, Helen réfléchit et sa gracieusephysionomie refléta les inquiétudes qui, maintenant, l’assaillaienten foule.

Elle connaissait assez Fritz Dixler poursavoir que l’Allemand ne lâcherait pas si facilement la partie.

– Évidemment, se dit-elle, il est déjàdans une auto, ou dans un train pour tâcher d’arriver à Oceansideavant moi. Il va me susciter toutes sortes de difficultés, tâcherde me reprendre ce plan que j’ai eu tant de mal à conquérir… Il n’ya qu’un train pour Oceanside, où il arrive vers onze heurestrente ; ce train, il a certainement dû le prendre.

En cela, Helen voyait juste.

Dixler, plein de rage lorsqu’il s’était vudépouiller du précieux document, avait immédiatement sauté dans uneauto et, filant en quatrième vitesse, il était arrivé à la stationla plus proche, une minute à peine avant l’arrivée du train pourOceanside et il y avait pris place.

Installé dans un pullman-car le banditreprenait conscience, grâce au train, il arriverait avec une avanced’une bonne demi-heure sur sa rivale et une demi-heure, c’étaitplus qu’il n’en fallait pour mettre à exécution le projet qu’ilavait combiné.

Helen avait l’intuition de ce qui sepasserait, et, comme pour donner un aiguillon à ses craintes, elleaperçut bientôt, dévalant les pentes de la falaise, disparaissantentre les collines pour reparaître un peu plus loin, le traind’Oceanside avec sa locomotive géante aux bielles trapues, quecouronnait un panache de fumée noire.

– Le train a une demi-heure d’avance surmoi, s’écria-t-elle avec dépit et certainement Dixler est là.

La voie du chemin de fer côtoie le rivage encet endroit, et de son embarcation elle pouvait compter les wagons,elle en distinguait les ferrures luisantes et les petites fenêtresarrondies.

– Dixler peut très bien me voir,songea-t-elle, et Dieu sait de quels sinistres projets est capablece bandit assoiffé de vengeance et furieux d’avoir étévaincu !

Mais tout à coup la jeune fille se redressa,le visage rayonnant. Elle venait de se souvenir que c’étaitprécisément ce jour-là que George Storm prenait son service pour lapremière fois en qualité de mécanicien sur la ligned’Oceanside.

C’était George, sans nul doute, qui conduisaitle train, et George était au courant de tout, c’était lui qui, laveille, avait piloté le canot automobile jusqu’au pied de lafalaise où Helen l’avait trouvé.

Mais, comment prévenir lemécanicien ?

Helen, dans une seconde d’inspiration, crut enavoir trouvé le moyen. Habituée à la manipulation des appareilstélégraphiques dans les gares de la Central Trust, elle savait parcœur l’alphabet morse, où chaque lettre est représentée par unecombinaison de la ligne et du point.

La jeune fille avait quitté pour un instant labarre et manœuvrait fébrilement le sifflet d’alarme du canot, dontles vibrations très aiguës s’entendaient à plusieurs milles. Un sonprolongé remplacerait la ligne, un son bref le point, et Stormentendrait et comprendrait certainement.

Toute tremblante à la pensée que soninitiative pourrait ne pas réussir, Helen composa d’abord – à coupsde sifflet, les mots George Storm. Elle avait choisi le moment oùle train et le canot couraient presque parallèlement l’un àl’autre.

Au bout d’une minute d’une attente pleined’angoisse, elle eut la satisfaction d’entendre le puissant siffletde la locomotive lui répondre, à l’aide du même alphabet :Compris – Parlez.

Elle en éprouva une joie délirante.

– George est là et m’entend,s’écria-t-elle, nous sommes sauvés ! Et elle se hâta de lancerle télégramme suivant :

Dixler à bord de votre train, ralentissezafin que je puisse arriver à Oceanside la première.

Quelques minutes après, Helen eut lasatisfaction de voir le long convoi diminuer de vitesse, puiss’arrêter tout à fait.

– Allons, fit-elle joyeusement, Dixler vaêtre battu encore cette fois-ci !

Pendant ce temps, le canot automobile fendaitles vagues et déjà les hautes murailles des docks et des entrepôtsd’Oceanside et les mâtures élancées des grands voiliers, à l’ancredans la rade, se devinaient à l’horizon.

Helen avait gagné la partie.

Ce n’était pas sans un certain orgueilprofessionnel que le mécanicien George Storm avait pris place, pourla première fois, sur la puissante locomotive du rapided’Oceanside. Tant qu’il avait été au service de la Central Trust,jusqu’à la mort du général Holmes, il n’avait conduit que desconvois chargés de ballast, de charbon ou de minerai, et maintenantc’était un vrai train de voyageurs, sur une ligne toute neuve,aboutissant à une grande et populeuse cité, avec une locomotive quifaisait aisément 120 kilomètres à l’heure. Aussi mettait-il unesorte de coquetterie à déployer toutes les ressources de sonhabileté professionnelle.

L’œil fixé sur le manomètre, la main sur lamanette du régulateur, il veillait à ce que le niveau de l’eau nebaissât jamais dans la chaudière, et il s’assurait fréquemment dubon fonctionnement de la soupape de sûreté et du freinautomatique.

Entre-temps, George contemplait avecémerveillement le grandiose paysage des rochers abrupts, des forêtset des collines, au pied desquelles venaient mourir les vagues del’Océan. C’est alors que son regard exercé avait reconnu, filantentre les lames, la petite embarcation de Helen, et son cœur avaitbattu plus vite à la pensée de celle qu’il aimait d’un amour sansespoir, et pour laquelle il eût, sans hésitation, sacrifié savie.

Il était perdu dans sa rêverie, quand lescoups de sifflet étaient parvenus à ses oreilles. Lui aussi, commela plupart des gens de sa profession, savait par cœur l’alphabetMorse, et souvent il s’était servi de ce moyen pour communiquer deloin avec la jeune fille.

Helen a besoin de moi, s’écria-t-il. Voyons cequ’elle désire.

Et arrachant une feuille de papier blanc deson carnet.

– William, dit-il au chauffeur, prends uncrayon, et note les lettres que je te dirai, une à une et trèsdoucement.

– Bien, monsieur George, mais pour quoifaire ?

– Ne t’occupe pas de cela.

Le message une fois reçu, le mécanicienn’avait pas hésité. Il avait légèrement laissé tomber les feux etfermé à demi le tube d’adduction de la vapeur.

Au bout de cinq minutes, le train ne marchaitplus qu’à soixante kilomètres à l’heure, puis la vitesse diminuagraduellement et finalement le train stoppa, dans un endroitcomplètement désert, en pleine campagne.

Les voyageurs, mécontents, étaient descendusdes wagons. Dixler surtout, était furieux.

– On n’a pas idée de cela,hurla-t-il ; à quelle heure arriverons-nous àOceanside ?

– Je n’en sais rien, monsieur, dit lechauffeur, que tout ce qui précède avait fortement intrigué, maisje crois qu’il y a une avarie aux tiroirs ; M. Storm esten train de les examiner.

– George Storm est ici, s’écria Dixler,alors je m’explique l’avarie. Je rencontrerai donc toujours cemisérable sur mon chemin !

George qui faisait mine d’arranger un destiroirs, se releva, le visage empourpré de colère. Les deux hommesse trouvèrent face à face, au milieu d’un cercle formé par lesvoyageurs et les employés du train.

– Il n’y avait aucune raison valabled’arrêter, déclara Dixler d’un ton rogue et je vais demander audirecteur de la compagnie, une sanction sévère contre le mécanicienet le chauffeur.

– C’est que, dit ce dernier pour sejustifier, M. Storm a reçu un message.

– Quel message ?

Le chauffeur tira de sa poche le papier surlequel se trouvait le télégramme de Helen et le présenta àDixler.

Dixler blêmit de rage en constatant qu’unefois de plus Helen avait trouvé moyen d’entraver ses projets.

À ce moment, il n’était plus maître de lui. Lapensée de voir s’écrouler de nouveau ses projets le transportait defureur.

Il se rua sur George Storm et le saisit à lagorge. Mais le mécanicien, d’une stature athlétique, était detaille à se défendre et l’Allemand « encaissa » quelquesdirects vigoureusement appliqués.

Enfin, on les sépara.

Mais à la demande de Dixler, le chef de trainordonna à George de quitter la locomotive. On n’était plus qu’àquelques milles d’Oceanside et le chauffeur, stimulé d’ailleurs parla promesse d’une forte gratification, se faisait fort d’atteindrela gare à l’heure fixée par les horaires.

La locomotive bourrée de charbon reprit sacourse folle à travers les ravins et les vallons.

Dixler triomphait à son tour.

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