L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE V – Une catastropheimminente

La brillante réception, dont Cedar Grovevenait d’être le théâtre, était maintenant complètementterminée.

Déjà une bonne moitié des invités avaitregagné les luxueuses autos qui devaient les ramener à leurscottages ou à leurs usines.

Pour les autres, un train spécial avait étépréparé et chauffait en ce moment en gare de la petite stationsituée sur la bordure même du parc.

Dissimulant le chagrin et l’humiliationqu’elle ressentait, miss Helen se montra très gracieuse pour tousses invités, elle les reconduisit jusqu’au quai même de la gare,les vit s’embarquer dans les wagons aménagés spécialement pour eux,et leur serra une dernière fois la main en les remerciant d’avoiraccepté son invitation.

Elle serra aussi la main de George Storm ens’efforçant de prendre un air de cordialité indifférente :

– Au revoir, monsieur George Storm, nerestez pas trop longtemps sans nous donner de vos nouvelles.

– Au revoir, miss Helen…

Tous deux avaient le cœur gros, mais unemauvaise fierté les empêchait de revenir en arrière.

Dixler, qui les observait et à qui rienn’échappait, n’avait pas tardé à s’apercevoir que miss Helenn’avait plus au doigt son anneau de fiançailles, et il s’enréjouissait avec une joie maligne.

– J’ai reçu une belle volée, songeait-il,mais le plus attrapé c’est encore le mécanicien, il vient deperdre, grâce à moi, une belle fortune et une jolie fiancée.

– Vous ne prenez pas le train, monsieurDixler, demanda Helen au moment où les employés commençaient àrefermer les portières.

Comme on le verra plus tard, l’Allemand avaitdes raisons particulières pour ne pas employer ce moyen delocomotion.

– Non, miss Helen, répondit-il, je suisvenu dans mon auto. D’ailleurs, je ne suis pas à une minute près etje serai charmé de vous tenir compagnie encore quelque temps.

– Ce sera avec grand plaisir, répondit lajeune fille avec un enjouement un peu affecté !

À ce moment, le sifflet de la locomotive sefit entendre, le train s’ébranla et, suivant quelque temps la voiequi côtoyait le parc de Cedar Grove, il franchit bientôt lesaiguillages qui le séparaient de la ligne principale où, accélérantsa vitesse, il roula bientôt à raison de cent dix kilomètres àl’heure.

Dixler était demeuré seul avec miss Helen.

L’Allemand se disait que l’occasion étaitpeut-être propice pour faire une déclaration à la jeune fille enmettant à profit le mécontentement de celle-ci contre sonex-fiancé.

On parla quelque temps de chosesindifférentes, puis, brusquement, Dixler en vint à la questionqu’il avait le plus à cœur.

– J’espère, dit-il, que le pénibleincident de tantôt n’a pas été une cause de dissension entre vouset M. Storm, je serais désolé d’avoir été la cause d’unebrouille, quoique, véritablement, il n’y ait pas eu de mafaute !…

Miss Helen était la franchise même.

– J’aime mieux vous dire tout de suite,déclara-t-elle, que tout est rompu entre moi et M. Storm.

– Serait-il possible ? s’écriaDixler avec une feinte surprise.

– C’est comme cela !…

« Pour des raisons qu’il est inutile queje vous explique, nous avons d’un commun accord, M. Storm etmoi, renoncé à contracter une union dont l’idée nous avait d’abordsouri.

– Je vais peut-être vous blesser, repritDixler, mais je ne puis que vous féliciter de la décision que vousavez prise.

– Pourquoi cela ?

– Je vous répéterai ce que je vous disaistantôt : M. George Storm a de grandes qualités, mais cen’est pas un homme de votre monde, vous qui pourriez trouver de sibeaux partis.

– Je ne veux plus me marier ! Jesuis habituée à l’indépendance et je suis, par tempérament et parcaractère, trop volontaire, trop personnelle pour soumettre à quique ce soit la directive de ma vie.

– Il s’agirait seulement de découvrir unmari qui vous comprenne. Miss Helen ne put s’empêcher de sourire,car elle voyait clairement où Dixler voulait en venir.

– Il n’y en a probablement pas,répondit-elle.

– Je suis bien sûr du contraire.Ah ! si vous me laissiez dire tout le fond de ma pensée.

– Parlez, je vous écoute !

– Rappelez-vous ce que je vous disaisautrefois ; si à ce moment vous m’aviez écouté, vous ne seriezpas une simple millionnaire, vous seriez milliardaire, voustiendriez votre place dans les fastueuses réunions des Cinq Cents,vous passeriez l’hiver à Paris ou à Rome, vous posséderiez despalais et des yachts d’une magnificence royale ; avec votrebeauté et votre intelligence, vous seriez la reine d’un monded’élégance et de luxe ; ne serait-ce pas là une existence plusintéressante que celle que vous menez dans une ville perdue au fonddes déserts du Far West.

Miss Helen était redevenue grave.

– Oui, répondit-elle, mais pour atteindreà ce résultat grandiose, il aurait fallu devenirMme Dixler.

– Sans doute ! ne vous l’ai-je pasproposé ?

– Oui, et j’ai refusé.

– Vous avez eu tort ! En fusionnantensemble les deux compagnies du Central Trust et du Colorado Coast,nous arrivions à une puissance formidable. L’Amérique était ànous.

Miss Helen demeura un moment silencieuse.Petit à petit elle se ressaisissait.

Certes, elle s’en rendait compte, il y avaitdans les affirmations de l’Allemand une part de vérité, mais ellene pouvait oublier que si Dixler avait véritablement le génie desaffaires, c’était un génie subversif, ne reculant devant rien quandil s’agissait d’arriver au succès.

L’Allemand ne possédait à aucun degré lafranchise et la loyauté du pauvre George qu’elle venait d’évinceravec tant de désinvolture.

– Monsieur Dixler, répondit-elle, votreproposition me flatte infiniment, j’en comprends tous lesavantages, mais comme je vous l’ai dit tout à l’heure, je préfèredemeurer indépendante.

L’Allemand n’insista pas.

Il comprenait qu’il eût été maladroit de lefaire, mais il avait fait ce qu’il appelait de la bonnebesogne.

Il était persuadé que miss Helen était déjà enpartie revenue de ses préventions contre lui, et il comptait surl’avenir pour faire le reste.

D’ailleurs, l’Allemand avait une autrepréoccupation.

De temps à autre, en ayant soin de n’être pasaperçu de la jeune fille, il consultait son chronomètre avecimpatience.

On eût dit qu’il attendait quelque événementtrop lent à se produire.

– Il va bientôt être temps que je meretire, déclara-t-il.

– Voulez-vous auparavant accepter unetasse de thé ?…

– Ce sera avec grand plaisir !

Tous deux se dirigèrent vers la maison, maisau moment où ils allaient y pénétrer, un des serviteurs de missHelen accourut au-devant d’eux.

– Qu’y a-t-il donc ? demanda lajeune fille.

– Je ne sais, mais le chef de la stationdésire vous parler à l’instant même… Il a dit qu’il s’agissaitd’une chose urgente et importante.

Dixler remit son chronomètre dans sa poche enréprimant un sourire de satisfaction. L’événement qu’il attendaitavec impatience venait-il donc de se produire ?

– Courons vite ! s’écria miss Helen,vous m’accompagnerez, monsieur Dixler ?

– Certainement.

– Je crains qu’il ne se soit produitquelque accident sur l’une de nos lignes.

– Il n’y a aucune raison de lecroire ; il s’agit peut-être tout bonnement d’une de voscharmantes invitées qui a perdu un bracelet ou bien oublié dans leparc son ombrelle à manche d’ivoire.

– C’est assez probable, vous merassurez !

Tout en parlant, ils avaient traversé le parcet étaient arrivés à la maisonnette vitrée où se tenait enpermanence le surveillant de la station à côté de son appareiltélégraphique.

Le surveillant, un tout jeune homme, semblaiten proie à une violente émotion, il paraissait avoir à peine laforce de parler.

– Eh bien ? demanda miss Helen avecimpatience.

– Je viens de recevoir une dépêche,bégaya le surveillant d’une voix mal assurée, le train 1905.

– Le train spécial ?

– Oui, celui dans lequel se trouvent vosinvités, il va entrer en collision avec le train numéro 8, lerapide de Frisco à la station du Palmier.

Miss Helen arrêta sur Dixler un étrangeregard : la station du Palmier était commune aux deuxsociétés, la Colorado Coast, et la Central Trust ; il fallaitque les employés de Dixler n’eussent pas pris les mesuresnécessaires pour que la catastrophe ait été rendue possible.

– Le train 1905 n’a donc pas été signalé,demanda-t-elle d’une voix brève.

– Il y a certainement de la part de mesagents, répondit l’Allemand avec embarras, une négligenceimpardonnable, mais je sévirai, je vous le promets.

– Il vaudrait mieux essayer d’empêcher lacatastrophe.

– Essayons ! fit Dixler qui savaitparfaitement à quoi s’en tenir.

– Maintenant, c’est impossible !déclara le surveillant. Dans tout le parcours, il n’y a que desstations sans importance, quelques-unes mêmes ne sont pas pourvuesd’appareils télégraphiques ; les lignes sont inachevées dansbeaucoup d’endroits ; à moins d’un véritable miracle, uneépouvantable catastrophe est inévitable.

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