L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE IV – L’échéance

Le train filait à toute vapeur.

Après avoir traversé toute la partie pierreusequi s’étend d’Oceanside à Clifton, l’express traversait maintenantune région d’une incomparable beauté. Les grandes prairies étaientcoupées par des bouquets de bois admirables, des chênes d’unehauteur fantastique semblaient vouloir percer le ciel bleu de leurscimes vertes. Au loin, dans des vapeurs barrant l’horizon, lescrêtes déchiquetées des montagnes Rocheuses se découpaient.

Assise à la petite table du wagon-restaurant,Helen admirait le paysage.

Jamais elle ne s’était sentie de meilleurehumeur.

Tout d’ailleurs l’invitait à la joie.

Le temps était superbe, la vue magnifique. Leshuîtres de Sixley étaient des merveilles, le cuissot de daim exquiset cuit à point, des fruits merveilleux, et comme on n’en trouvequ’en Californie, s’empilaient dans une corbeille de cristal,mélangeant leurs parfums et leurs couleurs et bientôt le champagne,glacé à point et de bonne marque, panachait les verres de sa moussedorée.

– À votre santé, vieux Ham, fit Helen, enlevant sa coupe.

Et elle but à petits coups son champagne, lesavourant en fermant les yeux.

– Mon Dieu ! que c’est bon !murmura-t-elle. Et elle ajouta avec un éclat de rire :

– Quel malheur que mon pauvre George nepartage pas notre déjeuner, lui qui est si gourmand.

À ce moment, la table qui était à côté de laleur et qui se trouvait encore vide, fut occupée par deuxvoyageurs. C’étaient Ward et Senks. Ward portait une valise à lamain. Ils s’installèrent, en apparence, indifférents.

Senks, qui faisait face à Helen, ne quittaitpas des yeux la valise jaune de Hamilton. Elle était placée le longde la table. Ward, sur une brève indication de Senks, plaça lasienne exactement dans la même position.

– Pardon, monsieur Ward, dit Senks, etmultipliant les formules de politesse, auriez-vous l’extrêmeobligeance de me donner votre place ?

– Mais volontiers, monsieur Senks.

– J’ai la fâcheuse infirmité de nepouvoir voyager dans le sens contraire à la marche du train. Celane vous gêne pas ?

– Mais pas du tout.

Les deux bandits échangèrent leur place.

Senks se trouvait maintenant dos à dos avecHamilton.

Personne dans le wagon ne fit attention à leurpetit manège.

Les deux gredins commencèrent à manger, enparlant de la pluie et du beau temps, mais quand ils furent arrivésau dessert, Senks fit signe à Ward qui se mit à parler très fort ettrès haut.

Tandis que le domestique de Dixler tenaitainsi le dé de la conversation, Senks agissait.

Ayant glissé sa jambe en arrière, il avait,avec son pied et sans même effleurer même la jambe de Hamilton quiétait toute proche, accroché la poignée de la valise auxbank-notes. Il l’attira tout doucement à côté de sa table.

Sous prétexte de ramasser sa serviette, Ward,qui avait suivi la manœuvre, fit le changement des deux sacs. Lesac de Hamilton fut placé à l’endroit qu’occupait la valise jauneachetée par les gredins à Clifton, tandis que celle-ci, aprèss’être un instant balancée au bout du pied agile de Senks, allaits’installer à côté de Hamilton.

Le coup fait, les deux gredins se levèrentnonchalamment et quittèrent le wagon-restaurant.

Senks avait à la main la valise aux six centmille dollars.

Le coup exécuté avec une audace incroyableavait admirablement réussi.

Hamilton et Helen prolongeaient plus longtempsleur repas.

Tandis que le directeur de la Central Trustdégustait une tasse de thé, Helen, la nouvelle millionnaire, commeelle s’appelait elle-même, faisait de beaux projets d’avenir.

Hamilton l’écoutait en souriant.

Tout à coup des cris épouvantables, desvociférations furieuses interrompirent leur douce causerie.

Un gros homme, tenant à la cravate leconducteur du train et le secouant, répétait avec fureur :

– Je suis Blommberry de Chicago, vingtmillions d’affaires, trois usines de salaisons de porcs frais, etje n’admets pas des choses pareilles.

Le malheureux conducteur voulait répliquer,mais, à demi étranglé, la chose lui était presque impossible.

Enfin, il parvint à se dégager.

– Mais, monsieur, vous avez déjà faitvotre déposition à l’arrêt de Clifton et on a immédiatementtéléphoné à Las Vegas, on ne peut pas faire plus.

Le gros homme reprit, indigné :

– Volé, j’ai été volé de monportefeuille, tandis que je dormais… moi, Blommberry, de Chicago,vingt millions d’affaires…

– Trois usines, salaisons et porcs frais,continua Helen, qui se tenait à quatre pour ne pas éclater derire.

M. Blommberry lui jeta un regard furieux,puis, poussant le contrôleur devant lui, il alla remplir de seslamentations une autre partie du convoi.

*

**

Au poste de police de Las Vegas, on avaittransmis la plainte de Blommberry. M. Dumbar, le chef de lapolice avait donné l’ordre à deux agents, Lambkin et Suskill, de serendre à la gare à l’arrivée du train d’Oceanside et de cueillirtous les individus de mine suspecte.

Lambkin et Suskill étaient de bonsphysionomistes, sans doute, car après avoir laissé passer laplupart des voyageurs, ils furent désagréablement surpris par laphysionomie de Ward et de Senks, et sans hésiter, leur mirent lamain au collet.

Les bandits voulurent résister, mais, aprèsune courte lutte, force resta à la loi.

Conduits au bureau du commissaire, les deuxgredins protestèrent et, quand ils connurent la plainte deM. Blommberry, réclamèrent hautement une confrontation avec cedigne gentleman.

– Bon, bon, dit le commissaire, qui étaitaccoutumé à de pareilles scènes, nous éclaircirons tout cela plustard. Pour le moment, bouclez-moi ces deux messieurs et passez-moicette valise, que je vais garder dans mon bureau.

Ward et Senks échangèrent un regard désespéré.Avoir échoué si près du port !

Une chose les consolait.

Les ordres de Dixler étaient exécutés.

L’argent de Hamilton était bien perdu pourlui, au moins pour vingt-quatre heures, et c’était tout ce qu’ilfallait.

Hamilton s’était rendu directement chezDixler.

– Vous voyez que je suis exact, dit enentrant le directeur de la Central Trust.

– Et vous avez raison, fit Dixler enl’introduisant dans son bureau. Car si vous n’aviez pas payéaujourd’hui, la mine me revenait.

– Que voulez-vous dire ?

– Avez-vous donc oublié les clauses denotre contrat.

– C’est ma foi vrai, répondit Hamilton,dont le front se rembrunit, mais soyez sans crainte, Dixler,l’affaire est trop belle pour que je la lâche… Préparez votre reçu,mon cher ami.

Tandis que Dixler, un peu inquiet del’assurance de son visiteur, libellait son reçu, Hamilton ouvraitsa valise en cuir jaune.

Il plongea la main dans le sac… puis regardavivement à l’intérieur… rien… rien… le sac était vide…

– Ah çà ! mais je suis fou…

Et le malheureux homme fouillaitinlassablement les flancs vides de sa valise. Dixler, du bout desdoigts, balançait nonchalamment le reçu préparé.

– Volé, je suis volé ! rugit enfinHamilton, c’est une épouvantable machination.

– J’en suis désolé pour vous, affirmaDixler, qui déchirait maintenant le reçu.

– Enfin, plaie d’argent n’est pasmortelle, je vous apporterai la somme demain matin.

– Ah ! non…

– Comment cela.

– Les termes de notre contrat sontformels. Si vous ne m’avez pas payé aujourd’hui, 15 octobre, avantle coucher du soleil, la mine redevient ma propriété.

Hamilton bondit sur Dixler et le prit à lagorge.

– Misérable ! dit-il, c’est vous quiavez tout machiné. Dixler se dégagea facilement en haussant lesépaules.

– Vous êtes fou, vieux Ham, dit-iltranquillement, à qui ferez-vous croire ces histoires debrigands ?

Hamilton réfléchissait.

Il sentait qu’il était perdu. Il ne pourraitrien par la violence, l’essentiel était de gagner du temps.

– Ne m’en voulez pas, Dixler, je suis unpeu nerveux. Cette histoire me contrarie énormément. Mais je nepense pas que vous allez m’étrangler parce que je suis victime d’unaccident que nul ne pouvait prévoir.

– Les affaires sont les affaires, ditsentencieusement Dixler.

– Ce qui veut dire…

– Ce qui veut dire que je m’en tiens auxtermes de notre traité. Encore une fois, Hamilton eut une envieféroce d’étrangler le terrible Allemand. Il sentait bien qu’ilétait joué…

Soudain il se dressa et demanda brusquement àl’ancien directeur de la Colorado.

– Vous contenterez-vous comme cautionjusqu’à demain de valeurs représentant un million de dollars.

– Assurément.

– Alors, attendez.

Il courut au téléphone, décrocha le récepteuret demanda :

– Donnez-moi l’hôtel Knox tout desuite.

*

**

Après avoir déposé les valeurs dans lecoffre-fort de la banque, quelques minutes avant la fermeture – caron ne faisait plus de retraits ou de dépôts dans l’après-midi –,Helen s’était rendue à la prison où elle avait trouvé Spike sur lepoint de quitter l’établissement.

La joie du pauvre garçon en voyant Helen futimmense, et il pensa devenir fou de bonheur quand la jeune fillelui annonça qu’il allait avoir une bonne place.

Après avoir remercié le directeur, Spikesuivit sa bienfaitrice qui l’emmena à l’hôtel.

Ils étaient arrivés à peine depuis cinqminutes quand la sonnerie du téléphone retentit.

Helen prit l’instrument et écouta.

– Hôtel Knox ?…

– Oui, monsieur.

– Miss Holmes…

– Elle-même… ah ! mon Dieu, qu’ya-t-il mon parrain ? Vous paraissez tout ému.

Helen venait de reconnaître la voix de sontuteur. Le dialogue s’engagea, angoissé, tragique.

En quelques mots, Hamilton racontait ce quivenait de lui arriver et suppliait Helen de courir chercher lesvaleurs laissées en banque et de les lui apporter immédiatementchez Dixler.

Spike n’avait entendu qu’une partie de lacommunication. Helen le mit rapidement au courant de tout.

– Vite, vite, courons, mon bon Spike.

En quelques instants la jeune fille etl’ancien forçat arrivèrent à la banque. Mais là ils se heurtèrent àun refus formel. Impossible d’ouvrir avant le lendemain.

Helen, au désespoir, ne savait plus à quelsaint se vouer. Spike réfléchissait.

– Mademoiselle, dit-il tout à coup, enentrant tout à l’heure, j’ai remarqué un petit escalier qui conduitaux caves. Nous pourrions faire un petit tour par là et si laserrure de la grille n’est pas trop difficile… je crois que jepourrais vous donner l’accès du coffre-fort.

Le brave garçon semblait très gêné enproposant ce moyen qui rappelait un peu trop brutalement sesanciennes occupations.

Mais ce n’était pas le moment d’avoir desscrupules. Sans encombre, la jeune fille et Spike arrivèrent devantla grille.

Là, après des efforts infructueux, il dutemprunter l’épingle à chapeau de Helen. Alors le cadenas céda.

Mais au moment où la jeune fille, folle dejoie, mettait la clé dans le trou de la serrure, des mains brutaless’abattirent sur elle et elle se sentit rudement appréhendée.

C’était le veilleur que nos amis avaientoublié et qui, entendant du bruit, avait prévenu les policemen.

Accablée de honte et de chagrin, Helen futconduite au poste de police en compagnie de Spike, qui se débattaitcomme un beau diable.

En vain la jeune fille expliquait-elle sonhistoire. Personne ne voulait la croire.

À la fin, elle demanda :

– Puis-je téléphoner à montuteur ?

– Oui, dit le commissaire de police, maisen ma présence.

Helen demanda aussitôt la communication chezDixler et raconta à Hamilton ce qui venait de lui arriver.Celui-ci, affolé, répondit qu’il accourait.

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