L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE III – L’insulte

Une chose que Dixler ne pouvait soupçonner,c’est que, pendant qu’il espionnait Helen et George, il étaitlui-même surveillé par Spike.

L’ancien forçat, toujours aux aguets, montaitla garde autour de miss Helen, comme un chien dévoué ; ilavait entendu le bruit de la grille qui s’ouvrait, il avait vuDixler se faufiler sournoisement dans les allées du parc, ill’avait suivi.

Il avait pu constater combien étaient grandesla fureur et la jalousie de l’espion allemand, et le geste demenace que Dixler avait adressé aux fiancés, avant de se retirer,n’avait pas échappé à l’honnête forçat.

Helen et George étaient encore tout entiers àleur tendre conversation, lorsque Spike apparut tout à coup à leursyeux.

– Qu’y a-t-il donc, demanda George Stormun peu mécontent d’être dérangé dans son entretien avec missHelen.

– Vous savez, mon brave Spike, dit lajeune fille radieuse, que maintenant je suis fiancée.

Et d’un geste enfantin, elle fit étinceler ausoleil la jolie bague dont le chaton représentait unemarguerite.

– Tous mes compliments, miss Helen,s’écria Spike, mais il est de mon devoir de vous prévenir que toutà l’heure, caché derrière un tronc d’arbre, Dixler vous épiait.

« Il était blême de rage et, en s’enallant, il vous a montré le poing d’un air menaçant.

Miss Helen haussa les épaules.

– Je n’ai pas peur de Dixler,dit-elle.

– Et s’il se mêle de ce qui ne le regardepas, ajouta George, je lui démolirai la figure.

Et George avait pris l’attitude classique duboxeur en exhibant des poings qui eussent fait honneur à unchampion. Miss Helen était brusquement devenue pensive.

– Cher George, fit-elle à demi-voix, jevous en prie, je vous en conjure, évitez toute espèce de querelleavec Dixler. Aujourd’hui, il est mon invité ; bien que jesache à quoi m’en tenir sur son compte, je tiens à ce que tous meshôtes, même ceux qui, comme vous, ont eu beaucoup à s’en plaindre,fassent preuve envers lui de la plus grande correction.

– C’est entendu, chère Helen, je supposed’ailleurs que Dixler sera assez intelligent pour se conduire engentleman.

– Oh ! pour cela, j’en suissûre.

L’instant d’après, l’Allemand, la minesouriante, l’air empressé, s’avançait vers miss Helen et versGeorge, et les saluait avec toute l’amabilité dont il étaitcapable.

Très maître de lui-même, il avait su sedominer et son visage ne portait plus aucune trace dumécontentement et de la rage qu’il avait dans le cœur.

– Je vous laisse, dit tout à coup missHelen.

– Déjà ? fit Dixler.

– Oui, j’aperçois, là-bas, une partie demes invités, je vais aller au devant d’eux. Aujourd’hui, je nem’appartiens plus, je suis maîtresse de maison et je me dois à meshôtes !

Miss Helen avait déjà disparu.

George Storm se trouvait maintenant seul avecDixler dans ce coin désert du parc.

Pendant quelques minutes, ils demeurèrentsilencieux, ils éprouvaient un réel embarras ; George savaitcombien Dixler le détestait, et l’Allemand se savait trop bienconnu de son adversaire pour essayer de lui en imposer, mais iln’eût pas manqué de le faire en d’autre circonstance.

Ce fut Dixler qui rompit la glace.

– J’ai appris, fit-il avec un sourireplein de méchanceté, que vous alliez vous fiancer avec miss HelenHolmes, qu’y a-t-il de vrai dans cette rumeur ?

– Parfaitement exact, répondit Georgeavec froideur. Je puis même vous dire que nos fiançailles sont unfait accompli.

– Tous mes compliments ! vous faiteslà une excellente affaire.

– Une affaire ? s’écria George dontle visage s’était empourpré de colère, j’aimerais bien que vousvous serviez d’un autre mot en parlant de mon union prochaine aveccette jeune fille que j’aime et que je respecte du plus profond demon cœur.

– Le mot « affaire » me sembleau contraire parfaitement choisi, riposta l’Allemand avec un flegmeplein d’insolence. Vous êtes pauvre, miss Helen est une richehéritière ; par conséquent, tout le monde dira comme je lepense moi-même que vous avez fait une excellente affaire.

George Storm se contenait à grand-peine en serappelant les recommandations de miss Helen.

– Laissons ce sujet, s’il vous plaît,dit-il, il faut croire que miss Helen a trouvé elle aussi l’affaireavantageuse, comme vous le dites…

– Je ne dis pas le contraire, ditl’Allemand en hochant la tête d’un air goguenard.

– Que prétendez-vous insinuer ?grommela George en serrant les poings.

– Oh ! fit l’Allemand d’un airdédaigneux, rien que personne ne connaisse parfaitement.

– Mais encore ?

– Rien !

– Maintenant, monsieur Dixler, il fautque vous parliez. Je sais qu’il est tout à fait dans la manière deceux de votre race de calomnier les gens à mots couverts et sansalléguer contre eux aucun fait précis, j’ai le droit de vousdemander ce que signifiait votre allusion de tout à l’heure.

Dixler prit son air le plus innocent pourdécocher cette phrase perfide.

– Miss Helen a passé tant de semaines, enplein désert, dans les camps de chercheurs d’or et dans leschantiers des railways en construction, loin de toutesurveillance, dans l’inévitable promiscuité des aventuriers et desprospecteurs, qu’elle eût peut-être trouvé difficilement à semarier si elle n’avait mis la main sur un brave garçon commevous.

De rouge qu’il était, George était devenupâle. De ses rudes mains, il avait empoigné Dixler à la gorge et lesecouait brutalement.

– Je vous défends, rugit-il d’une voixétranglée, de vous exprimer ainsi sur le compte de ma fiancée.

Dixler s’était dégagé brusquement.

– Je m’exprimerai comme il meplaira ! déclara-t-il avec arrogance ; d’ailleurs, je nesuis pas le seul de mon opinion…

Cette fois c’en était trop.

Le poing de George Storm s’était abattu surson visage et y avait laissé son empreinte.

Dixler voulut riposter, il n’était pas detaille.

Comme nous avons eu l’occasion de le vérifierà maintes reprises, le mécanicien était d’une vigueurcolossale.

Pendant que son adversaire éperdu cherchaitvainement son browning, George faisait pleuvoir sur lui une grêlede coups appliqués suivant toutes les règles de l’art de laboxe.

Les swings et les directs pleuvaient sur lacarcasse et sur le visage de l’Allemand avec une précisionadmirable.

– Tiens, prends ça, bandit, calomniateur,criait le mécanicien en ponctuant chaque coup d’une injure, et ça,vilain boche !… et celui-là encore, espèce d’espion !…Attrape ! encaisse !…

Dixler, littéralement moulu de coups, finitpar rouler à terre. Alors, George Storm lui mit le genou sur lapoitrine et lui serra le cou énergiquement.

Il avait bonne envie d’étrangler son ennemi,mais il eut honte d’abuser de sa victoire.

– Je devrais te tordre le cou, luidit-il, ce serait une bonne action que de débarrasser la sierrad’un bandit tel que toi, mais pour cette fois, je te fais grâce dela vie.

Dixler, à demi suffoqué, poussa un profondsoupir.

– Tu viens de recevoir une joliecorrection, continua le mécanicien. Que cela te donne un avant-goûtde ce qui t’attend si jamais j’apprends que tu as mal parlé de mafiancée…

– Je vous promets… je vous jure… bégayal’Allemand qui avait la plus grande hâte d’être sorti des mains deson ennemi.

Cependant Spike, toujours vigilant, avait vude loin cette scène rapide, et dans l’idée qu’il fallait à toutprix empêcher un malheur, il était allé aussitôt prévenirl’ingénieur Hamilton et miss Helen elle-même qui se hâtad’accourir.

Quelques-uns des invités l’avaient suivie.

– Je vous prie d’excuser cet incident,leur dit-elle très contrariée. Une querelle dont j’ignore le motifa éclaté entre M. Storm et M. Dixler et a dégénéré enpugilat, je vous serais reconnaissante de ne pas ébruiter cettepénible aventure.

Les invités protestèrent tous de leurdiscrétion, enchantés au fond du scandale qu’ils voyaient enperspective.

Une dame Brown, bien connue pour saméchanceté, dit à une de ses voisines, mais assez haut pour êtreentendue de miss Helen :

– Voilà qui donnera une leçon à cetteorgueilleuse héritière, à cette prétendue Héroïne du Colorado…

– Aussi, répliqua l’autre sur le mêmeton, on n’a pas idée de choisir pour époux un simple mécanicien, unvagabond des rues qui boxe les invités de sa fiancée, comme unvulgaire crocheteur.

– Ça lui apprendra !

– C’est bien fait !

– Voyez ce pauvre M. Dixler, sonbeau costume de tennis est plein de poussière, et il a la figure enmarmelade.

– Décidément, il faut faire bienattention aux gens que l’on reçoit chez soi !…

Pendant que les deux commères s’en donnaient àcœur joie, Spike et l’ingénieur Hamilton avaient séparé les deuxcombattants.

Dixler, qui flageolait encore sur ses jambes,s’était adossé au tronc d’un platane et reprenait haleinepéniblement ; l’ingénieur lui bassina les tempes avec de l’eaufraîche, pendant que Spike, à quelques pas de là, rendait le mêmeservice à George Storm, qui, dans la bagarre, avait reçu quelqueshorions.

– Je vous prie d’agréer toutes mesexcuses et celles de miss Helen, dit l’ingénieur à Dixler, je necomprends rien à la conduite de George Storm.

– Ni moi non plus, répliqua l’Allemandavec haine, il a failli m’étrangler, je sais d’ailleurs qu’il m’atoujours détesté.

– Nous tâcherons de vous faire oubliercet incident.

– Moi, je ne l’oublierai jamais, déclaral’Allemand avec un geste de menace, et je vous donne ma parole queje tirerai de ce brutal la vengeance la plus éclatante.

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