L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE VI – La loi de Lynch

Pendant que le vieux chasseur Fred Corbellsuivait en amateur les péripéties de l’émeute, le feu qui couvaitsous les broussailles s’était lentement rapproché de la cartoucheperdue. C’était cette cartouche qui venait d’éclater et dont laballe était venue frapper l’espion allemand.

C’était là un de ces hasards les plusfréquents, et moins extraordinaires que l’on ne pense, mais quiaurait pu soupçonner la vérité ?

Au moment où Frick avait été frappé, Spikevenait précisément de tirer, pour se défendre, le revolver qu’ilportait toujours sur lui.

– Ce n’est pas moi ! hurlait Spikeen se débattant au milieu d’une foule grondante et surexcitée, etivre de colère et de vengeance.

– Tu as menti ! s’écria un ouvrierd’une taille gigantesque en arrachant des mains de Spike lerevolver qu’il n’avait pas lâché. Voyez, camarades, il manque unedes six cartouches du barillet.

– À mort, l’assassin ! rugit lafoule.

Spike devint blême et sentit tout son couragel’abandonner.

Le fait était exact, une cartouche manquait àson arme, et il se souvint alors que, pendant le cambriolage dubureau, il avait tiré en l’air pour effrayer le gardien et seménager un moyen de fuite, mais il ne pouvait raconter cela à lacohue hurlante qui l’entourait.

Un remous de foule avait séparé Helen etGeorge du malheureux Spike que vingt bras robustes avaient presqueempoigné et sur lequel pleuvait une grêle de coups de poings.

– La loi de Lynch ! criait Otto,dont la voix dominait un instant le tumulte ; il faut luiappliquer la loi de Lynch, pas besoin de juges et de constablespour cela. Celui qui a tué sera exécuté immédiatement.

– Oui ! répéta la foule d’une seulevoix ! La loi de Lynch ! à mort l’assassin !

Il se produisit alors une diversion.

Une dizaine de solides policemen, que Georgeétait allé chercher, se frayaient un chemin dans la bagarre à coupsde casse-tête à boules de plomb.

Surpris par cette attaque imprévue, lesbourreaux de Spike fuyaient dans toutes les directions. En un clind’œil, les policemen eurent arraché l’ex-forçat à ses ennemis.

Ils le placèrent au milieu d’eux, et lepoussant en même temps qu’ils le soutenaient, ils se mirent endevoir de l’emmener.

Spike, les vêtements en lambeaux, le visagebarbouillé de sang, se laissait entraîner comme une masseinerte.

– Où me conduisez-vous, balbutia-t-ild’une voix faible comme un souffle. Je suis innocent.

– C’est possible, lui répondit un despolicemen, on verra cela plus tard. Pour le moment, il s’agit degagner le poste de police le plus proche, et cela dans votreintérêt. Ces gaillards-là vous en veulent avec leur fameuse loi deLynch, ils auraient vite fait de vous pendre au premier réverbèreou de vous faire rôtir sur des fagots enduits de pétrole.

Et les policemen, qui, presque tous, avaienteu l’occasion d’assister à des scènes du même genre, entraînaientSpike aussi rapidement qu’ils le pouvaient.

Cependant la foule, un instant décontenancéepar la soudaineté de l’attaque, s’était promptementressaisie ; furieuse de se voir arracher sa proie, ellerevenait à la charge plus menaçante et plus terriblequ’auparavant.

– La loi de Lynch, hurlaient les voixfurieuses.

La clameur de la foule devenait assourdissantecomme les hurlements du vent dans la tempête. Une furieuse vague defoule déferla entre le petit groupe des policemen. Les matraquesrépondaient aux casse-tête, aux coups de revolver. Les agents nepurent continuer d’avancer que le browning au poing.

– Livrez-nous-le ! criaient les plusféroces des agresseurs. Il faut que la loi de Lynchs’accomplisse ! C’est bien la peine de casser la tête à debraves travailleurs pour sauver la peau d’une pareillecanaille !

Et le refrain de la foule irritée :« la loi de Lynch » s’enflait, grandissait comme unsouffle d’ouragan.

Des pierres, des morceaux de charbon, desprojectiles de toute sorte, commençaient à pleuvoir sur lesdéfenseurs de la loi, dont la situation se faisait de plus en pluscritique.

À un moment donné, la poussée de la multitudedevint irrésistible. Les gens de police furent débordés à droite età gauche, et le cercle des assaillants se referma sur eux.

Spike se vit perdu.

La foule en était arrivée à ce paroxysmed’excitation où rien ne peut plus l’intimider. Ni les boules deplomb des casse-tête, ni les canons des brownings ne l’effrayaientplus.

– Ne m’abandonnez pas. Je vous enconjure ! balbutia Spike. Voyez, nous ne sommes plus qu’àcinquante mètres du poste.

L’ex-forçat ne souhaitait rien tant en cemoment que se trouver en prison, mais il ne semblait pas qu’il eûtbeaucoup de chance d’arriver sain et sauf.

Les policemen demeuraient silencieux ;mais une angoisse se lisait dans leur regard, leur visage étaitbaigné de sueur et trois d’entre eux, déjà, avaient été blessés pardes pierres ou des coups de bâton.

La situation semblait désespérée lorsqu’unevoix vibrante retentit au-dessus des rumeurs de la multitude.

– Courage ! tenez bon, voilà durenfort.

C’était George Storm qui à la tête d’unenouvelle escouade de policemen prenait les assaillants à revers.Les coups de casse-tête et de sandbag,recommencèrent àpleuvoir dru comme grêle.

Cette fois encore, la foule surprise, lâchapied et se déroba. Les protecteurs de Spike profitèrent de cetteaccalmie pour le faire entrer dans le poste, où pour le moment dumoins, ils avaient toutes raisons de se croire en sûreté.

Le bâtiment, dont la porte de chêne, à largesferrures venait de se refermer sur lui, n’avait qu’un étage ;les murs du moins étaient épais et les fenêtres étroites et garniesd’énormes barreaux.

Spike, aussitôt entré, fut conduit dans unecellule où ses plaies furent pansées, un grand verre de whiskyqu’on lui fit avaler, acheva de le réconforter. Il n’entendait plusque lointainement les rumeurs de la foule et il en venait àsupposer que ses ennemis avaient renoncé à leur projet devengeance.

Il ne tarda pas à reconnaître son erreur.Après dix minutes d’un calme relatif, la formidable clameur, de laloi de Lynch, retentit de nouveau, en même temps qu’une série dechocs violents ébranlait la porte de la prison.

Après s’être vu arracher leur victime pour laseconde fois, les lyncheurs revenaient à la charge avec plusd’acharnement que jamais, encore surexcités par les agents deDixler.

– Camarades ! s’écriait Otto, nousne laisserons pas impuni l’assassinat de notre camarade. Alors, lesgens de la Central Trust, parce que la police les protège, auraientle droit de nous fusiller en plein jour, sans que nous fassionsrien pour nous défendre ! Il faut leur montrer que nous sommesde taille à lutter ! La loi de Lynch doit être appliquée danstoute sa rigueur ! À mort l’assassin !… À mort lespolicemen qui le défendent !

– Oui, cria quelqu’un, mais maintenantl’assassin est en sûreté derrière de bonnes murailles !

– Nous ferons le siège de la prison,répliqua l’Allemand, et tenez, ajouta-t-il, en montrant un lourdpoteau qui supportait des plaques indicatrices, voilà de quoi faireun bélier. Si solide que soit la porte, elle ne résistera pas auxchocs d’une pareille poutre.

– Hurrah ! cria la fouleenthousiasmée. Vive la loi de Lynch !

En quelques minutes, sous l’effort de centbras vigoureux, le poteau fut déraciné, étendu horizontalement surle sol. Puis une vingtaine des plus robustes, parmi les lyncheurs,le soulevèrent et commencèrent à ébranler la porte de chocsrépétés.

C’était là le bruit que Spike avait entendu desa cellule. Comme venait de le dire Otto, si la porte était solide,sous un heurt aussi brutal, il arriverait un moment où ellevolerait en éclats.

George et Helen qui, croyant Spike sauvé,s’étaient retirés à l’écart, purent voir de loin le commencement dece siège.

– Il ne faut pourtant pas, s’écria lajeune fille, laisser assassiner Spike que je crois innocent et quinous a rendu et nous rendra de grands services. Commentfaire ?

– Je ne vois qu’un moyen, c’est detélégraphier à M. Hamilton qu’il vienne à notre secours. J’aieu l’occasion, tout à l’heure, de m’entretenir un instant avec ledirecteur de la police de Las Vegas. Il est très inquiet. C’est àpeine si en tout on dispose d’une trentaine d’hommes et c’est toutà fait insuffisant.

– Il serait terrible que les partisans deDixler deviennent maîtres de la ville. Il y a une quantitéd’Allemands parmi eux.

– Je vais télégraphier sans perdre uninstant.

Le mécanicien griffonna quelques lignes surune page de son carnet, puis arrêtant un commissionnaire quipassait, il le chargea de porter son message au bureau deposte.

Dix minutes plus tard, l’ingénieur Hamilton,que nous avions laissé à son chantier, recevait le télégrammesuivant :

Monsieur Hamilton,

Spike est poursuivi par la bande deDixler. Ils donnent l’assaut à la prison où on l’a enfermé etveulent le lyncher. Nous ne sommes pas assez forts pour ledéfendre. Préparez-vous à nous porter secours.

STORM.

L’ingénieur n’hésita pas. Pour que George luitélégraphiât en de pareils termes, il fallait que le péril fûturgent.

Brièvement, il mit ses contremaîtres aucourant. L’ordre de cesser le travail fut donné. Les travailleursau nombre de plus d’une vingtaine s’entassèrent dans les wagonnetsd’un train de matériel qu’on venait de décharger, mais qui étaitencore attelé de sa locomotive. Le mécanicien poussa les feux,ouvrit largement le régulateur, et bientôt le train qui portait lesdéfenseurs de Spike courut à une vitesse de cent kilomètres àl’heure, à travers les plaines désolées qui le séparaient de LasVegas.

– Pourvu, murmura l’ingénieur Hamilton,tout pensif, pourvu que nous n’arrivions pas trop tard !…

Pendant ce temps, les lyncheurs continuaientde faire le siège de la prison, d’autant plus tranquillement que ladisposition des fenêtres ne permettait pas aux policemen de tirersur eux. En outre, le chef de la police avait été obligé dedistraire la majeure partie de ses hommes pour défendre les locauxde la banque d’État qu’assaillait une autre troupe d’aventuriersenvoyés là pour faire diversion à l’instigation de Dixler.

– Hardi ! camarades ! criaitOtto, nous tenons l’assassin ! Entendez-vous craquer lesplanches ? La porte va céder. Vive la loi de Lynch !

– Vive la loi de Lynch ! répétait lafoule enthousiaste.

Sous l’assaut de ces furieux chocs, le boiss’écrasait, se fendillait, les gonds s’arrachaient de leursalvéoles et ce commencement de résultat donnait une nouvelle ardeuraux assaillants.

Enfin, avec un craquement sinistre, la lourdeporte vola en éclats et s’écroula. Avec mille cris de triomphe, lafoule hurlante se rua dans l’intérieur de la prison.

Là, une amère déception attendait leslyncheurs.

La prison était vide.

Spike et les policemen qui le gardaientavaient disparu.

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