L’Héroïne du Colorado

CHAPITRE VII – George Storm boitl’obstacle

Sitôt que la maison de Mick Cassidy eut étémise en place, les hommes de Dixler s’étaient empressés d’enleverles câbles qui l’enserraient, la grue à vapeur avait regagné leshangars de la Colorado Coast Company et maintenant d’autres équipeségalisaient avec soin l’emplacement qu’occupait un quart d’heureauparavant l’habitation de l’Irlandais.

Dixler allait pouvoir continuer sa ligne etdéjà ses hommes apportaient des rails et des traverses etcommençaient à les poser.

Désespéré, ne sachant à quoi se résoudre,George Storm consultait nerveusement sa montre.

L’heure à laquelle il attendait le trainspécial était passée depuis longtemps.

Non seulement George était vaincu, mais il sesentait ridicule.

Les ouvriers réduits à l’inaction formaientdes groupes où l’on ne se gênait guère pour blaguer la déconvenuedu patron. On n’avait d’admiration que pour Dixler, un fier hommetout de même, un malin celui-là !

La physionomie goguenarde du vieil Irlandais,qui triomphait insolemment dans sa baraque, mettait le comble àl’irritation du jeune homme.

C’était la goutte d’eau qui fait déborder levase.

George eût été heureux de trouver quelqu’unsur qui décharger le trop plein de sa colère.

Ce fut Dixler qui se présenta au moment mêmeoù, pour la centième fois peut-être depuis une heure, Georgeconsultait sa montre.

– Vous regardez l’heure, fit l’Allemandd’un ton provocateur. Je sais pourquoi vous attendez le trainspécial qui doit amener ici les magistrats qui doivent me mettre àla raison.

– Vous êtes bien renseigné, grommelaGeorge, se contenant à grand-peine.

– Mieux que vous ne le croyez. Jepourrais vous dire, par exemple, que ce fameux train spécial, surl’arrivée duquel vous comptez, n’atteindra les chantiers qu’à uneheure avancée de la soirée, s’il les atteint.

– Je devine, s’écria le jeune homme avecindignation, que vous avez tendu quelque piège à mes amis. Maisquel que soit son retard, le train finira bien par arriver.

– Possible, mais alors la situation serachangée. Ma voie aura franchi la propriété de Cassidy. Le magistratse trouvera devant un fait accompli.

« On ne démolit pas une ligne de cheminde fer sans jugement, il faudra plaider.

– Nous plaiderons.

– Oui, mais pendant ce temps les jourspassent ; ma ligne avancera toujours, tandis que la vôtrerestera au même point.

George Storm était d’autant plus furieux qu’ilsentait une certaine apparence de vérité dans les paroles del’Allemand.

Puis le fait de voir son adversaire si bienrenseigné lui donnait beaucoup à penser. Il tremblait queM. Hamilton et le juge de paix n’eussent été victimes dequelque guet-apens.

Et le temps passait sans que le train spécialfût signalé.

Dixler, après les paroles insultantes qu’ilvenait de prononcer, s’était retiré avec ses hommes, ne s’occupantmême plus de George qu’il semblait regarder comme une quantiténégligeable.

Cependant le jeune homme, après la surpriseque lui avait causée l’enlèvement de la maison, se ressaisissaitpeu à peu.

Puisque l’Allemand avait employé contre luides moyens extralégaux, pourquoi ne ferait-il pas de même ?Pourquoi n’emploierait-il pas la force pour débarrasser sa voie dela maison qui l’obstruait.

Étant donnée la façon dont l’Allemand avaitagi, le magistrat ne pouvait trouver mauvais que George eût employéles mêmes moyens.

Il fallait à tout prix et sans perdre de tempsdésobstruer la voie ; mais George ne voulait pas que cetteopération, qui lui paraissait de prime abord impossible, fût leprétexte d’une rixe sanglante et coûtât la vie à un seul destravailleurs de l’un ou de l’autre camp.

Là était la difficulté.

Pendant que Dixler croyait son adversairecomplètement démoralisé, celui-ci se creusait la tête, cherchantavec une volonté obstinée la solution du problème.

Il crut l’avoir enfin trouvée.

Sans faire connaître son projet à sesouvriers, il appela un des contremaîtres en qui il avait touteconfiance et lui donna à voix basse des ordres mystérieux.

Puis il se dirigea vers la maison de MickCassidy.

– J’ai à vous dire un mot, monsieur Mick,commença-t-il.

– Vous voulez sans doute, raillal’Irlandais, creuser un tunnel sous ma maison ?

– Trêve de plaisanterie, je vous sommeune dernière fois de m’autoriser à démolir votre maison ?

Le vieux haussa les épaules.

– Vous savez bien que le domicile d’uncitoyen américain est inviolable. Je tirerai des coups de fusil surle premier qui touchera à mon habitation.

– C’est bien, ne vous en prenez qu’à vousde ce qui arrivera.

Et George Storm sans ajouter une parole sedirigea lentement du côté de son chantier. À ce moment un hommed’équipe couru après lui.

– Monsieur Storm, on signale le trainspécial, il sera ici dans dix minutes.

– Je vous remercie, mais, ajouta-t-ilentre ses dents, j’ai quelque chose à faire avant l’arrivée dujuge. Comme dit l’Allemand, je le placerai devant un fait accompli.Mick Cassidy, cependant, était vaguement inquiet, mais il étaittellement sûr de l’inviolabilité de son domicile, qu’il pensa quele mécanicien avait voulu seulement l’intimider.

En cela il se trompait.

Tout à coup un long sifflement se fitentendre.

Une locomotive que pilotait George, et quipoussait devant elle un unique wagon, arrivait à toute vitesse surla voie de la Central Trust.

Il était clair de voir que wagon et locomotiveallaient avant une minute rencontrer la maison de l’Irlandais. À lavitesse dont ils étaient lancés, il paraissait impossible de lesarrêter.

Cependant, à cent mètres de la petitehabitation, la locomotive stoppa, le wagon seul, continuant sacourse, avec la vitesse d’un bolide, vint buter contre lamaison.

Il y eut un craquement sinistre, un nuage depoussière s’éleva.

La baraque vermoulue s’était écroulée comme unchâteau de cartes ; le vieux Mick n’avait eu que le temps desauter, pour ne pas être écrasé sous les décombres.

C’était au tour de George de triompher.

– Maintenant, ordonna-t-il à ses hommesd’une voix tonnante, nous avons bu l’obstacle, déblayez-moirapidement tout cela, il s’agit de réparer le temps perdu.

Les hommes se mirent gaiement au travail.C’était à présent le tour de Dixler d’être blagué ! L’Allemandqu’excitait Mick piteux et navré, était accouru plein decolère.

– Vous avez violé le domicile d’uncitoyen, cria-t-il, il vous en coûtera cher.

– Permettez, répliqua George, avec calme,le cas n’est plus le même. J’ai simplement fait disparaître de monterrain, de ma voie, un obstacle qu’on y avait déposé. J’étais dansmon droit. D’ailleurs, ajouta-t-il, retournant à l’Allemand un deses arguments, nous plaiderons s’il le faut.

Et désignant d’un geste un groupe depersonnages qui s’approchait à grands pas.

– Voici précisément, monsieur le jugeMortimer qui se fera un devoir de trancher la question. Je croismonsieur Dixler que vous êtes bien mal renseigné, quand vous m’avezdit, il y a un instant, que le train spécial n’arriverait pasaujourd’hui.

L’Allemand était blême de rage.

Ce fut bien pis quand M. Jonas leregardant bien en face, lui dit :

– Monsieur Dixler, vos complices ontcommis sur ma personne, dans le train spécial, une tentatived’assassinat dont je vous rends responsable. Je vais me voir forcéde vous arrêter sous l’inculpation de complicité de meurtre.

L’Allemand se vit perdu.

– Je demande à fournir caution,balbutia-t-il, les lèvres blanches. Mais miss Helen s’étaitavancée, elle venait de se concerter avec Hamilton et George.

– Monsieur Mortimer, déclara-t-elle, nousne portons pas plainte contre M. Dixler, et nous vous prionsde faire de même. Un des bandits est déjà tombé sous les balles despolicemen. C’est assez. Que l’on nous rende le terrain de Cassidyqui nous appartient, que nous avons payé, c’est tout ce que nousdemandons.

– Et ma maison, interrompit Mick Cassidyqui s’était avancé au milieu du groupe.

– Vous, dit George, je vous conseille devous taire. Si vous ne voulez pas aller en prison.

L’Irlandais qui, au fond, ne se sentait pas laconscience tranquille, se le tint pour dit et s’éclipsa.M. Jonas réfléchissait.

– Je ne mettrai pas M. Dixler enétat d’arrestation, au moins aujourd’hui, déclara-t-il, mais je nepuis entraver l’action de la justice. Il faut que je sache lavérité sur l’attentat dont les voyageurs du train spécial ont étévictimes. Si la complicité de Dixler est établie, il sera arrêtécomme n’importe quel malfaiteur. La loi doit être égale pourtous.

Il ajouta, au milieu d’un profondsilence :

– Quant à la question du terrain, causede mon voyage, je la regarde comme jugée. La bonne foi deM. Hamilton est évidente, de même que la duplicité de Dixleret de Mick Cassidy me semble parfaitement établie. J’exige qu’avantune heure le terrain indûment occupé par la Colorado Coast Companysoit complètement évacué.

– Mais par où voulez-vous que je fassepasser ma voie ? murmura Dixler avec découragement.

– Peu m’importe, cela ne me regarde pas.L’Allemand s’éloigna les dents serrées, la rage au cœur.

– Vous êtes les maîtres aujourd’hui,murmura-t-il en montrant le poing à miss Helen et à ses amis, mais,d’ici peu, je vous le jure, je prendrai sur vous une éclatanterevanche.

Et il alla donner les ordres nécessaires pourl’enlèvement des rails et des traverses déjà posées surl’emplacement de la maison de Mick.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer