Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 11

 

Vanda prononça d’abord quelques mots confus età peine articulés.

Elle se débattait sans doute avec ces ténèbresmystérieuses qui enveloppent l’âme du somnambule, au moment oùcette âme va s’élancer dans les espaces, franchir d’innombrablesdistances et cependant demeurer en contact avec son corps qui aurapour mission de transmettre ses sensations et ses aventures.

Puis, peu à peu, tandis que les yeuxdemeuraient fermés, le front s’éclaira et parut entouré d’un rayonlumineux, le visage eut une expression calme, les lèvress’entrouvrirent et laissèrent passer une parole nette etparfaitement articulée.

– Je le vois, dit-elle.

– Qui voyez-vous ?

– Lui !

Marmouset fit un signe au magnétiseur quivoulait dire :

– Nous savons parfaitement, Milon et moi,de qui elle veut parler.

Puis, se penchant à l’oreille deM. Hunt :

– Demandez-lui où il est.

– Où le voyez-vous ? fit lemagnétiseur.

Vanda répondit :

– Le ciel est étincelant d’étoiles, etcependant il est comme noir ; la chaleur est brûlante. Le ventqui soulève la mer est un vent de feu. Il souffle de l’ouest. Letropique n’est pas loin.

Les voiles du navire sont tendues sousl’effort du vent. Les vagues s’entr’ouvrent devant lui et lesillage qu’il creuse est rempli d’étincelles phosphorescentes.

Lui, il est sur le banc de quart, calme,hautain, commandant à la mer comme il sait commander auxhommes.

Bon vent, bonne route, tout va bien àbord !

Et Vanda se tut.

– Que voyez-vous encore ? répéta lemagnétiseur.

– Rien, le brouillard, répondit-elle.

Et elle retomba dans une sorte d’atoniesilencieuse.

– La scène va changer sans doute, soufflaM. Hunt à l’oreille de Marmouset. Attendons !

Au bout de quelques minutes, Vanda s’agita denouveau ; mais son visage exprimait une épouvanteindicible :

– Mon Dieu ! mon Dieu !murmurait-elle.

– Que voyez-vous ?

– Le feu est à bord, il a envahi la cale,il menace la soute aux poudres. Mon Dieu !…

Et, d’une voix saccadée, tandis que son visageet tout son corps révélaient une terreur profonde :

– Le feu est à bord… on a mis le canot àla mer… les hommes s’éloignent…

– Et lui ?

– Lui, il reste, il est là, debout…suivant des yeux le canot… Le feu gagne… gagne ! monDieu !…

Vanda fit un bond sur son siège et poussa ungrand cri :

– L’explosion ! dit-elle.

Marmouset, Milon et le magnétiseur lui-même seregardaient avec effroi.

Mais soudain, le visage crispé de Vanda serasséréna, elle cessa de s’agiter convulsivement, un soupir desoulagement s’échappa de sa poitrine :

– Ah ! dit-elle.

– Eh bien ! qu’avez-vous vu ?demanda le magnétiseur.

– Je n’ai pas vu, je vois.

– Que voyez-vous ?

– Lui, il nage, appuyé sur une plancheprovenant, des débris du navire.

Le jour est venu… il nage toujours… tempscalme… une voile paraît à l’horizon… il nage avec ardeur… la voilegrandit… c’est un navire, le canot est mis à la mer…sauvé !…

Milon et Marmouset jetèrent un cri.

Vanda se tut et retomba dans, cetteprostration qui paraissait devoir suivre chacun de ses accès declairvoyance.

– Il faut la réveiller, dit Milon.

– Non, dit Marmouset, pas encore.

– Pourquoi donc ? fit naïvement lecolosse.

– Parce qu’il ne nous suffit pas desavoir que le Maître est sauvé.

– Vous voulez savoir où il est ?

– Oui.

Et Marmouset fit un nouveau signe aumagnétiseur. M. Hunt posa sa main sur le front de Vanda,reprit son accent d’autorité et dit :

– Voyez ! je le veux ! il lefaut !

Vanda s’agita encore ; mais son visages’éclaira de nouveau de ce rayonnement mystérieux qui semblaitprésager un spectacle agréable à sa vue intérieure.

– Il est à cheval, dit-elle. Le chevalest blanc, caparaçonné comme une monture de roi.

Il marche à côté d’un homme vêtu de rouge avecépaulettes d’or.

Devant eux, des hommes également rouges, avecdes coiffures blanches, s’avancent en battant le tambour… J’entendsdes instruments de cuivre.

C’est la musique d’un régiment de cipayes.

Derrière viennent les soldats, les uns blancs,les autres cuivrés…

C’est le lendemain d’une bataille…

Une bataille où il était et où il s’estconduit comme un lion.

Ils marchent sous un ciel brûlant au milieu deplaines, vertes, hérissées de monuments étranges…

– L’Inde, sans doute, murmuraMarmouset.

– Où va-t-il ? demanda lemagnétiseur.

– Je ne sais pas… La nuit est venue… Lesoleil s’est abîmé dans la mer… mais j’entends toujours lestambours et les instruments de cuivre…

M. Hunt se tourna versMarmouset :

– Monsieur, dit-il, cette dame estfatiguée… il faut en rester là pour aujourd’hui.

– Comme vous voudrez, réponditMarmouset.

M. Hunt passa alors ses deux mains sur latête, les épaules et les bras de Vanda, chassant le fluidemagnétique en sens inverse ; et bientôt cette dernière rouvritles yeux et promena autour d’elle un regard étonné.

Puis elle se souvint :

– Eh bien ? dit-elle.

– Le Maître n’est pas mort.

– Ah ! je le savais, bien.

– Où est-il ?

– Dans l’Inde.

– Ai-je dit s’il reviendrait ?

– Non, dit le magnétiseur. Je vous aitrouvée fatiguée et j’ai pensé qu’il serait toujours temps de vousrendormir de nouveau.

Vanda regarda Marmouset d’un air qui voulaitdire :

– Nous ne pouvons pas causer librement enprésence de cet homme ; il faut le laisser partir.

L’Américain prit son chapeau, et Marmouset luidit :

– Je vais vous reconduire chez vous,monsieur.

– Mon ami, dit Vanda au jeune homme,n’oubliez pas une chose !

– Laquelle, madame ? demandaMarmouset.

– C’est demain le jour fixé.

– Pour l’ouverture des instructions duMaître ?

– Oui.

– Demain, à huit heures précises, jeserai ici.

Et Marmouset sortit avec le magnétiseur.

– Eh bien ! dit alors Vanda, setournant vers Milon, encore tout ému de ce qu’il venait de voir etd’entendre ; eh bien ! crois-tu maintenant que Rocambolen’est pas mort ?…

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