Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 1

 

Si Maurevers était en catalepsie ou le jouetd’un rêve, c’est ce qu’il n’a jamais su.

Calcraff s’arrêta, et la voix de l’Irlandaisedit :

– C’est ici.

M. de Maurevers fut déposé dans uncarrosse.

Il essaya vainement d’ouvrir les yeux etd’agiter ses membres.

En revanche, son ouïe avait acquis une finesseextraordinaire.

On le posa sur les coussins du carrosse.

Il entendit un frôlement de robe auprès delui.

C’était l’Irlandaise qui montait.

En même temps, une voix qu’il n’avait pasencore entendue demanda :

– Où va milady ?

– À l’hôtel, répondit l’Irlandaise.

Et le carrosse roula.

Dans cette paralysie absolue du corps, moinsle sens de l’ouïe, où il se trouvait, M. de Maureversavait conservé toute sa présence d’esprit.

– Comment cette femme couverte dehaillons peut-elle avoir un carrosse ? se demandait-il.

Et se peut-il réellement que les gensl’appellent milady ?

Tout cela lui paraissait si étrange, sianormal, qu’il eût donné la moitié de sa fortune pour avoir laforce d’ouvrir les yeux.

Mais la paralysie tenait bon.

Le carrosse roula environ dix minutes, puis ils’arrêta.

Maurevers entendit qu’on ouvrait laportière.

Puis le dialogue suivant s’établit entrel’Irlandaise et un homme qui probablement venait de monter sur lemarchepied du carrosse.

– Eh bien ?

– Le voilà.

– Il s’est endormi ?

– Parfaitement.

– Et il est là ?

– Regarde plutôt.

– Oui, je le vois… c’est bienlui !

– Mais où donc ai-je entendu déjà cettevoix ? se demandait M. de Maurevers.

L’homme continua :

– Oh ! si tu savais ce que je suisjaloux !

– Imbécile !

– Non, je sais qu’il t’aimera.

– C’est probable !

– Et toi ?…

L’Irlandaise répondit par un éclat derire ; et il y eut un moment de silence.

Puis elle ajouta :

– Il faut bien que je me décide à faireune besogne dont personne ne veut.

L’homme répondit par une sorte derugissement.

Puis il dit encore :

– Si tu manques à ta promesse, tu saisque je te tuerai !

– C’est bien. Je n’ai pas peur.

La portière se referma brusquement et lecarrosse se remit en route.

Maurevers se disait :

– L’énigme se complique de plus en plus.Quel est cet homme, que veut-il ? Pourquoi cette menace demort ?

Tout brave qu’il était, le marquis ne pouvaitse défendre d’une sérieuse inquiétude, et, en ce moment peut-être,il songeait à moi et à son enfant.

Enfin le carrosse s’arrêta de nouveau et lemarquis entendit demander la porte.

Puis la voiture s’engagea sous une voûtesonore et s’arrêta tout à fait.

– Il paraît, pensa Maurevers, que je suisdans l’hôtel de mon étrange mendiante.

Deux hommes qui pénétrèrent dans le carrosse,deux laquais sans doute, le prirent à bras-le-corps etl’emportèrent.

Cette finesse d’ouïe que la catalepsiedéveloppait en lui était si grande, que M. de Maureverscomprit qu’un épais tapis, posé sur les marches d’un escalier,assourdissait le bruit des pas de ceux qui le portaient.

Il entendit toujours, en même temps, lefrôlement de la robe de l’Irlandaise.

À moins qu’elle n’eût changé de vêtements enplein air, dans le trajet de la taverne au bord de la Tamise, cetterobe devait être la même que celle qu’elle portait au moment oùMaurevers avait malgré lui fermé les yeux, c’est-à-dire unassemblage de pièces et de morceaux de toutes étoffes et de toutescouleurs, loques sordides qui devaient singulièrement jurer avecl’intérieur somptueux d’un palais.

L’Irlandaise s’était mise à chanter.

Elle chantait cette mélodie bizarre, monotone,moitié ironique et moitié mélancolique qui avait exercé un charmemystérieux sur M. de Maurevers.

Cette mélodie résonnait à son oreille, àmesure que ceux qui le portaient, après avoir gravi les marchesd’un escalier, traversaient maintenant différentes pièces.

Ils s’arrêtèrent enfin et Maurevers comprit,car tout son corps était insensible, qu’on le couchait sur unlit.

Alors l’Irlandaise interrompit sa chanson etdit :

– Laissez-moi !

Les deux hommes sortirent.

Maurevers continuait à se raidir inutilementcontre la catalepsie.

L’Irlandaise avait ouvert un piano et sesdoigts agiles couraient maintenant sur le clavier, accompagnantcette chanson en langue inconnue qu’elle continuait àfredonner.

Tout à coup un sens s’éveilla chez Maurevers,– le sens de l’odorat.

Son nerf olfactif fut tout à coup chatouillépar un parfum pénétrant qui avait un charme inexprimable.

**

*

– Bon ! s’interrompit Marmouset, encet endroit de sa lecture, je connais ça.

– Plaît-il ? fit Vanda.

– Oui, un parfum… sous forme debrouillard… Comme la nuit dernière.

Et comme Vanda le regardait avec étonnement,il ajouta :

– Je donnerais maintenant ma tête àcouper que l’Irlandaise en haillons ressemble trait pour trait àl’Espagnole aux cheveux roux que j’ai chargé Milon desurveiller.

– Continue, dit Vanda.

Et Marmouset reprit la lecture du manuscrit deTurquoise.

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