Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 10

 

Rocambole, on s’en souvient, avait laissé desinstructions pour Marmouset, au cas où il ne serait pas de retour àParis, dans un an.

Et il y avait près de deux ans qu’il étaitparti, sans qu’il eût, depuis, donné aucun signe de vie.

Le navire qui le transportait aux Indes avecsa cargaison de prisonniers, avait-il réellement péri par lefeu ?

Rocambole était-il mort ?

Nul ne le savait en Europe, pas même Vanda,qui, depuis deux années, attendait vainement que le maître revintou donnât de ses nouvelles.

Vanda et Marmouset ne s’étaient plus quittésdepuis la mort tragique de Gipsy.

Milon vivait avec eux.

Tous trois attendaient le retour dumaître ; et le maître était l’objet de toutes leursconversations.

Quelquefois Milon hochait tristement la têteet disait :

– Oh ! Bien certainement, il estmort.

Mais Vanda répondait :

– C’est impossible ! je suiscertaine qu’il n’est pas mort.

Et, comme elle disait cela pour la centièmefois peut-être depuis le départ de Rocambole, elle ajouta, cesoir-là :

– Voulez-vous savoir sur quoi se fonde maconviction ?

– Oui, dit Milon, qui ne demandait pasmieux que de la partager.

– Eh bien ! reprit Vanda, je suistrès nerveuse, par conséquent très impressionnable, et je possèdece que les magnétiseurs appellent une organisation devoyant.

Les gens que j’aime m’apparaissent souvent enrêve, fussent-ils à une distance de mille lieues.

– Et vous avez vu Rocambole ?

– Dix fois depuis son départ.

Et, comme Milon continuait à hocher latête :

– Tenez, dit Vanda, je gage que, s’il yavait ici un magnétiseur qui m’endormit, je pourrais vous dire oùest Rocambole, ce qu’il fait, comment il est et s’il reviendrabientôt.

Milon se montrait incrédule.

Mais Marmouset, dont l’imagination était plusvive, s’écria :

– S’il ne faut qu’un magnétiseur, je saisoù le trouver.

– Eh bien ! va le chercher, monenfant, dit Vanda.

Marmouset se leva, secoua le gland d’unesonnette qui pendait auprès de la glace, et dit au valet quientra :

– Faites atteler Tempête au coupé.

Marmouset, qui était bien changé déjà àl’époque de la mort de Gipsy, était maintenant un grand jeune hommemélancolique, d’une blancheur mate et distinguée, et d’une parfaiteélégance.

On ne meurt pas d’un désespoir d’amour.

Vanda l’avait empêché de se tuer en lui disantque Rocambole comptait sur lui.

Marmouset avait d’abord vécu par ordre,indifférent à tout, songeant seulement à Gipsy morte.

Mais Gipsy lui avait laissé des millions, etl’homme riche se console toujours à la longue.

Le souvenir de Gipsy n’était plus maintenantqu’une douce mélancolie.

Il se complaisait dans les tristesses dupassé, mais les ardeurs de l’avenir commençaient à l’assiéger.

Pendant, ces deux années qui venaient des’écouler, Marmouset avait complété son éducation et il était,grâce à cette merveilleuse intelligence de l’enfant de Paris, unhomme en tous points bien élevé.

D’ailleurs, il était si riche !

On l’avait remarqué au Bois pour son habiletéd’écuyer et la beauté de ses chevaux.

C’était le garçon qui avait les voitures etles équipages les mieux tenus de Paris.

Le Club des Crevés avait sollicitél’honneur de le posséder dans son sein.

Les plus belles femmes du monde galantl’avaient fusillé de tendres regards et de sourires.

Mais Marmouset n’aimait personne ; soncœur était vide.

Peut-être eût-il voulu pouvoir s’abandonner àquelqu’une de ces passions dévorantes qui absorbent si bien la vied’un homme de vingt ans.

Mais le sentiment d’un devoir à remplirl’avait plus retenu peut-être que le triste et doux souvenir de sachère Gipsy.

Ce devoir à remplir, c’était une missionmystérieuse laissée par Rocambole, à son départ, sous forme de plicacheté que Marmouset ne devait ouvrir que dans deux ans.

Marmouset savait bien que cette fortune quelui avait laissé Gipsy était destinée à quelque grande œuvre deréparation et qu’il devait l’employer à racheter son passé.

D’un autre côté, l’époque fixée par Rocamboleapprochait.

Et Marmouset attendait avec une fiévreuseimpatience cette heure où il pourrait déployer sa dévoranteactivité.

Il avait donc demandé sa voiture.

Neuf heures sonnaient à la pendule du boudoirde Vanda, qui habitait toujours le petit hôtel de l’avenue deMarignan, jadis acheté par sir James Nively.

– Je serai de retour dans une heure, ditMarmouset en s’en allant.

Et il se fit conduire rue duFaubourg-Poissonnière, 89 ter.

C’était là qu’habitait un homme dont toutParis était alors engoué.

C’était un Américain du nom de Hunt, qui avaitopéré des cures merveilleuses par le magnétisme.

Petit, grêle, nerveux, il avait dans le regardune puissance extraordinaire et passait pour avoir endormi les gensles plus incrédules et les plus rebelles au somnambulisme.

Comme on le pense bien, Marmouset avait changéde nom.

Sur les registres de l’Hôtel-Dieu, où il étaitné, il avait été inscrit sous les prénoms de Victor-Albert et lenom de Prytavin qui était celui de sa mère.

Il avait repris ce nom.

Paris est léger, il s’occupe peu de savoird’où viennent les gens qui se présentent à lui avec une grandefortune et un grand train.

M. Albert Prytavin était reçu partoutavec le respect qu’inspire cette puissance moderne qu’on appellel’argent, et nul ne s’était inquiété de savoir qu’il était né dansun hospice, d’un repris de justice et d’une femme perdue.

Marmouset fit donc passer sa carte aumagnétiseur, qui était logé comme un nabab ou un fastueux dentisteet laissait volontiers faire antichambre à ceux qui le venaientconsulter.

Sa carte eut un effet magique.

Le spirite sortit de son cabinet et vint avecempressement à la rencontre de Marmouset. Celui-ci luidit :

– Monsieur, veuillez prendre la peine dem’accompagner. Une de mes amies a la singulière fantaisie de sefaire magnétiser.

En même temps, Marmouset jeta un chiffon depapier, qui n’était autre qu’un billet de mille francs, sur lacheminée de M. Hunt.

Celui-ci ne prit que le temps de remplacer sarobe de chambre à ramages par un paletot et sa calotte de veloursnoir à gland d’or par un chapeau.

Puis il suivit Marmouset.

Moins d’une heure après, comme il l’avaitpromis, Marmouset était de retour dans le boudoir de Vanda, amenantle magnétiseur.

– Monsieur, dit Vanda à ce dernier,regardez-moi bien. Suis-je lucide ?

– Je le crois, dit le magnétiseur. Jecrois même que vous avez une merveilleuse organisation desomnambule.

– Alors, endormez-moi.

Et elle se renversa dans le fauteuil où elleétait assise, tandis que l’Américain attachait sur elle son œilplein de fluide, et appuyait ses deux mains sur ses bras.

Milon et Marmouset attendaient avec unecertaine anxiété le résultat de cette bizarre épreuve.

Tout à coup, les yeux de Vanda sefermèrent ; sa tête s’inclina un peu sur son épaule.

Elle poussa un soupir.

Alors, le magnétiseur lui dit :

– Voyez ! je le veux !

Un frisson parcourut tout le corps de Vanda etelle commença à s’agiter comme jadis la pythonisse de Delphes surson trépied.

Puis, soudain, ses lèvres s’entrouvrirent.

– Je vois, dit-elle, je vois…

Milon et Marmouset avaient la sueur au front.Ils allaient enfin savoir ce qu’était devenu Rocambole.

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