Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 36

 

Le manuscrit de Turquoise.

(Suite.)

Avant d’assister à l’entretien qui allaitavoir lieu entre Perdito, la bohémienne Roumia et l’homme auxcheveux blancs taillés en brosse, dans l’hôtel de Toulouse, àBayonne, il nous faut revenir à Paris.

La marquise de Maurevers était morte.

Le jeune marquis venait d’accomplir sa vingtet unième année.

Il était riche, indépendant, il entrait dansla vie par la bonne porte, et tout autre à sa place eût étéheureux.

Mais le jeune homme avait le front chargé denuages, et une mélancolie profonde emplissait son âme.

M. de Maurevers avait fait un vœu etce vœu n’était pas accompli.

Il avait juré de venger son père ; et lesannées passaient, et le meurtrier vivait entouré de respect etd’honneurs.

Pourquoi ?

M. de Maurevers n’était pourtant pas unlâche.

Il avait même donné des preuves incontestablesde bravoure, par deux fois de suite, à l’âge de dix-neuf ans, en sebattant à l’épée successivement avec le baron de C… qui était unedes fines lames de Paris et le major autrichien K… un adversairenon moins redoutable.

Si M. de Maurevers ne croisait pasle fer avec le général de Fenestrange, c’est que, comme on dit, ils’y était pris trop tôt.

Nous l’avons vu, sur la route de Cadix,accompagnant sa mère mourante.

Pendant quelques mois, la pauvre phtisiques’était débattue contre la mort, avec énergie, avecdésespoir ; puis le mal avait triomphé.

Le marquis désolé avait ramené le corps de samère à Paris.

Puis, le lendemain des funérailles, tout vêtude noir, il s’était présenté chez le général duc deFenestrange.

Le général était en disponibilité depuisquelque tempe déjà.

Il habitait un petit hôtel aux Champs-Élysées,dans le quartier François Ier et y vivait dans uneretraite absolue.

Le domestique qui était venu ouvrir à Gastonde Maurevers avait commencé par lui dire que le général étaitsorti.

Mais Gaston avait insisté.

Les fenêtres de l’hôtel étaient ouvertes.

Le nom de Maurevers prononcé tout haut par lejeune homme était parvenu jusqu’au général, et le général avaitdonné l’ordre d’introduire le jeune marquis.

Une fois en sa présence, Gaston lui avait ditsimplement :

– Monsieur, j’ai enterré hier ma mère,morte de chagrin et pleurant, jusqu’à sa dernière heure, mon pèreque vous avez tué. Comprenez-vous pourquoi je viens ici ?

– Parfaitement, répondit le général, vousvoulez venger votre père et vous venez me demander raison de samort.

Gaston s’inclina.

Le général reprit :

– Vôtre désir est légitime. Seulement,monsieur, permettez-moi une simple observation : vous avezseize ans à peine…

– Qu’importe !

– J’en ai cinquante. Si je vous tue, jeserai un mangeur d’enfant. Revenez dans cinq ans, c’est-à-dire lejour où sonnera votre vingt et unième année et vous me trouverez àvos ordres.

Le raisonnement du générai était juste.

M. Gaston de Maurevers s’y rendit.

Or, cinq années après et à la même époqueenviron où Perdito venait à Bayonne en compagnie de la bohémienneRoumia, M. Gaston de Maurevers venait d’accomplir sa vingt etunième année.

Son tuteur, un vieux parent, lui avait renduses comptes ; et il devait ouvrir ce jour-là seulement letestament de sa mère.

M. de Maurevers était donc chez lui,dans le vieil hôtel de sa famille, situé faubourg Saint-Germain, etil venait d’ouvrir ce testament ou plutôt cette lettre quirenfermait les instructions dernières de la marquise.

« Mon enfant, disait-elle, quand vouslirez ces lignes, que je date de Cadix, je serai morte depuislongtemps sans doute.

Je ne vous ai pas tout dit, il y a trois mois,lorsque, durant notre voyage à travers la montagne, je vousracontai mon unique entrevue avec la duchesse de Fenestrangemourante.

La duchesse me dit, en me remettant despapiers qui sont déposés chez Me B…, mon notaire et levôtre :

« L’enfant queM. de Fenestrange m’a pris est le fils du marquis deMaurevers, votre époux. Au nom de cet homme que, toutes deux, nousavons aimé et que, toutes deux, nous pleurons, jurez-moi, madame,de faire ce que je vais vous demander. »

Je le lui jurai. Elle poursuivi :

« Ma fortune personnelle s’élève à deuxmillions cinq cent mille francs. Je l’ai réalisée. La voilà entitres de rentes et en bons du Trésor. Cette fortune est pour monfils, je vous la confie. Recherchez-le. Si jamais vous acquérez lapreuve que mon fils est mort, cette fortune est à vous, ou plutôt àvotre enfant. ».

Or, mon fils, achevait la marquise, vous avezcomme moi reconnu dans le bandit confié à José Minos, l’enfant devotre père et de la duchesse de Fenestrange.

Cet enfant est destiné à mal finir, le gibetl’attend.

Quand vous ouvrirez cette lettre,informez-vous, tâchez de savoir ce qu’il est devenu, et rendez-luicette fortune dont Me B… a les titres depropriété.

Si vous acquérez la preuve de sa mort, cettefortune est à vous et vous pouvez en disposer sansscrupule. »

Telle était la lettre queMme la marquise de Maurevers avait écrite à Cadix,quelques jours avant sa mort.

Le marquis la baisa avec respect etmurmura :

– Ma mère, votre volonté serareligieusement, accomplie. Mais, auparavant, il faut que je vengemon père !

Et, à midi précis, le jeune marquis deMaurevers se présenta chez le général duc de Fenestrange.

Les fenêtres de l’hôtel étaient hermétiquementcloses.

Le concierge répondit aux marquis :

– Monsieur le duc est en voyage.

– En quel endroit ?

– Je ne sais pas.

– Quand reviendra-t-il ?

– Dans un mois.

– J’attendrai, dit le marquis.

Et il s’en alla.

Le soir, au club, une gazette espagnole luitomba sous la main.

L’entrefilet que voici attira sonattention :

« Ce matin, sur la place publique deValence, José Minos et ses compagnons au nombre de dix-huit ont étéexécutés.

« Le reste de la bande avait péri lesarmes à la main, et il ne reste personne de cette armée demalfaiteurs qui, pendant vingt années, a fait trembler la Catalogneet le nord de l’Espagne. »

– J’hérite donc de cent vingt-cinq millelivres de rentes ! pensa M. de Maurevers.

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