Le Dernier mot de Rocambole – Tome III

Chapitre 14

 

Tippo-Runo savait que j’avais échappé au piègequ’il m’avait tendu et que j’étais parvenu à tuer l’éléphantbourreau.

Il savait en outre que j’avais combattu à ladroite du rajah.

Et quand notre défaite fut complète, il donnades ordres terribles me concernant.

Cependant je parvins à m’échapper.

Durant plusieurs semaines, le visage noircipour me rendre méconnaissable, j’errai dans les montagnes,poursuivi, traqué comme une bête fauve.

J’évitais les villes, les villages etjusqu’aux habitations isolées.

Tout le pays était tombé au pouvoir desAnglais et par conséquent de Tippo-Runo, et je savais bien que sije tombais vivant aux mains de ses partisans, je périrais dansd’affreux supplices.

Mais mon étoile me protégeait.

Au bout d’un mois de cette vie errante etvagabonde, je pus gagner les plaines de l’Hindoustan, arriver dansla région paisible, demander l’hospitalité à un colon anglais quin’avait jamais entendu parler de moi et ne soupçonna point la partque j’avais prise dans la dernière guerre, et passer chez luiquelques jours.

Un mois après, j’arrivais à Calcutta.

Là, j’étais sauvé.

Alors je songeai à tenir ma promesse, àretrouver Hassan, et cet enfant qui n’était autre que le fils dumalheureux rajah Osmany.

Tout le monde connaissait Hassan le tailleurdans la ville noire.

Le maître du premier schoultry dans lequelj’entrai m’indiqua sa maison.

C’était une humble demeure dans laquellecertainement on n’eût jamais soupçonné l’existence d’un trésor.

Le vieillard était assis sur le pas de saporte.

Je m’approchai de lui.

– Tu te nommes Hassan ? luidis-je.

– Oui, me répondit-il, queveux-tu ?

– Connais-tu cela ?

Et je lui montrai l’anneau que le rajahm’avait mis au doigt.

Soudain le vieillard tressaillit et me fitentrer précipitamment dans sa maison dont il referma la porte surnous.

– Tu viens de la part d’Osmany ? medit-il.

– Oui.

– Comment va-t-il ?

Cette question m’arracha des larmes.

– Il est mort, répondis-je.

Et je lui racontai la trahison de l’infâmeTippo-Runo et la mort héroïque du rajah.

Le vieillard m’écouta, pâle, frémissant, lesyeux secs.

Puis, quand j’eus fini, il me dit avec unaccent de résignation qu’on ne retrouve que chez les hommes del’Orient :

– Dieu l’a voulu.

Hassan était mahométan et, par conséquent, ilcroyait à un Dieu unique.

– Où est l’enfant ? luidemandai-je.

– Il se baigne, me répondit-il. Tu leverras dans moins d’une heure.

– Et les trésors ?

– Je vais te les montrer.

Il prit alors une lampe, souleva une trappequi mit à découvert les marches d’un escalier, et me dit :

– Suis-moi.

Je descendis sur ses pas dans la cave de lamaison. C’était un étroit caveau complètement vide. Hassan eut unsourire triste :

– Tu vas voir, me dit-il.

Et il s’approcha du mur et se mit, avec sonpoing fermé, à frapper sur les pierres.

L’une d’elle rendit un bruit sourd.

On eût dit qu’il avait heurté la peau d’untambour.

Alors Hassan prit son kandjar à sa ceinture eten introduisit la pointe dans un interstice qui se trouvait entrela pierre sonore et la pierre voisine.

Soudain la première se détacha.

Alors, baissant la lampe, Hassan me montra àla place ou était la pierre tout à l’heure, une serrure d’un acierluisant et poli.

Puis il prit une clef à son cou.

– C’est moi, me dit-il, qui ai fabriquécette serrure. Elle a un secret, et ce secret est si compliquéqu’il me faudrait plusieurs jours pour te l’apprendre.

Et il se mit à tourner la clef tantôt dans unsens, tantôt dans l’autre, murmurant des mots que je ne comprenaispas, comptant sur les doigts de sa main gauche, et enfin j’entendisdistinctement le bruit du pêne qui courait dans sa gâche.

Soudain le mur tout entier tourna avec laporte de fer qu’il recouvrait, et je vis alors un second caveau dufond duquel jaillirent soudain des gerbes d’étincelles fauves.

Les rayons de la lampe que le vieillard tenaità la main, venaient se briser sur un monceau de pierreries, depièces d’or et de perles d’une fabuleuse grosseur.

– Voilà les trésors du maître, me dit levieillard.

J’évaluai approximativement toutes cesrichesses. Il y avait là plusieurs millions, une fortune vraimentroyale.

Je fis part alors au vieillard des dernièresvolontés du rajah Osmany.

Le rajah, je l’ai dit, m’avait exprimé savolonté formelle.

Il voulait que j’emmenasse son fils en Europeet que je l’élevasse dans la haine des Anglais. Il voulait aussique j’emportasse le trésor.

– Tu as l’anneau du maître, me ditHassan. Par conséquent, je t’obéirai.

Puis il referma la porte de fer et le trésordisparut à mes yeux éblouis. Nous remontâmes dans la maison.L’enfant était rentré du bain.

Je n’eus qu’à l’envisager pour reconnaître enlui le vivant portrait d’Osmany.

C’était bien le vrai fils de Kôli-Nana.

Il me regarda avec étonnement.

Hassan lui dit :

– Cet homme est ton maître désormais.Suis-le.

– Non, dis-je à Hassan, l’enfant resteraauprès de toi jusqu’à ce que j’aie pris les dispositionsnécessaires pour notre départ.

– Comme tu voudras, me dit-il en baissantla tête.

L’enfant ne comprenait rien à cela et s’étaitmis à pleurer.

Je dis à Hassan :

– Tu ne me verras que le jour où toutsera prêt. Je vais m’occuper d’avoir des hommes dévoués et fidèlespour enlever le trésor et le transporter sûrement à bord d’unnavire.

Je passai plusieurs jours à Calcutta, rêvantau moyen de transporter les richesses du rajah sans éveillerl’attention de l’autorité anglaise.

De tous les serviteurs dévoués que j’avais euspendant mon séjour dans les États du rajah, il ne me restait quemon fidèle Moussami.

Celui-ci avait fini par me rejoindre.

Nous étions logés dans le même schoultry, etil était convenu qu’il m’accompagnerait en Europe.

Un soir, Moussami me dit :

– Je crois qu’on sait qui nous sommes. Onnous suit quand nous sortons.

– Qui donc peut nous suivre ?

– Un nègre qui pourrait bien être un desséides de Tippo-Runo.

Nous changeâmes d’habitation.

Jusque-là nous étions restés dans la villenoire.

Nous allâmes nous réfugier dans la villeblanche.

Le quartier anglais est plein d’auberges etd’hôtels.

J’avais repris mes habits européens, etMoussami passait pour mon domestique.

Le lendemain du jour où j’étais descendu àl’hôtel de Batavia, je m’aperçus, en prenant mon repas dusoir, que le thé qu’on m’avait servi avait une certaineâcreté ; mais je n’y attachai qu’une faible importance.

Après mon souper je fus pris du besoin dedormir et j’allai me coucher.

Je m’endormis bientôt d’un profondsommeil.

Quand je m’éveillai, la nuit était passée etle soleil pénétrait à flots dans ma chambre.

J’appelai Moussami, qui couchait dans unepièce voisine.

Une sorte de hurlement me répondit. Ce n’étaitpas une voix humaine. C’était quelque chose qui ressemblait à unrugissement de bête fauve.

Je me précipitai hors de mon lit et j’entraiprécipitamment dans la chambre voisine.

Là, un horrible spectacle m’attendait.

Moussami, garrotté, était couché sur le dos etbaignait dans une mare de sang.

En me voyant, le malheureux ouvrit la bouche,et je jetai un cri d’horreur.

Le malheureux n’avait plus de langue.

On la lui avait coupée tandis que jedormais.

Je m’empressai de le délier, et tandis que jeme livrais à cette opération, un nouveau cri m’échappa.

Je venais de m’apercevoir que l’anneau durajah avait disparu de mon doigt.

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